Paris | Secourue début février, a expliqué avoir enchaîné les passes à toute heure

non

Je ne suis pas traumatisée mais ça m’a fait mal
Léna, une adolescente de 16 ans qui avait fugué d’un foyer de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), secourue début février, a expliqué avoir enchaîné les passes à toute heure.

L’adolescente de 16 ans avait disparu des radars depuis plusieurs semaines.

« Je ne suis pas traumatisée mais ça m’a fait mal. Si la police n’était pas venue, je serais restée là encore longtemps. » Ces extraits de la déposition de Léna (le prénom de la mineure a été changé) ont été lus, ce mardi soir, au tribunal judiciaire de Paris par Me Constance Dewavrin, qui réclame « de ne pas invisibiliser » cette jeune victime « parce qu’elle n’est pas là ». Un trio de garçons était donc jugé pour proxénétisme de mineure, en l’absence de Léna.

Peut-être retournée sous la coupe de son « lover boy », un ancien proxénète qu’elle prenait pour son amoureux.

Léa a une enfance bien cabossée. La protection de l’enfance n’arrive pas à la protéger. Elle fugue de son foyer, a déjà subi plusieurs avortements et du haut de ses 16 ans, évoquait une « addiction » au sujet de la prostitution.

« Un jour, nous allons la voir, la retrouver, a lâché Me Dewavrin au sujet de Léna, et elle sera en mesure de recevoir ces explications. »

C’était elle, la jeune fille apeurée que la police a découverte dans un appartement de la rue du Docteur-Goujon, à Paris XIIe, dans la nuit du 6 février.

Un voisin avait cru à un cambriolage. Il décrit des hommes cagoulés et une jeune femme effrayée au balcon. Sur place, deux hommes avec quelques centaines d’euros, et Léna.

Plus tard, deux autres sont arrivés avec préservatifs et lubrifiant. Ainsi qu’une jeune femme, majeure, disant venir se prostituer dans le logement, qui s’est accordée avec les garçons pour partager les gains, à condition qu’ils gèrent sécurité et logistique.

Quinze clients par jour.

Aux fonctionnaires, Léna explique qu’elle est forcée à se prostituer depuis un mois. Elle désigne son trio de geôliers, à peine sortis de l’adolescence, rencontrés aux Halles.

Elle est attirée par l’un d’eux. Ils lui auraient proposé de se prostituer pour eux, elle refuse puis accepte.

Deux gèrent la logistique, les annonces, les tarifs – de « 50 euros les dix minutes » à « 400 euros les deux heures », 24 heures sur 24 – réservations de logements sur Airbnb et Booking à Paris, Ivry, Vincennes, Saint-Maurice… « Un seul string », qu’elle devait laver.

Les coups pleuvent quand elle veut sortir ou réclame son argent. Le troisième a commencé à devenir plus actif à la fin.

Jusqu’à 15 clients s’enchaînent par jour, avec 1 200 euros de gains quotidiens dont elle n’aurait pas vu la couleur.

Les suspects ont refusé de donner les codes de leur téléphone, mais Léna les avait, elle les a communiqués. Les enquêteurs y ont découvert les annonces, les réservations des courses de VTC Bolt, Heetch…, des photos, une sextape aussi, qui aurait pu servir de moyen de pression.

« Est-ce que vous avez vendu votre corps ? »

« Je suis coupable de complicité de proxénétisme mais je ne savais pas qu’elle était mineure et je n’ai jamais levé la main sur elle », explique timidement Ismail, 19 ans, le seul à comparaître libre. Les policiers, eux, n’ont pas douté une seconde que Léna était mineure.

Ismail n’est pas jugé pour séquestration, ni violences. Ce lycéen a obtenu entretemps une mise en liberté, il prépare son bac, son conseil de classe a émis un avis favorable.

Visage juvénile sous une fine barbe, survêtement noir, il aurait préféré un procès à huis clos. Sa gêne est visible, il parle même de « honte ».

Et assure qu’il n’a fait qu’ « aider » la jeune fille.

« Vous vous rendez compte que c’est à cause de gens comme vous, majeurs, par les locations, et qui prenez une grosse part du gâteau, que tout peut se faire ? » interroge la juge.

Les deux coprévenus, 20 et 21 ans, eux, nient toute implication.

Ils sont amis, n’avaient pas de toit. Leur parcours est plus chaotique, ils sont en rupture familiale, sans travail, ni logement, l’un a déjà fait un passage en prison, il est connu pour cambriolage, l’autre a décroché son bac et un brevet d’animation.

À fleur de peau, il n’a pas hésité à envoyer balader l’enquêteur de personnalité avant le procès.

À l’évocation de son père, les larmes lui montent aux yeux.

« Je suis en prison et je n’ai rien à voir… tous les jours, ma mère pleure. Je suis autant victime que [Lena] », lâche-t-il. La juge lui retourne : « Est-ce que vous avez vendu votre corps ? » On n’entend pas sa réponse. Pour eux, Léna a menti.

Les bleus sur son corps ? « La faute des clients. » Les accusations ciblées ? « Pour se venger » de n’avoir pas obtenu de faveurs sexuelles de leur part. La location de l’appartement du XIIe ? « Une soirée d’anniversaire, entre mecs, sans prostituée. »

« On ne prend pas pour parole d’évangile tout ce qu’elle dit parce qu’elle a été victime de faits atroces, mais parce que ce qu’elle dit est vrai ! » oppose le procureur qui énumère les éléments vérifiés par les constatations : un téléphone cassé, des couteaux dans l’appartement, les courses entre les locations, les annonces postées depuis les téléphones des garçons…

« Il y a une vraie organisation, se déplacer en permanence pour brouiller les pistes. On prend une enfant, on en fait une marchandise pour acheter des baskets à Créteil Soleil. » Et il ajoute : « Pour eux il y a deux sortes de filles : les mamans et les putes, le reste n’existe pas. »

9 000 euros pour les souffrances endurées.

La défense dénonce le manque de preuves, « une course de taxi jusqu’au foyer ne signifie pas qu’il a participé à la prostitution », conteste notamment Me Véronique Massi, qui réclame la relaxe.

« Il ne pourra pas être condamné pour toute la vie de souffrance de cette victime, plaide l’avocate d’Ismail, Me Sarah Monchalin. Il reconnaît les faits, et il a honte, c’est très bien, c’est ce qui le raccroche à la société. »

Elle réclamait un bracelet électronique, il espérait retourner en cours. Le tribunal a décerné un mandat de dépôt, le condamnant à trois ans de prison dont deux probatoires, comme le demandait le parquet.

Menotté sous escorte, il a eu le temps d’embrasser sa mère avant d’être conduit en prison.

Les deux autres ont été condamnés à 10 mois probatoires pour le moins impliqué, et 18 mois, ferme pour moitié, pour le second.

Une amende de 500 euros et pour tous une interdiction de contact avec Lena, à qui ils devront verser 9 000 euros, via l’administratrice ad hoc, pour les souffrances endurées.

Ils devront aussi verser 3 000 euros à l’association Équipe action contre le proxénétisme (EACP).

Source(s):