Papa est pédocriminel
La grande famille artistique vient d’être frappée de plein fouet par ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Jutra ». En effet, ce père de la communauté artistique vient d’être accusé, voire déjà condamné d’avoir eu des comportements pédophiles.
Les réactions ont été vives, émotives, intenses. L’incrédulité, le déni, la déception, la colère, la tristesse, le désarroi ont été exprimés par plusieurs artistes, politiciens, journalistes et, bien sûr, dans les médias sociaux.
Pourtant, ce qui se passe de manière magnifiée par les médias dans la famille artistique, des centaines de familles québécoises vivent la même situation lorsqu’elles apprennent qu’un membre de la famille a commis des agressions sexuelles.
C’est la conjointe qui découvre que son mari a abusé de sa fille durant des années. C’est la soeur qui découvre que son frère est pédophile, etc. Ces familles vivent les mêmes émotions, les mêmes déchirements bien souvent dans l’isolement et la honte. Plusieurs familles finissent par se remettre de ces blessures, mais il doit y avoir un processus de « guérison ».
TRAHISON ET BLESSURES
La situation actuelle autour de l’affaire Jutra constitue la première étape qui devrait mener à un processus d’apaisement. La première étape est celle des dénonciations et des réactions émotives à chaud, réactions diverses et variées, tout à fait normales dans les circonstances.
Certains ont jugé exagérée, voire inappropriée, la réaction de Marc Béland. Au contraire, il s’agit d’une réaction bien typique, commune à bien des familles confrontées au fait que le père est un pédophile ou un incestueux et qui exprime bien le déchirement vécu par les membres de la famille confrontés à une telle nouvelle.
D’autres déchirent rapidement leur toge et condamnent sans appel, sans trop savoir ce qui s’est passé. En plus, les réactions des uns et des autres sont démultipliées par les médias sociaux, qui contribuent à l’enflure affective pourtant déjà lourde dans une telle situation. Cette ventilation d’émotions est nécessaire, mais on doit aller au-delà.
Il est temps de passer à la deuxième étape si on veut fermer cette blessure. En fait, il y a plusieurs blessures. Au premier chef, il y a les blessures physiques-psychologiques des victimes et la reviviscence de ces blessures liées à l’hypermédiatisation que ces personnes n’avaient visiblement pas souhaité.
Il y a le sentiment de trahison vécu par les membres de la famille de même que la honte et la culpabilité de ne pas avoir vu ou de ne pas être intervenus pour que cessent de tels comportements. Il faut aller au-delà des émotions et chercher à comprendre ce qui s’est passé.
COMPRENDRE
Comprendre ne veut pas dire excuser, déresponsabiliser, banaliser les gestes posés. Comprendre veut dire essentiellement essayer de donner un sens à ce qui s’est passé. Pourquoi quelqu’un s’engage-t-il sur la voie de la pédophilie ? Comment comprendre ce que vivent les victimes et pourquoi encore de nos jours il est souvent si difficile pour elles de témoigner ? Pourquoi y a-t-il un aveuglement volontaire – ou non – des gens autour qui savaient ou auraient dû savoir ? Comment peut-on continuer à vivre en famille après ce qui s’est passé ?
Il ne s’agit pas de faire un procès par contumace (Jutra étant mort) ni essayer de blâmer les uns ou les autres. Il s’agit d’essayer de donner un sens à une situation qui à première vue apparaît incompréhensible.
La famille artistique a la possibilité de donner l’exemple aux centaines de familles québécoises qui vivent la même situation dans l’anonymat.
Québec Cinéma ou même l’Union des artistes auraient avantage à entamer une démarche de réflexion à partir de l’affaire Jutra sur les suites à donner pour que la famille artistique puisse fermer cette blessure.
À cette démarche devraient être associés un juriste, des cliniciens qui interviennent auprès des agresseurs et des victimes, un éthicien et de représentants de la communauté artistique qui devraient analyser cette situation et essayer de suggérer comment on peut aller au-delà de la justice médiatique et populaire actuelle et proposer des solutions qui vont dans le sens de la justice réparatrice. On devrait aller au-delà de la simple abolition du nom Jutra sur des statuettes ou dans des parcs publics. L’exclusion du nom n’amènera pas l’exclusion de ce qui s’est passé.
Il ne faut pas se leurrer : il y aura très bientôt d’autres affaires Jutra. Les artistes ne sont pas plus ni moins pédophiles que les autres citoyens. Ils sont aux prises avec les mêmes tourments de l’âme et les mêmes dérives comportementales. Nul doute que les journalistes sont déjà à l’affût pour trouver d’autres victimes de Jutra et même des victimes d’autres artistes. En outre, la forte médiatisation de l’affaire va nécessairement inciter d’autres victimes à se manifester. Il serait bien qu’on réfléchisse à la manière de les accueillir autrement que dans une dénonciation anonyme dans un journal.
Source: http://www.lapresse.ca
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