Paris | L’association l’Ange Bleu visée par une enquête pour non dénonciation de crime
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
- 25/06/2020
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L’Ange Bleu dans le collimateur de la justice
L’association de prévention contre la pédophilie l’Ange bleu est visée par une enquête, étant soupçonnée d’avoir recueilli des témoignages de pédophiles sans en avoir avisé la justice, a appris mardi l’AFP auprès du parquet de Paris.
Cette enquête, ouverte le 19 mai pour «non-dénonciation de crime commis sur mineurs de (moins de) 15 ans», a été confiée à la Brigade de protection des mineurs. Selon une source proche du dossier, elle a été ouverte suite à un signalement anonyme effectué sur la plateforme contre les violences sexistes et sexuelles.
Fin mai, plusieurs associations de protection de l’enfance et de lutte contre les violences sexuelles, parmi lesquelles Innocence en danger, avaient annoncé dans un communiqué avoir envoyé au parquet des signalements pour qu’il fasse la lumière «sur les agissements de Latifa Bennari», la présidente de l’Ange bleu.
Celle-ci réunit chaque mois depuis 1998 pédophiles abstinents et agresseurs pour un groupe de parole qui associe aussi des victimes.
«Je ne dénonce pas» les pédophiles
Dans ce communiqué, les associations dénonçaient plusieurs propos de Latifa Bennari, notamment lors d’une interview en août sur Europe 1, au cours de laquelle elle avait déclaré ne pas dénoncer les pédophiles passés à l’acte. «Je ne dénonce pas parce que je ne me substitue pas à la victime (…) parce que (…) beaucoup de victimes veulent ou voulaient juste comprendre», avait-elle déclaré.
«Il est à craindre de nombreuses victimes étouffées par le silence des mots et la protection apportée par cette association»
a déclaré la présidente d’Innocence en Danger, Homayra Sellier, citée dans le communiqué. Latifa Bennari a dénoncé mardi auprès de l’AFP des «propos mensongers» relayés par des associations qui agissent «par haine et par vengeance».
«Mon rôle n’est pas de dénoncer, mon rôle c’est l’écoute. Ce n’est pas à moi de me substituer à la victime, c’est à elle, ou à ses parent si elle est mineure, de déposer plainte. Mais je peux les orienter dans cette démarche»
a-t-elle ajouté, estimant n’avoir «jamais eu la sensation de laisser libre un agresseur». Elle a dit également avoir déposé une plainte en diffamation contre Kathya de Brinon, militante engagée contre les violences sexuelles sur mineurs, qui a participé à un groupe de parole animé par Latifa Bennari en 2018 et qualifié ses méthodes de «dangereuses» sur les réseaux sociaux.
source : lefigaro
L’Ange Bleu, association de prévention de la pédophilie, joue-t-il à l’« apprenti sorcier » ?
Une enquête a été ouverte par le parquet de Paris contre cette association créée en 1998 et dont les méthodes ne font pas l’unanimité. La mère d’une victime de pédophilie témoigne dans « l’Obs ».
Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « non-dénonciation de crime commis sur mineurs de (moins de) 15 ans » contre L’Ange bleu, a-t-on appris par l’AFP ce mardi 23 juin. Cette enquête a été confiée à la Brigade des mineurs le 19 mai, car le parquet soupçonne cette association de prévention contre la pédophilie d’avoir « recueilli des témoignages de pédophiles sans en avoir avisé la justice », selon l’AFP.
Dans le monde de la protection de l’enfance, L’Ange bleu, créé en 1998, divise depuis plusieurs années. Le 31 mai, dans un communiqué, sept associations de protection de l’enfance, dont Innocence en danger, annonçaient avoir saisi le parquet pour « faire la lumière sur les agissements de Latifa Bennari », sa présidente.
Couple de sexagénaires bon chic bon genre
C’est en 2016 que Leticia a contacté pour la première fois L’Ange bleu. Il en a fallu, des années, à cette mère de famille de Montpellier pour tenter de reconstituer le fil des agressions sexuelles subies par sa fille. Pendant des heures, elle a fouillé des cartons et des vieux agendas afin de retrouver précisément ce qui s’était passé en 2009, année où Maëva*, 7 ans au moment des faits, a été violée par leur voisin.
