
Monléon-Magnoac | D’anciens élèves de Notre-Dame de Garaison sortent du silence
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 13/03/2025
- 08:41
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Tout part de cette gifle, évoquée il y a quelques jours par un ancien élève de l’école Bétharram au plus fort de l’affaire.
Cette scène renvoie Philippe près de 40 ans plus tôt. Son tympan gauche crevé, il le doit à une monumentale gifle, une “bouffe” comme on dit dans le Sud-Ouest, infligée en octobre 1987 par le surveillant en chef de la très réputée école catholique Notre-Dame de Garaison à Monléon-Magnoac dans les Hautes-Pyrénées.
Ce traumatisme n’est qu’une petite partie de ce que Philippe dit avoir vécu et vu dans cette institution catholique où le châtiment corporel semble avoir été la règle durant des décennies pour assurer la discipline parmi les élèves pensionnaires.
Le 21 février 2025, il crée sur Facebook un groupe “Collectif victimes Notre Dame de Garaison” où d’anciens élèves de Notre-Dame de Garaison se manifestent aussitôt.
Eux aussi se sont identifiés aux victimes de violences de l’affaire Bétharram mais tous avaient, jusque-là, gardé le silence, y compris parfois au sein de leurs familles.
En quelques jours, une adresse email et un groupe Whatsapp sont créés. Des liens se nouent avec le collectif des anciens élèves de Notre-Dame de Bétharram.
Bien que les faits de violence et de maltraitance dénoncés à Notre-Dame de Garaison remontent à plusieurs décennies et sont pour la plupart prescrits, le nouveau collectif étudie avec beaucoup de détermination les suites judiciaires possibles.
“On n’est pas 60 à mentir, résume Henry* (prénom modifié), l’une de ces victimes contactées par la cellule investigation de Radio France. “A Bétharram, dit le cinquantenaire, ils ne sont pas 132 à porter plainte, juste pour s’amuser. Ce n’est pas la normalité de frapper un enfant toutes les nuits alors qu’il n’a rien fait. Il faut que ça se sache”.
Pierre Berbizier ou Jean Castex, d’illustres anciens élèves
Fondé en 1841 à deux pas d’un important lieu de pèlerinage et de Lourdes, Notre-Dame de Garaison est réputé dans la Bigorre et jusqu’à Pau ou Toulouse pour son excellence, son respect de la tradition religieuse et sa discipline envers les élèves décrocheurs ou frondeurs.
L’établissement privé est sous contrat avec l’Etat depuis septembre 1980. A l’image de Notre-Dame de Bétharram, son collège et son lycée sont toujours fréquentés par les fils et filles de la bourgeoisie régionale.
L’école s’enorgueillit de compter parmi ses anciens élèves des personnalités comme l’ex-sélectionneur du XV de France (de 1991 à 1995), Pierre Berbizier, ou l’ancien Premier ministre (de 2020 à 2022), Jean Castex qui n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Élève pensionnaire de 1984 à 1987, Philippe a été scolarisé à l’âge de 12 ans à Notre-Dame de Garaison pour redresser ses résultats scolaires et lui assurer un meilleur avenir.
Mais très vite, il subit des violences répétées commises par les surveillants et certains cadres envers des élèves, en particulier le soir et en pleine nuit pour faire respecter la discipline dans le dortoir.
“Ce sont les internes qui subissaient le plus, raconte Philippe. Les surveillants, qui étaient des élèves de terminale, avaient l’autorisation de frapper. Je me souviens de ma première nuit à Garaison, j’ai discuté avec mon voisin. Le pion m’a obligé à me dénoncer. Il m’a demandé de venir vers lui, de tenir sa lampe de poche. Il m’a mis une grosse claque dans la figure et m’a dit ‘Rends-moi la lampe et va te recoucher’. J’ai rendu sa lampe. Je suis allé me recoucher. Pas d’explication. Pas de sommation. C’était du dressage. La spécialité du surveillant général était de fouetter les élèves alignés avec un lacet en cuir tressé. Et parfois même, si ça ne suffisait pas, il nous faisait descendre l’hiver en pyjama faire des tours de la cour. Je me souviens d’un camarade qui avait pris 17 claques en une heure de cours”.
