France | Témoignage de Mathilde Brasilier abusée par son père

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Mathilde a été l’une des toutes premières françaises victimes d’inceste à s’exprimer publiquement
Témoignage détaillé et implacable de Mathilde Brasilier, abusée par son père de 3 à 10 ans qui a décrit son chemin de croix dans un livre paru en 2018. Ici, elle va pour la première fois beaucoup plus loin. Elle démonte l’écosystème de l’omerta dans la bourgeoisie de Saint-Germain-des-Prés.

Lutter contre l’inceste pédophile ce n’est pas seulement dénoncer un prédateur.

L’abus sexuel sur les enfants, c’est toujours une construction à plusieurs acteurs.

Ce sont des adultes de référence qui regardent ailleurs, qui se taisent, des professionnels de la santé ou de la justice, qui sont distraits ou se défaussent ou encore travestissent la réalité.

Des incestes à caractère pédophile, on retient l’enfer vécu par la victime et l’identité du prédateur.

Mais la discrétion prévaut généralement sur ceux qui auraient pu intervenir et ne l’ont pas fait, sur ces adultes référents qui ont soit regardé ailleurs, soit refoulé, soit fait mine de ne pas comprendre, soit sciemment travesti l’évidence.

Sur toutes ces lâchetés minuscules ou majeures, sur toutes ces complicités passives ou actives, l’omerta ou une certaine mansuétude perdure.

Or l’inceste est toujours une « construction » collective.

Mathilde Brasilier a été l’une des toutes premières françaises victimes d’inceste, de l’âge de 3 ans à 10 ans, à s’exprimer publiquement sur les faits.

Elle a décidé aujourd’hui d’aller beaucoup plus loin en évoquant les acteurs de l‘univers incestueux familial, amical, et relationnel du théâtre bourgeois germanopratin des années cinquante à aujourd’hui.

Une distribution d’excellence : un père Prix de Rome d’architecture, des personnalités artistiques ou littéraires de renom, le peintre Balthus ou le romancier Gabriel Matzneff, un médecin de famille du Tout-Paris qui ne voit rien, un expert psychiatre auprès du tribunal tout aussi myope, de bien singulières soirées à la Villa Médicis, des souplex cadenassés à l’Agence d’architecture du père ou chez Balthus…

Et aussi les ombres de Gainsbourg ou de Jean-Marie Le Pen.

Enfin bien sûr : l’omniprésente mère de Mathilde Brasilier.

C’est seulement à l’âge de quarante ans que le souvenir des viols répétés et continus perpétrés parfois sous chloroforme par son père a pu être remémoré par Mathilde.

A la faveur d’une analyse avec la psychanalyste Catherine Dolto en 1999.

Une plainte (2001) est déposée par la fille de Mathilde qui accuse le propre père de Mathilde d’attouchements sexuels.

Plainte aussi contre sa mère pour non-dénonciation de faits dont elle avait connaissance.

Une instruction classée sans suite pour insuffisance de preuve malgré un remarquable et accablant travail d’enquête des policiers.

Une décision confirmée en appel et en cassation.

En 2019, Mathilde publie un livre aux Éditions de l’Harmattan « Le jour, la nuit, l’inceste » et multiplie les prises de parole. Dernière en date : le podcast de l’émission « Les Pieds sur terre » (France Culture) du 27 juillet 2023 : « Quand l’inceste refait surface ».

Ici, elle va pour la première fois beaucoup plus loin.

Elle démonte dans cette interview l’écosystème de l’omerta dans la bourgeoisie de Saint-Germain-des-Prés.

( Coïncidence : Libération publiait hier sur son site le début d’une enquête terrifiante en six épisodes concernant les agissements d’une bande pédocriminelle dite de « la rue du Bac ». Mêmes années, même Saint-Germain-des-Prés, et même Gabriel Matzneff à la manœuvre. La principale victime, Inès Chatin, violée aux mêmes âges que Mathilde Brasilier, met notamment en cause devant les policiers deux grandes figures de la presse : Claude Imbert et Jean -François Revel. )

Challenges – « Le plein d’idéeS » :

Vous insistez beaucoup sur le fait qu’au-delà de votre personne, c’est toute cette famille « incestuelle » et les cinq enfants qui sont entrés dans une forme de chaos.

