La Réunion | Laxisme pour celui qui prostituait sa petite-copine mineure

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Placée en foyer, elle le rencontre au cours d’une fugue …
Le tribunal avait à juger une affaire peu courante ce mercredi 22 février 2023. Deux jeunes majeurs devaient s’expliquer pour proxénétisme aggravé.

C’est une configuration peu banale à laquelle étaient confrontés les juges du tribunal de Saint-Pierre ce mercredi 22 février.

Devant eux, deux jeunes majeurs soupçonnés de proxénétisme aggravé.

L’un a tout juste 18 ans, l’autre 21 ans. Dès l’entame de l’audience, le premier prévenu, Dylan, demande un délai afin de préparer sa défense. Délai accordé jusqu’au 22 mars prochain. Quant au second prévenu, Ewan, il n’est pas opposé à être jugé dès aujourd’hui.

C’est donc un jeune homme tout juste majeur, né en 2004, qui tente d’expliquer l’incompréhensible, à ce jeune âge. Ewan, 18 ans, est accusé de proxénétisme sur une période allant de septembre dernier à ce mois de janvier 2023 à Saint-Pierre.

La victime n’était autre que sa petite amie, mineure. L’adolescente née en 2006 est placée au Foyer de l’enfance de Terre rouge, un établissement du Département accueillant les jeunes en rupture sociale.

Lui est sans domicile fixe. Elle, fugue régulièrement du foyer. Leur rencontre se fait d’ailleurs dans ces conditions. L’adolescente, renseignée par d’autres jeunes filles du foyer, se prostituait déjà pour se faire de l’argent.

Des clients approchés via un célèbre site de rencontres

Tout comme Dylan (qui a donc demandé un délai), Ewan est accusé d’avoir bénéficié du partage de la recette de la prostitution de la jeune fille de 16 ans. Celle-ci pouvait conclure avec trois ou quatre clients par semaine, assure Ewan. Elle, dit plus.

Une sorte de contrat de travail est même retrouvé dans les fichiers de son téléphone, ce qui semble attester d’une organisation bien définie au sein du trio. Pour le jeune homme, ce contrat c’était plutôt comme “un délire”. Lui était le patron, elle la salariée et Dylan était une sorte d’intermédiaire qui prenait une commission de 10% pour le prêt de son téléphone par le biais duquel les rendez-vous avec les clients étaient fixés. Les clients passaient par un célèbre site de rencontres.

Ce sont des fellations qui étaient le plus souvent proposées et tarifées à 80 euros. La prestation pouvait avoir lieu dans la rue, vers la gare routière, dans le véhicule des clients mais le plus souvent dans les petits hôtels où le couple résidait. L’argent ainsi obtenu servait justement à payer les chambres, se nourrir, se vêtir et parfois à acheter de l’alcool. Le couple s’est également offert un séjour dans un hôtel du front de mer, note la présidente du tribunal.

Les protagonistes de ce business avaient été entendus en octobre dernier suite à un différend avec un client mais l’activité s’était poursuivie et avait même augmenté. Ewan n’est jamais très loin, parfois même dans la salle de bain, quand la jeune fille est avec un client, “pour la surveiller, la protéger”, assure le jeune homme.

Face aux juges, Ewan ne semble pas dans un premier temps se rendre compte de la gravité des faits, passibles de 10 ans de prison, lui rappelle la présidente. L’expertise psychiatrique réalisée sur Ewan montre en effet une absence de remords liée à des carences affectives.

“Elle est utilisée en fait. C’est elle qui donne d’elle, qui donne de son corps. Vous vous êtes inscrit à Pôle Emploi…”

, souligne la juge.

Le prévenu n’a en effet pas eu l’idée de proposer ses services sur le site à la place de sa copine.

“Ce sont deux paumés qui se sont rencontrés”

Défendant les intérêts de la jeune fille, son avocate Me Stéphanie Saint-Bertin, représentante de l’ARAJUFA, a posé le décor d’une vie très mal embarquée pour celle qui souffre du syndrome d’alcoolisation foetale et qui a perdu sa mère d’un cancer du foie. La victime a ensuite été de placement en placement, de foyer en foyer.

La rencontre avec Ewan, “encore une mauvaise pioche pour la victime. Y a pas un moment dans sa jeune vie où l’on se dit qu’elle va avoir du répit. Sa vie est une succession de choses affreuses”, dépeint son avocate.

Le parquet a commencé ses réquisitions en rassurant la défense: les clients seront poursuivis et les établissements hôteliers feront l’objet de “procédures dans d’autres temps”.

Celui qui finalement se retrouve seul à la barre a quand même bénéficié de la “traite d’être humain”, met dans la balance la procureure.

En face, la ligne de défense du jeune prévenu a balayé aussi le passé d’Ewan.

“On voit dans ce dossier à quel point l’accompagnement des mineurs a échoué autant pour la victime que pour le prévenu”

, cible Me Frédéric Hoarau.

L’avocat fait également valoir une enfance très difficile. Son client a subi des violences dans son enfance et a aussi été placé dans le même foyer de Terre Rouge. Pour Ewan, “c’est très difficile d’avoir un autre raisonnement et de ne pas se laisser aller” (…) “Ce sont deux paumés qui se sont rencontrés”, définit-il cette rencontre qui a débouché sur le commerce du corps de l’adolescente.

Un argument amené pour demander du sursis probatoire.

Après en avoir délibéré, le tribunal de Saint-Pierre a condamné Ewan à 24 mois dont 15 de sursis probatoire avec l’obligation de soins, de travailler ou de se former, l’interdiction de contact avec la victime et de réparer les dommages envers elle, soit 3.000 euros de préjudice moral.

Une peine un peu moins lourde que les 30 mois dont 18 de sursis probatoire demandés par le parquet.

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