Paris | 15 ans d’emprisonnement en comparution immédiate, l’audience d’appel

La cour d’appel de Paris jugeait, vendredi 17 février, un homme accusé d’agressions sexuelles sur mineure, condamné à Créteil en première instance à 15 ans d’emprisonnement, à l’issue d’une procédure de comparution immédiate. Un choix étonnant vu la gravité des faits – d’autant que le mis en cause était en récidive légale, et qu’il s’agissait en réalité de faits criminels déqualifiés. Vendredi, son avocat a dénoncé le choix de cette procédure.

 

Laurent B. a 61 ans, sera libérable en 2031 et aimerait bien « une peine un peu moins importante ». En août 2016, le parquet de Créteil a fait le choix de le déférer en comparution immédiate, et le 15 novembre 2016, après deux renvois, il a été condamné à 15 ans d’emprisonnement par la 12e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance du Val-de-Marne (94).

Pour un homme en récidive de viol sur mineure de 15 ans par ascendant, le quantum prononcé n’a rien de singulier, mais la procédure a indisposé de nombreux avocats qui, par diverses voies, ont manifesté leur étonnement. La procédure de comparution immédiate est là pour hâter la machinerie judiciaire et se défaire rapidement des affaires les plus simples. On y trouve parfois des agressions sexuelles, mais il s’agit très souvent de « frotteurs » pris sur le fait. Or, le cas de Laurent B. est nettement plus problématique.

Entre 2010 et 2016, il a commis des agressions sexuelles répétées sur la petite fille de sa compagne, Vanessa, depuis l’âge de 9 ans jusqu’à ses 15 ans. La jeune fille, abandonnée par sa mère et recueillie par son père à l’âge de sept ans, passait beaucoup de temps chez sa grand-mère.

Elle a subi les agressions de Laurent B. sans jamais en parler à personne jusqu’à ce que Thomas, un ami du collège, la convainque d’en faire part à sa tante. C’est avec cette parente qu’elle se rend au commissariat dénoncer les faits : elle décrit précisément trois scènes, dont l’une au moins inclus des actes de pénétration digitale.

Laurent B. est convoqué et placé en garde à vue. Il avoue immédiatement une dizaine de faits. Il raconte aux enquêteurs : « J’étais fou d’elle, à cet âge-là déjà je l’aimais. » Laurent B. admet tous les faits. Comme seule explication, il avance qu’il la pensait consentante.

« Elle n’a pas dit oui, mais elle n’a pas dit non. Elle avait l’attitude d’une femme excitée », explique-t-il.

Sa garde à vue (renouvelée une fois) se déroule sous le régime criminel, puisque certains des faits sont constitutifs d’un viol. Pour preuve, les interrogatoires sont filmés.

Le profil de Laurent B. est sérieux. Il est en récidive, condamné en 1997 par la cour d’assises de la Réunion à 18 ans de réclusion criminelle, pour le viol de sa fille. Reclus dès 1995, il a été libéré en 2007 – une sortie sèche, sans suivi, après avoir été vu une douzaine de fois par un psychologue en prison.

La déqualification des faits criminels

Il est placé sous mandat de dépôt le 6 août 2016, un samedi, et présenté au parquet qui décide de déqualifier les faits en agressions sexuelles sur mineure de 15 ans et sur mineure de plus de 15 ans, en récidive, et de le déférer à l’audience de comparution immédiate de Créteil le 8 août. « Le procès-verbal qui saisit le tribunal fait état d’une agression sexuelle par pénétration », énonce l’avocat en défense, soulignant la discordance entre les faits et la qualification juridique retenue.

L’audience du 8 août est renvoyée, « à la demande de la défense », explique l’avocat général à l’audience de ce vendredi.

Mais en défense, Me Arnaud Adélise, qui n’était pas à cette première audience, contredit l’explication, rapportant que c’est l’absence d’avis à la Caisse primaire d’assurance maladie qui a conduit le tribunal à renvoyer l’affaire.

L’avocat est de permanence un jour de septembre, ce dossier est inscrit au rôle, il demande le renvoi pour préparer la défense, auquel le parquet s’oppose, et le dossier revient le 15 novembre, devant le même président.

Après environ deux heures d’audience, le tribunal de Créteil condamne Laurent B. à 15 années d’emprisonnement, le prive de ses droits civiques, civils et de famille pour cinq ans, ordonne un suivi socio-judiciaire comprenant une obligation particulière d’injonction de soins.

Si l’audience d’appel était l’occasion pour le prévenu d’obtenir un rabais de sa peine, il était surtout question pour la défense de dénoncer le cynisme d’une justice qui a jugé des faits aussi lourds en usant d’une telle procédure. Le recours de plus en plus fréquent à cette procédure, pour des dossiers de plus en plus complexes, est vertement critiqué par la profession d’avocat, notamment dans une tribune publiée le 8 novembre dans Le Monde, et qui demande la suppression de cette procédure.

Les « flagrants délits » ont évolué, et on y juge souvent des dossiers de trafic de stupéfiant de plusieurs tomes. Lorsque cela implique le prononcé d’une peine si lourde, le choix d’une telle procédure interpelle.

Vendredi 17 février, la victime était absente, comme lors de la première audience. Sur le fond, la présidente, attentive, a demandé au prévenu ce qu’il pensait de tout cela. S’exprimant avec difficulté, l’homme a bredouillé et répété des excuses, pour donner plus de force à sa voix tremblante.