Personne ne sort indemne de ce séisme et de ses interminables répliques.

Votre frère cadet s’est suicidé en 1985, un frère aîné très brillant a sombré dans la toxicomanie et est mort jeune, votre sœur aînée, fragilisée par une anorexie, a fait un séjour dans la secte « L’Arche », fondée par Lanza del Vasto.

Mathilde Brasilier :

Oui, chacun des membres de la famille a été extrêmement fragilisé, chacun est entré dans la vie d’adulte avec des séquelles physiques et psychologiques.

Ainsi, le jour même où ma sœur aînée a appris le décès de mon père, elle a eu un AVC et est restée plusieurs semaines dans le coma. Elle savait ce qui m’était arrivé.

Elle est décédée il y a 6 mois des conséquences de sa fragilité cardiaque. Je m’étais toujours étonnée enfant de la voir parfois jeter ses sous-vêtements dans la cheminée plutôt que dans la machine à laver.

Et du côté de vos frères ?

Mon frère aîné, décédé en 2022, avait commencé à consommer des stupéfiants à l’âge de 14 ans.

Il faisait partie d’un groupe d’adolescents de milieu très aisé du quartier Saint-Germain-des-Prés-Saint-Sulpice.

Mon père lui donnait tout l’argent qu’il demandait. Par la suite, il est devenu proche de Serge Gainsbourg et se rendait fréquemment à des soirées à son domicile rue de Verneuil. Mon seul frère vivant actuellement et qui est peintre s’est expatrié à Athènes.

Et au-delà de la fratrie ?

Mon père avait deux frères et une sœur.

Deux de mes cousins germains se sont suicidés au même âge que mon frère.

Mon dernier cousin suicidé deux années après mon frère est allé voir mon père, avant de se suicider dans le bois qui est à proximité du château de famille, où séjournait mon père fréquemment.

De votre père et de l’inceste, vous avez dit beaucoup dans votre livre et lors des différentes interviews radio et TV… Je souhaiterais que cet entretien se concentre sur les responsabilités collatérales. Sur ces adultes d’autorité qui savaient et qui n’ont rien dit. Ceux dont le statut parental ou la profession – médecin, magistrat…- conféraient le pouvoir d’aider, de sauver, de dénoncer et qui ont tout à l’inverse, refoulé, travesti, masqué la réalité des faits. Commençons par votre mère qui sait tout depuis toujours, voit beaucoup, en soufre sans doute, mais reste inerte. Peur de votre père ? Culture bourgeoise du secret : « Never complain Never explain » ? Scène sidérante quand vers deux ans, votre robe est poisseuse de sperme et que son seul réflexe est de laver la robe, sans mesurer les conséquences de l’acte. Et ensuite d’ajouter : « Mais c’est vrai que tu étais si jolie dans ta petite robe blanche. Papa était « fou de toi ».

Ma mère était une femme de caractère, particulièrement intelligente et très douée sur le plan artistique.

De plus, c’était une femme très belle, solaire.

Elle avait une allure féminine particulièrement distinguée.

Elle était sculpteur de profession et pianiste depuis son plus jeune âge.

A 16 ans, en 1939, elle avait été reçue au Conservatoire National de Paris. Comme la guerre a éclaté, ses parents n’avaient pas voulu qu’elle vienne à Paris.

Sa personnalité était très affirmée et elle ne manquait pas une occasion d’exprimer un avis contraire à celui de mon père.

Elle craignait qu’il fasse du mal à ses enfants et elle était plutôt vigilante mais ne pouvait pas l’être continuellement.

Lorsque mon père tardait à revenir depuis son agence située rue Antoine Dubois, près de l’odéon, jusqu’à l’appartement familial situé dans une rue parallèle, rue Dupuytren, ma mère élevait le ton lui reprochant de ne pas être à l’heure.

Oui mais en même temps, lors de la garde à vue, elle a manifestement décidé de ne pas parler en accord avec votre père sans doute pour lui éviter la prison. Et pourtant votre père n’hésite pas à employer un ton narquois et méprisant à son égard quand les enquêteurs lui demandent pourquoi votre mère a évoqué la pédophilie lors d’un déjeuner avec vous : « Ma femme a employé la pédophilie parce que c’est un terme à la mode. Je pense que ma femme a voulu être à la mode, d’ailleurs, elle lit les journaux. » Nous sommes en 2001 !