La gifle du surveillant général (aujourd’hui décédé) qui lui percera le tympan, comme le confirme un certificat médical de l’époque (photo), précipite son départ de l’école.
“Tout le monde le savait. Bétharram et Garaison avaient la même réputation à l’époque, ajoute Philippe. Les parents n’avaient pas conscience que les enfants vivaient des choses comme ça. Et les enfants ne parlaient pas”.
Sollicité par la cellule investigation de Radio France, la direction du groupe scolaire Notre-Dame De Garaison n’a pas répondu à nos questions.
Mais suite à nos révélations, son directeur actuel, Joseph Corteggiani, s’est exprimé dans les colonnes de la Dépêche du Midi :
“Nous condamnons totalement ces faits anciens. Je suis désolé pour ce qu’ont pu vivre ces personnes. Je peux comprendre la colère et la rancœur de ces personnes pour les faits qu’ils ont subis. Nous n’avions pas connaissance de ces faits. Tous ces dysfonctionnements sont d’un autre temps”.
De son côté, le rectorat de l’académie de Toulouse, dont dépend le groupe Notre-Dame de Garaison, nous répond que les services académiques n’ont à ce stade relevé aucun signalement de violences commises par des membres du personnel à l’encontre d’élèves.
Contactés, les services du procureur de la République de Pau disent ne pas avoir enregistré de plaintes pour violences physiques ou sexuelles sur mineurs concernant cet établissement.
Mais nos confrères d’ici Béarn Bigorre viennent de révéler qu’un ancien élève de Notre-Dame de Garaison va saisir la justice et déposer une plainte pour violences, agression sexuelle et viol.
En 2009, la cour d’assises des Hautes-Pyrénées avait pourtant condamné à 12 ans de prison un ancien surveillant du collège Notre-Dame de Garaison pour “viols et agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans et par personne ayant autorité”.
Cet ancien surveillant était poursuivi pour des faits commis entre 1987 et 2006 visant plusieurs enfants scolarisés dans cet établissement. La plupart des nouveaux témoignages visant ce groupe scolaire catholique évoquent des violences physiques, des brimades, un climat de peur entretenu par certains surveillants et cadres mais pas de violences sexuelles commises par des adultes.
“Apprendre à se taire, avec violence”
Sophie* est l’une des rares femmes à témoigner pour la cellule investigation de Radio France. A seulement 13 ans, elle reste choquée par une très violente agression de la part du surveillant en chef déjà cité par Philippe.
D’abord malmenée par un surveillant qui l’empêche de lire à l’étude, elle est reçue par le surveillant en chef.
“Je suis arrivée devant le bureau, raconte difficilement Sophie. Quand il a ouvert la porte. Il m’a aussitôt frappée. Coups de pieds. Coups de poings. Il m’a attrapée la tête et m’a tapée de droite à gauche contre les murs. Ça a duré assez longtemps. Après, je ne me rappelle plus trop ce qui s’est passé. Je n’ai pas de souvenir. J’ai un trou noir. Le soir, une fois rentrée chez moi, j’ai fini par le dire à ma mère. Le directeur de l’époque, le père Y.L., l’a reçue. Il lui a proposé de me faire passer directement dans la classe supérieure si elle ne faisait pas de vagues et gardait le silence sur cette affaire. Ma mère a refusé et j’ai changé d’école en cours d’année pour aller dans le public. A l’époque [début des années 1980, ndlr], on ne portait pas plainte. Ça ne se faisait pas. Moi j’ai vu des gamins se faire péter le nez, se faire ouvrir les arcades sourcilières. J’ai vu le surveillant général avec ceinturon ou lacets en cuir frapper des petits. Ce n’était pas tout le temps comme cela. Il y a des moments où j’ai rigolé aussi avec mes camarades. Mais on ne peut pas parler de charité et de compassion et, à côté de cela, tabasser des enfants. Je ne méritais pas ce qui m’est arrivé. Les garçons ne méritaient pas d’avoir un pion qui les tapait avec des santiags pointues directement dans l’anus. C’est d’une violence absolue. Moi, ça a eu des effets sur tout le reste de ma vie. On m’a appris à me taire. Notre-Dame de Garaison m’a appris à me taire, mais avec violence”.
