Genève | Les juges prennent le risque de libéré un homme de 31 ans gravement perturbé

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Dans l’immédiat, il sera soigné à Genève pendant deux mois
Le prévenu, qui avait tenté d’enlever un enfant de 3 ans dans le préau de l’Ecole Hugo-De-Senger le 14 septembre 2023 dans un moment de délire, est déclaré totalement irresponsable.

Le tribunal refuse le traitement en milieu fermé réclamé par le parquet et ordonne un suivi ambulatoire à effectuer dans son pays, en France, après avoir décidé de l’expulser de Suisse pour une durée de 5 ans. Dans l’immédiat, il sera soigné à Genève pendant deux mois.

Santé mentale et prison. Ce thème toujours douloureux, qui a motivé films et débats la semaine dernière à Lausanne, était aussi au cœur de l’affaire jugée ce jeudi par le Tribunal correctionnel de Genève.

Dans ce dossier, tout le monde est d’accord pour dire que le prévenu a agi en état d’irresponsabilité, alors qu’il était en proie à un délire psychotique, et qu’il doit prendre des médicaments pour éviter de retrouver ses démons.

Le véritable enjeu a donc résidé dans le choix de la mesure – ambulatoire ou institutionnelle – devant être prononcée.

Sans surprise, le procureur Walther Cimino a réclamé un enfermement destiné à protéger la sécurité publique d’une éventuelle rechute. Mais non. Une fois n’est pas coutume, les juges ont pris le (petit) (ndlr : l’autrice de la parenthèse est la journaliste du journal Le Temps) risque de la liberté.

A l’audience, il faut tendre l’oreille pour entendre ce grand gaillard à la voix très douce qui s’adresse au tribunal.

«C’est très très dur d’être en prison», exprime timidement celui qui a déjà passé 575 jours en détention provisoire à Champ-Dollon.

«J’étais aussi très mal à l’approche de cette audience.»

Agé de 31 ans, M. a déjà vécu plusieurs crises qui l’ont conduit à l’hôpital, mais il n’a jamais eu maille à partir avec la justice auparavant.

S’agissant du traitement, qui prévoit une injection mensuelle à effet retard afin de réduire le risque d’une interruption, il promet de le poursuivre:

«Je suis d’accord, même si la piqûre fait vraiment très mal.»

Peur dans un préau

La vie de M. se résume à une suite de coups durs. Issu d’une famille originaire du Mali, il voit le jour dans l’est de la France, perd sa mère alors qu’il est tout petit et se retrouve envahi par un grave trouble mental vers ses 18 ans.

Il trouve malgré tout le courage de continuer ses études et de passer un brevet de technicien.

Depuis lors, il est au bénéfice d’une curatelle renforcée pour majeur protégé, touche une aide sociale, essaye de trouver des boulots comme intérimaire et reste en contact avec ses proches.

L’une de ses trois sœurs est venue en témoigner:

«Nous avons de très bonnes relations, il garde nos enfants et cela se passe très bien. Nous serons là pour l’entourer.»

Cette référence aux enfants résonne avec les faits reprochés.

Ceux-ci remontent au 14 septembre 2023. Vers 19h15, à la hauteur de préau de l’école primaire Hugo-de-Senger, M. s’approche d’un petit garçon érythréen âgé de 3 ans, le prend dans ses bras et veut quitter les lieux sans un mot.

La sœur de l’enfant, une adolescente de 16 ans, crie et tente de s’interposer. C’est finalement un témoin de la scène qui force le prévenu à lâcher le garçon en le mettant à terre et en lui donnant des coups.

Parti en direction du centre-ville, il est rapidement interpellé par une patrouille de police appelée en urgence. Le tout dure une dizaine de minutes. Amené au poste, il panique et refuse la fouille.

A l’intention du président, le jeune homme confirme ce qu’il a déjà expliqué lors de l’instruction:

«Sur le moment, j’ai cru que c’était mon neveu et je l’ai emmené pour le mettre en sécurité. C’était la maladie qui a induit cette confusion. J’avais arrêté mon traitement.»

Aux yeux du procureur, qui dépeindra «un être grommelant et appelant au divin» à l’heure du réquisitoire, cette version du neveu à protéger est «édulcorée».

Traitement efficace

Selon les conclusions de l’expertise, point de doute: M. souffre d’une schizophrénie. Les jours précédant les faits, l’intéressé avait vraisemblablement réalisé un voyage «pathologique» qui l’avait conduit en Suisse.

Il présentait alors une décompensation psychotique claire et importante, avec au premier plan des idées délirantes, une désorganisation de la pensée et du comportement, qui avait eu un impact grave sur son fonctionnement psychique.

Il a donc agi sans réaliser du tout que ce qu’il faisait était mal et sans pouvoir contrôler ses actes.

Appelé à la barre, l’expert pense toujours que le risque de récidive est faible à modéré tant que le prévenu est stable et prend ses médicaments.

Un risque qui peut encore être diminué par un suivi psychiatrique très régulier, comprenant notamment un traitement pharmacologique contrôlé et une abstinence au cannabis.

L’enfermement ne présentant aucun bénéfice dans ce cas, il préconise un traitement ambulatoire, sur le long terme, avec accompagnement de probation et activité occupationnelle.

Il pense d’ailleurs plus opportun que M. reprenne ce suivi dans la région de son lieu de vie pour être mieux entouré.

«Une mesure institutionnelle ne ferait que repousser la problématique», estime encore le psychiatre.

Une double détente

Pas de quoi convaincre le procureur Cimino.

«Le prévenu est conscient de sa maladie et il est plein de bonnes intentions, mais il peine à respecter son traitement et peut s’avérer dangereux.»

A ses yeux, une solution ambulatoire n’est pas viable en Suisse, où l’intéressé n’a aucune attache et ne veut pas rester, et ne l’est pas davantage dans l’Hexagone où l’exécution de la mesure sera impossible à contrôler depuis Genève.

Bref, il faut le maintenir en milieu fermé «jusqu’à ce que tous les voyants soient au vert» et permettent éventuellement de passer à un traitement en France.

Au nom de la mère du petit garçon, Me Yann Desmangles n’en demandera pas tant.

«La partie plaignante prend acte de l’étendue des troubles mentaux, renonce à des conclusions civiles et fait confiance à la justice.»

Une justice que la défense, représentée par Mes Tano Barth et Jean Labaume, appelle à se distancier de «l’acharnement inexpliqué et surréaliste du Ministère public» et à éviter une mesure qui serait néfaste pour ce jeune homme qui souffre terriblement de l’environnement carcéral.

Les avocats ont été entendus. Le tribunal estime que M. est stabilisé et que sa décompensation récente en prison est due à la tenue de l’audience.

Il ordonne un traitement ambulatoire à effectuer en France, tel que préconisé par l’expert.

En attendant que tout cela soit organisé, une mesure institutionnelle temporaire en milieu ouvert, à la clinique de Belle-Idée, d’une durée maximale de deux mois devra également démarrer très bientôt.

«Le risque de fuite ou de récidive n’est pas tel qu’il faille le maintenir en détention avant son départ.»

Le jeune homme (qui sera aussi expulsé pour cinq ans) peut donc entrevoir le bout du tunnel carcéral. Sauf si le parquet choisit de faire appel.

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