Oui, la complexité intime de ces deux êtes est parfois insondable.

Dans beaucoup d’affaires de ce type, la mère est sous emprise, dépendante financièrement, et doit soulever des montagnes pour se révolter ou dénoncer…

L’hypothèse de l’emprise matérielle ou psychologique pour ma mère est tout sauf évidente.

Mon père est certes Prix de Rome mais à part son statut d’enseignant aux Beaux-Arts et autres commissions spécialisées sur le patrimoine, il ne gagne pas des mille et des cents avec son cabinet d’architecte.

En fait, il perd la plupart des appels d’offres.

C’est bien ma mère qui tient les cordons de la bourse.

C’est sa famille qui a assuré l’achat de son agence d’architecture et de l’appartement.

C’est ma mère qui tient la dragée haute face à mon père dans la gestion de la famille Brasilier.

Il est mentionné dans les PV d’auditions qu’elle lui passe des savons quand il revoit un pédophile avéré qui a été condamné à la prison en Suisse pour cette raison.

Ou encore quand il nous emmène chez le peintre Balthus Cour de Rohan.

Ou durant de longues heures dans son agence d’architecture rue Antoine Dubois.

Ma mère est d’ailleurs sans illusion quant aux raisons du suicide de mon frère Fabien : « C’est la faute de papa. Tout est de la faute de papa », nous dit-elle alors.

Mais elle ne le répète jamais en public et n’explique rien de plus alors qu’elle avait été amenée, furieuse, à extraire ma propre fille du lit de son mari.

En fait, mon père est depuis toujours très souvent absent de l’appartement familial d’Odéon.

Il est souvent parti dans sa maison familiale avec sa voiture, une Triumph Spitfire 2 places, alors qu’il a 5 enfants.

Comment expliquer que votre mère ne se soit pas séparée de votre père même sans aller jusqu’au divorce. Pour mettre au moins ses enfants et ensuite les vôtres hors d’atteinte.

Il faut comprendre qu’elle était très attachée au milieu culturel de Saint-Germain-des-Prés.

Elle menaçait parfois, encore que rarement, de divorcer mais elle n’aurait jamais engagé une procédure.

Trop attachée qu’elle était aux convenances bourgeoises de l’époque.

Je pense qu’elle a poursuivi sa vie auprès de son mari, estimant que ses déviances sexuelles allaient s’arrêter. Elle voulait croire à l’image d’une famille idéalement heureuse. D’autre part, c’était un homme dont elle avait été éperdument amoureuse.

Comment a-t-elle réagi quand vous lui avez dit que vous saviez enfin tout…

Lorsque à quarante ans, je lui ai révélé mes souvenirs, il y a d’abord eu une phase de déni.

Venons-en à un autre blindage autour de cet univers incestuel : le cercle des amis proches de votre père qui étaient alors pour certains connus pour leurs penchants pédophiles ou leurs attirances pour les figures préadolescentes.

Oui il y avait Gabriel Matzneff, mais aussi les écrivains Michel Tournier et Emil Cioran et surtout aussi le très présent peintre Balthus.

Balthus chez qui mon père m’emmenait parfois.

Balthus habitait aussi tout à côté de St-Germain, Cour de Rohan.

Chez lui, comme dans l’agence d’architecture de mon père, il y avait une pièce en sous-sol où se trouvaient des enfants.

On m’avait dit que c’était pour jouer avec la fille de Balthus : or, j’apprendrai plus tard que Balthus n’a pas eu de fille…

Il faut que vous sachiez que mon père m’avait surnommé « Bonne » et mon frère cadet « Mignon ».

J’ai appris plus tard qu’il s’agissait des noms que le marquis de Sade donnait à certains de ses personnages dans : « Justine ou les malheurs de la vertu ».

Vous parlez d’un souplex dans l’agence de votre père ?

Son agence d’architecture était située sur l’enceinte de Philippe Auguste près du Couvent des Cordeliers.

Un espace très vaste, tout en pierre voûtée.

Mon père avait élaboré en sous-sol un système de trappe blindée fonctionnant sur vérin hydraulique.

Ce qui permettait d’isoler complètement l’espace souterrain où il commettait des actes pervers mais également et officiellement des réunions de la SADG (Société des Architectes Diplômés par le Gouvernement).

