Meaux | Encore une affaire de proxénétisme de mineurs, 2 hommes en prison

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« J’ai eu du mal à rester dans la salle. Je suis vraiment choquée. C’est horrible ! À 15 ans… »
L’affaire douloureuse, jugée le 1er juin au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), tourne autour de trois destins fauchés. Une jeune fille de 15 ans, vendue chaque nuit à une vingtaine d’hommes ; un tout jeune proxénète qui lui volait ses gains ; son complice, un étudiant modèle désormais en prison.

Dans le box de la chambre correctionnelle des comparutions immédiates, ils sont trois.

Seul l’un d’eux en sortira libre, relaxé en soirée.

D’abord, on est surpris par leur jeunesse ; on le sera plus tard par l’effronterie de deux d’entre eux.

Pourtant, la prévention est alarmante : proxénétisme aggravé.

En outre, le principal mis en cause est suspect de violence.

Djameldine, dit « Djamal », a frappé Jade* lorsqu’elle a arrêté de se prostituer.

Petit et fluet dans son sweat vert anis, Djamal, 21 ans, nie les faits et plastronne devant sa vingtaine de copains serrés coude à coude dans la salle exigüe.

A sa gauche, Axel*, 20 ans, a prêté sa chambre en résidence universitaire pour faciliter les activités de Jade.

Il se dit innocent : à l’époque des allées et venues, de janvier à février 2022, il séjournait chez sa mère aux Antilles.

Quand il a été placé en garde à vue, le 30 mai, elle a sauté dans un vol vers Paris.

Et la voici au deuxième rang d’un tribunal, pour la première fois de son existence.

Rencogné contre la porte menant à la souricière du palais de justice, il y a enfin Sébastien*, 22 ans, sweat à capuche comme Djamal, et aussi hâbleur, jurant n’avoir été ni chauffeur ni garde du corps de Jade.

« 8 000 euros ? Tu peux te les faire en un mois ! »

Jade est au premier banc.

Mains dans ses poches d’anorak, elle ignore le poids des regards sur sa nuque.

Déterminée, elle veut « qu’ils assument ».

Elle chuchote à l’oreille de sa maman, « tombée des nues », découvrant au fil de l’audience les horreurs subies par sa fille de 15 ans.

Le 16 février, ses cousines la récupèrent à Torcy, hagarde, parlant de « séquestration et de coups ».

La police judiciaire est saisie.

Perquisition au Crous, chez Axel, auditions à l’hôtel où Jade effectuait ses « prestations », vidéosurveillance, identification, bornage des téléphones.

Djamal et Sébastien sont arrêtés, le troisième se présente au commissariat.

Il est heureux que la juge Emmanuelle Teyssandier-Igna préside les débats car elle fait toujours montre d’empathie.

Qualité utile pour amener Jade à se confier, après un rapport des faits dont l’écoute a déjà été difficile.

Elle garde les mains dans ses poches à la barre:

« Ça a commencé en janvier… j’ai rencontré un ami, j’ai dit que j’avais besoin d’argent »

Elle est en rébellion contre sa mère, contre l’internat où elle est scolarisée, contre tout, en fait.

Elle voudrait 8 000 euros.

La présidente :

« – Pour faire quoi ?

– Je ne sais pas… Sortir, acheter des vêtements… »

Envies simples, à portée de bourse de sa maman, mais pas question de lui réclamer un centime.

Djamal la contacte via le réseau Snapchat et la jauge sur photo.

Il assure:

« 8 000 euros ? Tu peux te les faire en un mois ! »

Le piège vient de se refermer.

« Je lui payais un grec, elle me faisait une fellation »

Avec fermeté, bien qu’à l’évidence gênée par la crudité des mots qu’il faut poser sur les événements, Jade dévoile 47 jours de sa vie de « gagneuse » :

« 25 à 30 demandes » de 22 heures à l’aube, « 15 à 20 clients parce que plus, c’était impossible, même si les fellations, c’est rapide », « dans les voitures, à l’hôtel puis au Crous. »

Jade rapporte beaucoup d’argent.

Seulement, elle n’en voit pas la couleur.

Il lui arrive de planquer des billets sous le matelas de l’hôtel.

Parfois, elle n’a même pas de quoi acheter des préservatifs.

« – Vous faisiez comment, dans ce cas ?

– Ben… je faisais sans… »

Les magistrats, habitués à juger des proxénètes, « chaque semaine », dira le procureur David Coullaud, n’en sont pas moins atterrés.

La jolie jeune fille poursuit :

« En février, je tombais en dépression. J’ai dit à Djamal : “Je veux plus trop le faire”. Il s’est énervé, m’a mis une patate. Je voulais mon argent et arrêter. »

Ainsi se retrouve-t-elle à la gare de Torcy, sans un sou.

Ses cousines la sauvent.

Djamal s’emporte :

« Eh ben là, elle a bien menti ! »

Il est rappelé à l’ordre, il le sera plusieurs fois.

Le jeune moustachu s’en moque ; seule sa version mérite l’attention :

« Je l’ai connue sur Snap, ouais, c’est une nymphomane qui faisait ça à l’œil. Vous voyez ce que je veux dire ? »

Madame Teyssandier opine et relance :

« – C’était gratuit, donc. Ça arrive souvent ?

– Ah non, c’est pour ça que c’était bien, rigole-t-il avec le public.