Sur les photos de cette époque, la petite fille pose avec un grand sourire, devant un immense gâteau d’anniversaire. Autour d’elle, un couple de sexagénaires bon chic bon genre : elle, en chandail rose, cheveux au carré blonds et foulard broché. Lui, dégarni et bedonnant, la regarde, amusé. Brigitte et Michel V., le couple de gentils voisins toujours prêts à rendre service, tondre la pelouse du jardin, faire quelques courses et, parfois, garder les enfants après l’école, les soirs où Leticia, alors en plein divorce, était débordée.
Les V, Leticia les aimait beaucoup : « Ils étaient comme mes parents et moi, j’étais comme leur fille ». Les V., un couple sans histoire, parents et grands-parents de quatre petits-enfants très polis qui venaient de temps en temps leur rendre visite à Jouars (Seine-et-Marne) où ils habitaient dans une résidence avec jardins partagés. Jamais Leticia n’aurait soupçonné que, pendant que Brigitte lui coupait les cheveux et prenait soin d’elle, son mari emmenait sa fille dans leur garage et la violait.
« Jamais Maéva ni son petit frère, témoin d’une scène lui aussi, ne m’avaient dit quoi que ce soit ».
Les dessins de sa fille auraient pu l’alerter, si elle avait eu les clefs pour les décrypter.
Ensuite, le temps a passé. Leticia a déménagé à Montpellier et perdu de vue le couple. Ce n’est que sept ans plus tard que les mauvais souvenirs sont réapparus dans le cerveau de Maëva.
En flash. Un soir de crise et de cris, elle hurle à sa mère : « J’ai été violée et tu ne l’as même pas vu ».
« Le soir même, je suis descendue en pleurs au commissariat du coin de ma rue. Les agents étaient débordés et m’ont dit de repasser ».
Positionnement « flou »
Le lendemain, avant de retourner au commissariat, Leticia a tapé sur Google : « conseils aux victimes de pédophiles ».
« Le premier résultat qui est apparu, c’était l’association l’Ange bleu ».
Sur la bannière du site Internet, un slogan, « Ensemble, faisons parler le silence ». Et en dessous, le numéro de portable personnel de Latifa Bennari, la présidente, « à votre écoute avec toute son expérience de terrain depuis les années 70 ».
Leticia n’avait jamais entendu parler de cette association qui met en relation, depuis 1998, des victimes de pédocriminalité et des pédocriminels à travers des groupes de parole, « dans une ambiance de non-jugement, de respect et de convivialité ».
« Au téléphone, juste après lui avoir raconté ce que je venais d’apprendre de la bouche de ma fille, la première chose qu’elle m’a dit, c’est : “Surtout, n’allez pas porter pas plainte. Ça ne sert à rien et, en plus, ça n’aboutit jamais” ».
S’en sont suivis un long discours sur le positionnement de victime, la nécessité de « faire avec », les « vies qu’on brise en dénonçant » et l’envoi, par Latifa Bennari, de plusieurs extraits de son livre « Pédophilie : prévenir pour protéger » (Ed. du Rocher), un recueil de témoignages mêlant les récits de sa vie – elle-même raconte les viols qu’elle a subis de son grand-père entre ses 6 et 14 ans -, des paroles de pédophiles et de victimes.
« J’ai trouvé la démarche étrange et dérangeante. J’avais l’impression qu’elle cherchait plus à protéger les pédophiles que leurs victimes », explique Leticia.
Ce positionnement « flou », « ambigu » même, selon Leticia, est dénoncé depuis des années par des professionnels de la protection de l’enfance, qui s’interrogent sur le sérieux de Latifa Bennari, et sa « méthode informelle de prévention unique en France ».
« Une méthode qui n’a jamais été validée scientifiquement par des experts », s’inquiète Lyes Louffok, ancien enfant placé et membre du Conseil National de la Protection de l’Enfance.
« Latifa Bennari n’est ni médecin, ni psychiatre, mais elle est convaincue qu’elle détient la vérité parce qu’elle-même a été victime », analyse Martine Brousse, présidente de La Voix de l’Enfant, une fédération reconnue d’utilité publique qui regroupe plus de 80 associations.
« Thérapeute autodidacte »
« Plus grave, elle pense qu’en aidant les pédophiles, elle peut se substituer à la justice et ne pas dénoncer leur crime » dénonce Homeyra Sellier, présidente d’Innocence en Danger qui rappelle que le fait, pour quiconque, de ne pas dénoncer les crimes sur mineurs est punissable de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende.
Qui est donc Latifa Bennari, surnommée « la femme qui écoute les pédophiles » par Europe 1 ?
