Hérault | Trois frères affirment avoir été violés dans un monastère

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Pédocriminel En liberté

La métropole orthodoxe grecque de France avait lancé une enquête en interne
The Archimandrite Gabriel, Abbot of the Orthodox Monastery of St. Nicholas in Joncels (34), has been making cheeses in the production workshop in the same way for more than fifty years. January 19, 2019. L'Archimandrite Gabriel, Abbé du Monastère orthodoxe de Saint-Nicolas à Joncels (34), fabrique des fromages dans l’atelier de fabrication dde la même façon depuis plus de cinquante ans. 19 Janvier 2019.
Deux ans après, leurs travaux apportent autant de réponses qu’ils soulèvent de questions.  vrai dire, ce rapport pose autant de questions qu’il apporte de réponses. Notamment sur les possibles liens que ces moines entretenaient avec… l’écrivain Gabriel Matzneff.

C’est une sorte de petite-cousine de la commission Sauvé sur les abus sexuels de l’Eglise catholique, mais au sein, cette fois, de l’Eglise orthodoxe.

Du moins, c’était l’idée.

Les travaux avaient été lancés à l’automne 2022, au lendemain d’une enquête publiée par Libération, retraçant la vie détruite de trois frères, violés lorsqu’ils étaient enfants, selon leurs affirmations, dans un monastère près de Béziers.

Des récits, recueillis séparément, glaçants tant quant à la gravité des actes qu’aux ricochets infinis sur le cours de leur vie.

Dans leur souffrance figurait le manque de reconnaissance par la justice, les faits étant prescrits.

Mais, événement rare, leur avocat a obtenu en janvier 2023 un «relevé de forclusion», ouvrant droit à une indemnisation par le fonds de garantie des victimes.

Après ces révélations, le métropolite Dimitrios, le chef des orthodoxes en France, avait fait part de son «profond effroi» et sa «grande tristesse», promettant aux frères Bepoldin une enquête interne «sans délai» confiée à une commission indépendante.

Avec cette ambition, à la manière de la commission Sauvé, de mener un travail de transparence «pour la recherche et l’établissement de la vérité».

C’est Didier Leschi, haut fonctionnaire ex-responsable des cultes au ministère de l’Intérieur, qui fut chargé des opérations.

«A titre bénévole, comme l’ensemble de la commission», précise-t-il.

A ses côtés : Elisabeth Moiron-Braud, magistrate à la retraite et ancienne responsable du bureau de l’aide aux victimes du ministère de la Justice. L’ancien procureur Achille Kiriakidès, le pédopsychiatre Gilbert Vila, aussi. Enfin, Jérôme Bertin, le directeur général de France Victimes (qui fédère 130 associations) et Jean-François Colosimo, un théologien orthodoxe, directeur général des éditions du Cerf, «précieux pour ses connaissances religieuses et historiques».

Voilà donc leurs conclusions – 40 pages en langage parfois crypté, les personnes interrogées étant présentées par leurs seules initiales.

«Le rapport décèle divers dysfonctionnements qui appellent à une sérieuse révision»,

annonce le métropolite Dimitrios dans son communiqué, imposant sous quinze jours au seul moine encore vivant du monastère Saint-Nicolas de la Dalmerie un plan d’indemnisation pour les victimes avec les fonds du monastère.

Car, même si c’est peu étayé dans le rapport, ce monastère a brassé (brasse encore ?) beaucoup d’argent en vendant des fromages de chèvre partout en France.

A vrai dire, ce rapport pose autant de questions qu’il apporte de réponses.

Notamment sur les possibles liens que ces moines entretenaient avec… l’écrivain Gabriel Matzneff. La commission indique, à propos de l’un des fondateurs du monastère :

«Il se flatte de ses fréquentations parisiennes, dont les chefs gastronomiques que dessert en fromage son monastère, mais aussi de l’écrivain Gabriel Matzneff, promoteur un temps de l’orthodoxie avant de devenir celui de la pédophilie.»

Faut-il en conclure que les deux hommes se fréquentaient ? Interrogé, Didier Leschi, le président de la commission indépendante, penche pour la négative :

«Il s’en vantait mais cela ne veut pas dire que ce soit vrai. Nous n’avons pas de preuve que Gabriel Matzneff se soit rendu à la Dalmerie.»

Peu de temps après la publication de l’enquête, une lettre anonyme parvenait à Libération citant un livre de Matzneff, l’Archimandrite, inspiré de la vie des moines

Demeure une question, autour d’autres victimes potentielles.

C’était l’une des motivations des frères Bepoldin pour médiatiser leur histoire : ouvrir la voie à d’autres. Que les «comme eux» se fassent connaître.

La commission indique que «les seuls témoignages d’abus sur mineurs sûrs et émanant directement des victimes sont ceux de la fratrie B».

Les rapporteurs ont par ailleurs identifié quatre autres personnes possiblement concernées, mais sans avoir pu les contacter.

«Certains vivent à l’étranger. D’autres veulent manifestement passer à autre chose et ne souhaitent pas s’exprimer», expose à Libération Didier Leschi.

C’est selon lui l’un des enjeux du rapport et de la publicité qui en sera faite : suscitera-t-il la libération de la parole ?

«Il n’est pas improbable que de nouvelles victimes se manifestent»,

estime Didier Leschi, faisant le parallèle avec l’Eglise catholique et le temps long qui s’est écoulé entre les premiers témoignages et l’avalanche de révélations qui a suivi.

Sur la méthode, la commission avait demandé des affichages dans les 35 paroisses de la métropole grecque de France.

C’est là une des limites de cette commission : leurs travaux ne portaient que sur les 40 000 fidèles de la métropole grecque. Sans inclure donc les orthodoxes sous le patriarcat de Moscou, d’Antioche, de Bucarest…

Or, le monastère de la Dalmerie est passé, au cours de son histoire, sous différents patriarcats.

«Cette fluidité d’une Eglise à l’autre explique en partie la faiblesse du contrôle ecclésiastique», relève Didier Leschi.

Tout comme le manque de vigilance des services de l’Etat.

Car à lire les conclusions, ce monastère, tout comme celui de La Faurie, dans les Hautes-Alpes, cochait toutes les cases des dérives sectaires.

A l’origine, racontent-ils, «la quête de la mystique» dans «l’effervescence de l’après Mai 68» : les moines étaient tous des «convertis» après des parcours de vie «au sein de milieux marginaux», avec des difficultés d’insertion sociale et professionnelle et «pour certains des addictions et des troubles mentaux».

Avec, à la clé, des mécanismes d’emprise et de manipulation mentale.

Le président Didier Leschi n’est qu’à moitié surpris :

«L’utilisation de l’emprise religieuse par des prédateurs a toujours existé.»

S’ajoute une singularité des monastères orthodoxes, qui sont non seulement des lieux de culte mais aussi de vie et de sociabilité.

Avec donc, parfois, la présence d’enfants, comme ce fut le cas des frères Bepoldin.

 

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