– Elle était votre petite amie ?

– Du tout ! Je lui payais un grec [un sandwich gyros, dérivé du kebab], elle me faisait une fellation. Elle était en galère.

– C’est arrivé combien de fois ?

– En gros, trois rapports sexuels chez moi, sept fellations dans un escalier. Mais je lui ai mis zéro patate ! J’étais juste son plan de secours. »

« On n’est pas dans une salle de sport, ni au marché ! »

La maman, belle, élégante, succède à sa fille:

« J’ai eu du mal à rester dans la salle. Je suis vraiment choquée. C’est horrible ! À 15 ans… »

Incapable d’expliquer l’origine de leur mésentente, elle s’interroge sur les soudains besoins de son enfant :

« Pourquoi se prostituer ? Chaque mois depuis sa naissance, je vire de l’argent sur son compte. Il est blindé ! Elle a 16 000 ou 20 000 € ! Elle mange à sa faim, n’a jamais fugué… »

Dans le box, Djamal rit, hèle ses potes.

Sébastien détache ses fines tresses, étire les muscles de ses bras.

La juge gronde:

« Eh oh ! On n’est pas dans une salle de sport, ni au marché »

Tous deux insistent : Jade ment.

D’accord, on a compris, point final.

Et Axel, si poli, où le situer ?

Il jure avoir perdu ses clés de studio, il était aux Antilles « quand c’est arrivé », n’a « fait aucun déplacement avec cette jeune fille. Sans la brusquer, elle me confond avec quelqu’un ».

Hélas pour lui, un élément ouvre la voie aux spéculations : il a refusé de déverrouiller son téléphone. « Pour préserver des choses intimes », certifie-t-il. Jade est formelle : il l’a véhiculée chez des clients avant son départ aux Caraïbes.

La personnalité des deux lutins est vite résumée : Djamal est plombier, vit chez sa mère, fume trop de joints ; Sébastien a été condamné trois fois pour trafic de cannabis, ne travaille pas.

Le sage Axel n’a pas de casier judiciaire et vient de passer les écrits du BTS : « Les résultats ? Je les sens bien. »

 Les sanglots d’Axel, accroché à sa mère

L’avocate de la partie civile, qui remplace au pied levé un confrère, plaide « pour une victime en train de dépérir ».

Elle sollicite une expertise afin de déterminer son traumatisme.

Le procureur David Coullaud convient que « les traces [des épreuves] seront durables ».

Il en a assez « des dossiers de proxénétisme, des atteintes à la dignité de la personne, un fléau en Île-de-France ! »

Selon lui, l’enquête a attribué les rôles, les centaines de « points de contact » entre les portables des hommes et de Jade confirment le délit.

Djamal « recrute, organise le travail, en tire profit. Il est son proxénète. »

Sébastien « réserve les chambres d’hôtel » et Axel met « son appartement à disposition du réseau ».

Pour « faire passer un message », il requiert cinq ans de prison ferme contre Djamal, trois pour ses comparses.

Me Lucile Levet défend Sébastien.

De son implication, l’avocate de Meaux n’a « aucune certitude ».

Il est vu sur les caméras de l’hôtel ?

« Et alors ? Il n’est pas interdit d’y prendre une chambre ! Il ne suffit pas de dire, il faut prouver. »

Elle souhaite la relaxe au bénéfice du doute.

Me Maxime Levin, du Barreau de Paris, est sur la même ligne pour Axel :

« Il est important de recueillir la parole des femmes, toutefois les éléments matériels tangibles doivent suivre. Là on ne les a pas. »

Son client « absent, c’est avéré, ne se doutait de rien. Il a une famille aimante. Pourquoi lui ? Au regard des carences de l’enquête, vous devez le relaxer. »

Me Jean-Christophe Ramadier intervient en faveur de Djamal.

Il se tourne vers Jade, « cette pauvre gamine » :

« J’espère que vous vous en sortirez. »

Puis il exprime sa « colère » de vouloir « envoyer un message aux proxos sur le dos d’un gars de 20 ans (…) Le dossier, d’une vacuité rarement vue, est bâti sur des approximations inadmissibles ! ».

Il regrette:

« Que la police n’ait  pas exploré le train de vie, son compte, son appartement conspiratif comme dirait l’ancien procureur de Paris [François Molins, Ndlr]. Si elle avait creusé, peut-être n’accuserait-on pas celui-ci, qui bégaie trois mots, qui est shooté au cannabis, d’être le cerveau d’un réseau ».

A 20h25, cinq heures après leur arrivée dans le box, Sébastien est relaxé.

Djamal est condamné à trois ans de prison dont un avec sursis.

Axel part aussi en détention : 30 mois, dont 12 avec sursis.

Ils suivront des soins, un stage de citoyenneté, indemniseront Jade en janvier 2023, après l’expertise psychologique.

Axel éclate en sanglots.

Il pleure tant, si fort que la présidente Teyssandier-Igna autorise sa mère à s’approcher du box.

Par la fente de la paroi vitrée, elle serre ses mains, il s’accroche, refuse de la lâcher, implore son pardon.

Scène déchirante.

La juge fait évacuer le public, la mère reste.

Jade s’en va avec la sienne.

Dans ses yeux, on ne décèle ni satisfaction ni tristesse.

Son regard est éteint.

*Prénoms modifiés

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