Le collectif d’anciens de Notre-Dame de Garaison dit recevoir de nouveaux témoignages allant de la fin des années 70 jusqu’à la fin des années 90. Mais aussi des commentaires d’anciens élèves qui défendent l’institution en soulignant qu’il s’agissait d’une autre époque et que ces témoignages arrivent bien tard. Des arguments qui font bondir Henry* qui a fréquenté le collège à la fin des années 80 après avoir été refusé à Notre-Dame de Bétharram.
“Vous rencontrerez des gens qui vous diront que quelques baffes, ça n’a jamais tué personne, dit-il. Effectivement. Mais le problème, c’est qu’on a on a massacré des enfances. On a massacré des sensibilités. Moi, j’ai toujours été marqué par ça. J’ai toujours ressenti une profonde colère. J’ai mis dix ans à dire à mes parents ce qui s’était passé là-bas. Je pense que je ne suis pas le seul dans ce cas. Un de mes camarades avec qui j’étais à Garaison m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais : “Toi aussi quand tu en parles, on ne te croit pas ?”.
Giflés les uns derrière les autres, mains dans le dos
Comme plusieurs élèves contactés par Radio France, Henry décrit une sorte de rituel nocturne qui avait lieu dans le grand dortoir abrité dans les combles du bâtiment principal, où dormaient près de 80 enfants.
“Une fois les lumières du dortoir éteintes, s’il y avait un bruit, un chuchotement parmi les enfants, la procédure était d’allumer les néons dans leur intégralité, de demander aux élèves de se lever devant leur lit et de mettre les mains derrière le dos. Et à ce moment-là, le surveillant passait et giflait tous les élèves les uns après les autres. Lorsque vous tentiez de vous protéger ou de baisser la tête, il frappait à nouveau jusqu’à ce que la claque puisse passer. Il y a des nuits où on prenait deux claques et des nuits où on en prenait quatre. J’ai un souvenir très précis d’une systématisation de la baffe et de la peur que je ressentais à l’époque. Vous étiez complètement en état de vulnérabilité. Et ce qui me révolte, 37 ans plus tard, c’est que l’institution, évidemment, savait. Les surveillants, leur chef, des cadres, pratiquaient les châtiments corporels”.
Marc*, un autre ancien élève, témoigne, lui aussi. Il se souvient d’un professeur de mathématiques qui lui avait mis une gifle si forte qu’il s’était uriné dessus. Ou de ce cadre de l’école qui s’en prenait régulièrement aux plus jeunes en les pinçant violemment.
“Son surnom, c’était le crabe, se souvient Marc*, parce qu’il nous pinçait la joue si fort qu’il nous soulevait de terre. Il surveillait les douches mais cela ne m’a pas empêché d’y être agressé sexuellement par d’autres élèves plus grands. J’ai réussi à parler, il y a quelques mois, de tout ça, à ma femme. Mais je ne l’ai jamais évoqué avec mes parents”.
Contacté par la cellule investigation de Radio France, l’ancien cadre de l’école cité par Marc, aujourd’hui diacre du diocèse de Tarbes et Lourdes, dit “ne rien savoir de tout cela”.
Il y a quelques années, la presse locale le décrivait comme “la mémoire de Notre-Dame de Garaison”.
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