République Démocratique du Congo | Le député Batumike et sa milice sont accusés de 46 viols sur des fillettes.

Pendant plus de trois ans, entre 2013 et 2016, de nombreuses familles du village de Kavumu (Sud-Kivu) ont vécu l’indicible. Quarante-six fillettes, âgées de 8 mois à 12 ans, ont été enlevées et violées.

A chaque fois, c’était le même mode opératoire.

Les ravisseurs s’introduisaient de nuit dans les maisons.

Après avoir été capturée dans son sommeil par un ou plusieurs hommes, la fillette était violée, puis son sang était prélevé – parfois à l’aide d’un objet tranchant – avant que celle-ci ne soit abandonnée dans un champ voisin.

La plupart des victimes ont été emmenées auprès du Dr Denis Mukwege, à l’hôpital de Panzi, pour être examinées et subir une chirurgie reconstructrice.

Beaucoup d’entre elles souffrent toujours de dommages permanents à leurs organes sexuels et abdominaux et sont toujours traumatisées.

Les miliciens violaient les fillettes et prélevaient leur sang pour être assurés d’une protection surnaturelle dans les combats.

Ces attaques, rapporte l’ONG Trial International, qui lutte contre l’impunité des crimes internationaux et soutient les victimes dans leur quête de justice, ont été initialement considérées comme des événements isolés.

Ce n’est qu’en 2016 que le procureur militaire congolais – compétent pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité – s’est saisi de l’affaire.

Des viols systématiques

En juin 2016, la police a arrêté Frédéric Batumike, député à l’assemblée provinciale du Sud-Kivu ainsi que 74 membres de sa milice Djeshi ya Yesu (Armée de Jésus, en swahili).

Frédéric Batumike est suspecté d’avoir recruté les membres de la milice parmi les personnes qui fréquentaient les églises locales près de Kavumu.

La milice semble avoir fonctionné comme l’armée privée du député.

Ses miliciens seraient responsables des viols systématiques des filles de Kavumu.

M. Batumike aurait ainsi recruté un féticheur qui conseillait aux miliciens de violer des très jeunes filles pour pouvoir être assuré d’une protection surnaturelle dans les combats.

Depuis juin 2016, aucun autre épisode de viol suivant ce même mode opératoire n’a été constaté à Kavumu.

En septembre 2017, le procureur militaire a inculpé 18 personnes pour des faits de viols constitutifs de crime contre l’humanité ainsi que d’autres infractions additionnelles parmi lesquelles les infractions de meurtre, d’organisation à un mouvement insurrectionnel, ainsi que d’attaques contre les positions militaires congolaises.

Selon l’acte d’accusation, Frédéric Batumike a créé et organisé la milice et ordonné la commission de ces crimes.

Les 17 autres prévenus sont accusés de participation à un mouvement insurrectionnel et d’avoir contribué à la commission des crimes mentionnés.

Leur procès s’ouvre lundi à Kavumu.

Un dossier emblématique.

Ce dossier de Kavumu est devenu le symbole des crimes sexuels à grande échelle qui ravagent l’est de la République démocratique du Congo et de l’impunité dont ils s’accompagnent encore très souvent, note Trial International.

Ce procès est un des rares du genre.

Trial International espère qu’il constituera un précédent crucial.

Le dossier se base notamment sur les auditions filmées des victimes, ce qui était une première au Congo.

“Les fillettes revivent leur agression à chaque fois qu’elles racontent leur histoire”, expliquent des membres du personnel médical de l’hôpital de Panzi, spécialisé dans l’accueil des victimes de crimes sexuels.

L’avocate belge Michèle Hirsch, qui a porté à Bruxelles plusieurs dossiers de crime de guerre et de crimes contre l’humanité dans le cadre du génocide rwandais de 1994, a apporté un soutien à l’équipe d’avocats qui interviendra à Kavumu.

“L’essentiel”, dit-elle, “est la question de la réparation aux enfants.

Que va-t-il se passer ensuite pour ces filles ?

Pourront-elles à leur tour avoir des enfants ?

Stigmatisées, pourront-elles plus tard trouver un mari ?

Ne risquent-elles pas d’être exclues de leurs communautés de vie ?”

Me Hirsch estime que la création d’un fonds d’indemnisation ne doit pas dépendre d’une condamnation, de l’issue d’un procès.

“Une indemnisation”, ajoute-t-elle, “ce n’est pas que de l’argent, cela peut être une prise en charge, des soins, une thérapie, une formation”.

Le procès devrait durer trois semaines.

Jacques Laruelle

Source : La Libre

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