« Je regrette le mal que j’ai fait, je veux dire la haine que j’ai envers moi-même », a-t-il expliqué.

La présidente a évoqué sa première condamnation, et le fait qu’il répète, selon un schéma très proche, des faits quasiment identiques. « Ce qui est étrange, c’est qu’on a l’impression que vous n’avez juste rien compris », a-t-elle regretté.

La personnalité du prévenu, absente du dossier

Personne, en réalité, n’a pris le temps de bien comprendre tous les éléments qui ont permis ces passages à l’acte. Or c’est tout l’avantage d’une procédure criminelle que de permettre des investigations fouillées, non seulement sur les faits – ce qui n’était pas tout à fait indispensable dans ce cas – mais aussi sur la personnalité. L’avocate générale, qui a requis la confirmation de la peine, a tenté d’expliquer que ce dossier n’avait rien besoin de plus, arguant d’une expertise psychiatrique et d’une enquête de personnalité.

En outre, a-t-elle expliqué, les expertises faites dans le cadre de la procédure criminelle qui a concerné Laurent B. ont été versées au dossier. Des expertises de 20 ans, c’est mieux que rien, mais aucune n’a été évoquée à cette audience – ni à celle de Créteil. L’expertise psychiatrique de ce dossier a consisté en une entrevue de 15 minutes à la prison, et l’enquête de personnalité, faite dans l’urgence, est tout aussi indigente. Sur ces éléments, une seule phrase a été prononcée à l’audience, pour dire que le discernement du prévenu était plein et entier.

La conscience – et l’insistance – de la présidente seules ont permis d’apprendre que Laurent B. était un enfant maltraité.

« C’est la première fois qu’il en parle », a expliqué Arnaud Adélise après l’audience. Ce schéma si tristement banal, celui d’un enfant battu qui reproduit, une fois adulte, des sévices à l’encontre des enfants sur lesquels il a une ascendance, n’a pas été effleuré au cours de l’enquête. À l’audience, Laurent B., en évoquant son enfance terrible en Guadeloupe (vie de misère, battu par sa mère, il coupait la canne à sucre à 13 ans), a fondu en larmes.

Il a raconté en détail un supplice (tenir longuement dans sa main fermée un œuf juste sorti de l’eau bouillante), qu’un jour sa mère lui a infligé. En quelques questions, la cour a fait ressurgir un traumatisme profondément enfoui. Sur son estrade, l’avocate générale s’est fendue d’une remarque ironiquement indignée : « on ne l’a pas vu pleurer pour le mal infligé à Vanessa ! ».

S’il s’agissait d’un crime, pourquoi la défense n’a-t-elle pas soulevé l’incompétence du tribunal ? « Le parquet a un impératif juridique, mais moi, il faut être honnête, je suis avocat avant tout », a expliqué Me Adélise. Laurent B. aurait risqué d’être condamné à une peine bien supérieure. Devant le tribunal, il risquait 20 ans, la réclusion criminelle à perpétuité devant une cour d’assises, qui aurait par ailleurs prononcé une peine criminelle, comportant une période de sûreté. Finalement, a expliqué l’avocat, c’est guidé par un impératif d’efficacité que le parquet a choisi « d’expédier » ce dossier, et non par le souci de faire punir avec la plus grande sévérité possible.

L’insuffisante motivation de la peine

Et puis, il y a le jugement en lui-même (à lire en pièce jointe). La défense s’en est offusquée, la cour en a publiquement convenu : le texte, dans sa rédaction, est indigent – tant dans les jugements moraux qu’il s’autorise que dans sa syntaxe et sa grammaire. Conséquence inévitable de ce choix procédural ? En droit, la forme étant « l’ennemie juré de l’arbitraire », la défense a alerté sur les conséquences de cette rédaction lacunaire : l’insuffisante motivation de la peine.

L’avocat a soumis à la cour une jurisprudence éloquente à cet égard, un arrêt de la cour d’appel de Douai du 14 décembre 2011, qui statuait en appel d’une comparution immédiate. Dans cette affaire, la cour a estimé que « le souci de répondre à l’ensemble des impératifs de l’article 132-24 du code pénal (sur la personnalisation de la peine), impliquait pour la juridiction saisie de disposer d’informations sur le contexte des faits et la personnalité des prévenus que le choix de la procédure de comparution immédiate qui a été retenue rend à ce stade difficile. »

Selon un commentaire de la décision,

« loin de se contenter de déclarer que la comparution immédiate n’est pas adaptée au traitement d’affaires aussi graves, la juridiction prend soin de détailler les « vecteurs de détermination de la peine », avec le souci constant de ne pas léser les droits de la défense, qui n’a pas à supporter les carences intrinsèquement liées à un mode de comparution. Les choix d’orientation ont clairement une incidence sur la qualité du procès et du jugement » (Douai, 4e ch., 14 déc. 2011, n° 11/01060, AJ pénal 2012. 476, obs. C. Saas ).

L’avocat a demandé aux magistrats parisiens de rejoindre cette analyse : « Est-ce que vous pensez vraiment que les conditions de ce dossier permettent de prononcer 15 ans ? » Il demande à la cour de prendre position, dans son arrêt qu’elle rendra le 15 mars prochain.

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