Prostitution des mineurs | Témoignage de Marion, adolescente exploitée sexuellement
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 24/05/2021
- 09:21
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“C’est comme si vous reveniez d’une guerre“, témoigne Marion, aujourd’hui âgée de 25 ans.
Pendant trois ans, alors qu’elle était adolescente, elle se prostitue pour le compte d’un homme, puis du frère de ce dernier.
Alors que l’exploitation sexuelle des mineurs explose en France – elle concerne en grande majorité des filles, en moyenne âgées de 16 ans – avec dix fois plus de victimes prostituées mineures en l’espace de cinq ans, un groupe de travail doit rendre des propositions ces prochains jours au secrétariat d’État à l’enfance, pour mieux prendre en charge les victimes et lutter contre les réseaux de proxénètes.
franceinfo : Après une enfance passée en Bretagne, à l’adolescence les relations avec vos parents deviennent très compliquées. Fugue, mauvaises fréquentations, vous vous retrouvez complètement seule à 15 ans et demi, en région parisienne, sans aucun repère.
Marion : Avec ma famille, c’est très compliqué.
Je me retrouve placée en foyer et je suis déscolarisée.
Donc il n’y a plus grand-chose qui me reconnecte à la vie “normale” d’une ado de cet âge-là.
Et puis tout s’est enchaîné.
Vous passez alors du temps sur les réseaux sociaux et vous faites la connaissance d’un homme majeur. Il a neuf ans de plus que vous. C’est à ce moment-là que l’engrenage va commencer ?
La première rencontre se fait à la gare du Blanc-Mesnil, dans le 93 [département de Seine-Saint-Denis].
Moi je viens de Bretagne, je ne connais pas Paris.
Je me retrouve avec un gars qui parle fort, qui fait 2,08 mètres de taille, avec un film porno à l’avant de sa voiture, des liasses de billets dans ses chaussettes.
Pour moi, on voit ça dans les films, mais pas dans la vraie vie.
Je me retrouve complètement dépassée par la situation.
Il me ramène très rapidement sur une zone industrielle où il y a des hôtels.
Je sens tout de suite que je vais passer à la casserole.
Ce jour-là, vous subissez plusieurs viols dans cette chambre d’hôtel. Vous tentez de vous enfuir, mais vous allez finir par tomber dans les griffes de cet homme, qui va devenir votre proxénète…
Oui, il y a tellement un lavage de cerveau qui est fait, qu’entre ce qui est bien et mal pour vous, vous ne savez plus.
On est sous une emprise psychologique, c’est-à-dire que j’étais morte de l’intérieur.
J’avais ce corps qui continuait de vivre, de faire des choses un peu de façon mécanique, ça devient un peu machinal.
Mais on est un zombie.
Quand il m’arrivait toutes ces choses-là en région parisienne, c’est comme si j’avais un peu occulté toute ma vie d’avant.
Je n’avais plus d’émotions.
On me parlait de mes vacances d’enfance, ça ne m’évoquait rien, je ne ressentais plus rien.
Quand vous restez pendant plusieurs semaines séquestrée avec une personne, ça peut être la pire des ordures, votre seule référence, c’est elle.
Et j’ai toujours quelqu’un pour garder l’œil sur moi, donc je ne peux pas m’enfuir.
Pendant tous ces mois, à quoi ressemble votre quotidien ?
Ce sont des coups, je me fais passer à tabac.
C’est un enchaînement dans la violence, dans tout, et on est complètement dépassée.
On est dans un mode de survie. On est là, et à la fois pas là.
“On devient complètement déshumanisée, parce qu’à force de vivre des choses extrêmes comme ça à longueur de journée, le cerveau fait une espèce de black-out où on est obligée de se mettre en mode “off”.”
Je suis maltraitée. Je suis mal nourrie, on me ramène un bout de pizza par jour.
Je suis restée 48 heures sans manger.
Je suis une gamine de 16 ans et il y a des personnes qui sont prêtes à payer des sommes astronomiques pour avoir des rapports non protégés.
Donc la prise de risque est quand même énorme.
Vous êtes sale, dans les chambres parfois il y a les mégots de cigarettes par terre, ça fume, ça boit.