Au téléphone, cette « thérapeute autodidacte », comme elle se décrit, nous a confié traiter entre 300 et 500 cas par an : « Tous les jours, je reçois des dizaines d’appels, de lettres, de gens inquiets pour un proche ou pour eux-mêmes, et qui me demandent de l’aide ». Parmi eux, de plus en plus de « pédophiles adolescents ».
Ceux-là, Latifa Bennari refusent de les signaler à la justice :
« Les trois-quarts d’entre eux ont été eux-mêmes victimes d’abus sexuels quand ils étaient enfants. Ils me contactent parce qu’il n’y a aucune autre association en France vers qui ils peuvent se tourner. Et vous voudriez que je les signale alors que je suis censée les aider ? »
Celle qui dénonce une « cabale » contre elle, « organisée via les réseaux sociaux par des militants radicaux », assure par ailleurs que les pédophiles qui viennent à ses groupes de rencontre ne sont pas ou plus « actifs » : « Ce sont tous des pédophiles abstinents et repentis, qui luttent contre leurs désirs et cherchent à travailler sur eux-mêmes et à prendre conscience de la souffrance qu’ils ont causé à leurs victimes ».
Il y a quelques années, Delphine*, 35 ans, a assisté à un groupe de parole de L’Ange Bleu. Parmi les personnes présentes, elle se rappelle qu’il y avait autour de la table Hugo*, un père de famille qui avait longuement évoqué l’attirance qu’il éprouvait pour ses enfants.
« Il avait raconté avoir été dénoncé par son psy, vivait éloigné de ses enfants et semblait avancé dans sa prise de conscience du problème, nous raconte-t-elle. Mais à côté de lui, il y avait un père incestuel en attente de sa procédure judiciaire qui ne semblait pas encore bien comprendre le problème ».
Tous s’étaient présentés comme « abstinents », en attente de leur procès ou en sortie de prison. Mais comment le vérifier ?
« Je n’aurais pas pu tenir, je me serais suicidé »
Sur France-Culture, le témoignage d’un certain Bruno*, publié le 22 mai 2020, a enflammé Twitter. Ce père incestueux remerciait Latifa Bennari d’avoir réussi à convaincre son thérapeute de ne pas le signaler tout de suite à la justice :
« Quand j’ai appelé Latifa, elle a tout de suite compris. Elle a demandé au thérapeute si, selon lui, en son âme et conscience, je représentais un danger pour les enfants, et il a répondu “non”. Elle l’a convaincu de ne pas me jeter tout de suite en pâture à la justice, et je lui en suis infiniment reconnaissant. Si toute la machinerie judiciaire s’était mise en branle à ce moment-là, je pense que je n’aurais pas pu tenir, je me serais suicidé. J’ai eu un sursis. »
Latifa Bennari insiste : si elle a des ennemis partout, c’est parce qu’elle s’attaque à un « tabou majeur de la société française » :
« On confond la pédophilie, qui est une orientation sexuelle et la pédocriminalité, qui est un crime ».
Selon elle, « la répression est nécessaire voire indispensable, mais elle ne saurait suffire à elle seule et, dans certains cas, elle est même contre-productive ». Pourquoi ne pas mettre en place des mesures alternatives, « plus efficaces dans beaucoup de cas et qui ne coûtent rien aux contribuables ?, s’interroge-t-elle.
Le problème, c’est qu’on refuse aux pédophiles le besoin d’être entendu et respecté en tant que personnes ».
Pour Mie Kohiyama, président de Moi-Aussi-Amnésie, l’une des sept associations qui a saisi le parquet, « le problème de Latifa Bennari, c’est qu’elle mélange la chèvre et le chou avec des méthodes d’apprenti sorcier qu’elle n’a pas l’air de maîtriser : qu’elle se mette du côté de la souffrance et de l’isolement des pédocriminels, soit. Mais on dirait qu’elle utilise les victimes comme des cobayes pour leur venir en aide. Dès lors qu’on banalise la pédocriminalité, voire qu’on la déresponsabilise en mettant sur le même plan la souffrance d’adultes et celle de mineurs non-consentants, on participe activement au système de l’invisibilisation déjà majeure des centaines de milliers d’enfants agressés, dont seulement 1 % des plaintes parviennent aux assises ».
Leticia n’a finalement pas écouté les conseils de Latifa Bennari et a finalement déposé plainte en 2016, en se constituant partie civile. Un juge d’instruction a été saisi en 2018.
* le prénom a été modifié
De Marie Vaton
Source : NouvelObs
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