Forcément on ne change pas vos draps entre chaque client, donc c’est sale.
J’étais quelqu’un de rentable, du fait que je ne buvais pas et ne consommais pas de stupéfiants, ne fumais pas, etc.
Il y a une fois où je me permets de refuser parce que j’ai mes règles et que j’ai vraiment très, très mal.
Et là, je me fais passer à tabac aussi une nouvelle fois.
C’est un enchaînement de scènes abominables.
D’après vous, est-ce que les clients savaient que vous étiez mineure ?
Quand les clients étaient face à nous, on a une manière de parler, de se comporter, ça se voit bien qu’on est des gamines.
Il y en a qui m’ont demandé si j’étais majeure, parce que je pense que peut-être ils avaient une petite inquiétude.
Mais au final, je leur disais “oui, je suis majeure” et ça passait.
Vous êtes mineure, vous tombez sur un client qui va être, par exemple, banquier.
Ou médecin généraliste.
Vous imaginez ?
En fait, tout le monde devient un peu suspect.
On n’a plus confiance en l’humain, en l’adulte.
Moi, cette confiance en l’adulte, elle avait complètement été perdue.
Votre premier proxénète est interpellé au bout de quelques mois. Mais son frère prend le relais, vous exploite presque jusqu’à vos 18 ans. Vous finissez par le dénoncer, déposer plainte et enfin arriver à vous en sortir…
C’est comme si vous reveniez d’une guerre, presque.
Vous avez vécu des choses qui sont très traumatisantes, autant pour votre mental que pour votre physique.
Il n’y a pas eu de prise en charge suffisante derrière.
Je pense que pour une adolescente, une mineure, qui est victime de ce genre de choses, il faut quand même qu’il y ait un gros travail psychologique qui soit fait, parce qu’il y a une destruction qui a été telle, qu’on ne peut pas vous demander de retourner dans votre milieu familial, de reprendre une scolarité comme s’il ne s’était rien passé finalement.
Moi, c’est un petit peu ce qui s’est passé et ce n’était pas possible.
Ce n’était pas possible, vraiment.
[À la suite de la plainte déposée par Marion, ses deux proxénètes ont été condamnés respectivement à 15 ans et 4 ans de prison NDLR]
C’est via les réseaux sociaux que vous avez été approchée par votre proxénète. Pour lutter contre ce phénomène de la prostitution des mineurs, dont le recrutement se fait justement très souvent sur internet, que diriez-vous aux parents ?
On n’est jamais trop sur le dos de son enfant, donc vérifiez le téléphone de votre enfant, vérifiez ses accès à internet, parce que sur les réseaux, il se passe beaucoup de choses.
À l’époque de nos parents, il fallait sortir pour qu’il nous arrive quelque chose.
Aujourd’hui, dans sa propre chambre, il peut nous arriver des choses bien plus graves qu’en sortant dans la rue.
Tout peut se passer derrière un écran.
Vous avez désormais 25 ans. Où en êtes-vous de votre reconstruction ?
Je me sens régulièrement sale.
Je suis encore à un stade où je prends deux ou trois douches par jour.
Au niveau des relations avec des hommes, toute personne peut être considérée comme un potentiel client.
Je sais que cela peut paraître bizarre de le dire, mais c’est parce que finalement, on a vendu son corps.
C’est difficile de s’engager auprès de quelqu’un. L’être masculin, oui, on a une certaine méfiance.
“Notre corps ne nous appartient plus, c’est un objet.
Tout le monde en a fait ce qu’il voulait, des choses parfois complètement abominables.”
Je n’ai pas pu m’aimer ni m’accepter, puisque tout a commencé à l’adolescence, période où on est en pleine recherche, où on n’est pas à l’aise avec soi.
C’est un travail quotidien.
Ce n’est pas réapprendre à s’aimer, c’est apprendre à s’aimer tout court.
Arriver à accepter son histoire, être plus en paix avec son histoire et ne pas s’en faire un boulet quotidien.
Essayer de transformer ça en autre chose.
Les moments de mieux deviennent de plus en plus nombreux, c’est ça qui est positif.
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