Revenons à l’amicale des personnalités culturelles de grand talent autour de votre père dont beaucoup se considèrent comme des créateurs d’exception, supérieurs, qui peuvent sans doute déroger au droit commun au nom de la beauté, de l’esthétisme. En tout cas, cette « amicale » qui déjeune régulièrement chez Lipp est aussi très étroitement liée à la Villa Médicis à Rome.

Premier Prix de Rome d’architecture en 1957, mon père et toute la famille se transfèrent de 1957 à 1962 à la Villa Médicis, logés dans un des pavillons avec un atelier d’architecture dans la Villa même.

C’est là que j’ai vécu mes trois premières années.

Plus tard, ma mère me confiera que des soirées privées très fermées étaient organisées dans ce lieu.

Et des jeunes filles étaient venues ensuite se plaindre à ma mère d’agressions subies lors de ces soirées…

Balthus deviendra Directeur de la Villa en 1961 après Jacques Ibert.

C’est la première fois que vous évoquez cet environnement « people » germanopratin. Comment regardez-vous ces dysfonctionnements en série des adultes référents ? Comment comprenez-vous votre mère ? Comment pouvez-vous imaginer l’enfermement intime de votre frère Fabien qui, lui, était conscient des viols et n’a pas été « protégé par l’amnésie » ? Comment comprenez-vous la réaction de votre autre frère aîné qui, peu avant sa mort vous a dit : « Papa était entouré d’amis pédophiles mais lui ne l’était pas » ?

Au début des années 1960, les actes pédophiles n’étaient pas judiciairement condamnés bien que condamnables et reconnus comme des crimes.

C’était flou. De plus, plusieurs écrivains notoirement reconnus, soutenaient les œuvres de Gabriel Matzneff (Philippe Sollers, Sartre, Simone de Beauvoir).

Je comprends encore mieux le suicide de mon frère.

Lui qui un jour à la table familiale a répliqué sèchement à mon père qui lui reprochait de ne pas parler : « Après ce que m’as fait, je n’ai plus rien à te dire ».

Lorsque l’on a conscience d’une enveloppe corporelle qui n’est plus intacte puisqu’elle a perdu son « innocence », l’existence s’avère extrêmement difficile.

Catherine Dolto utilisait alors la métaphore d’une coquille d’œuf qui a été brisée…

Vous avez gardé malgré tout une affection certaine pour votre mère, jusqu’à sa mort récente. Et vous dites vous retrouver dans les propos de Judith Godrèche quand elle évoque ses parents qui eux aussi ont laissé faire, regardé ailleurs, relativisé… La fonction de parent implique pourtant une responsabilité parentale et pénale. Est-il vrai qu’un des policiers chargés des interrogatoires vous a dit : « La pire des deux, c’est la mère » ?

En effet. J’avoue avoir été très troublée par cette remarque que j’avais trouvée inappropriée et injuste.

Cependant, il me faut vous dire que ma fille Elsa, suite à son dépôt de plainte, m’a confié que ma mère avait pour habitude de mettre une serviette-éponge dans son lit, lorsqu’elle dormait rue Dupuytren chez mes parents.

Après le suicide de mon frère Fabien, mes parents ont vite fait chambre à part.

Lorsque mes enfants venaient chez leurs grands-parents, ils dormaient dans la chambre de ma mère.

Elsa me racontait cependant que mon père lui lisait des livres le soir ou le matin dans sa chambre.

Comment expliquez-vous le silence de votre mère et a minima sa complicité passive ? Votre mère qui est de trois ans plus âgée que votre père et a le privilège plutôt rare à l’époque d’avoir une totale autonomie financière de par sa fortune personnelle. C’est une personnalité affirmée, solaire, indépendante. Votre mère ne s’en laisse pas conter et pourtant elle n’a pas mis le holà. Elle aurait plutôt tendance à relativiser ce « penchant » qu’elle déplore…

Je pense que lorsque ma mère a surpris mon père lorsque j’avais 2 ans et demi, elle a été très troublée, très inquiète, très choquée.

Néanmoins, elle a dû penser que les faits ne se reproduiraient pas, du fait qu’elle avait sévèrement « grondé » son mari…

Lorsqu’elle lui faisait des reproches, c’était un peu comme une mère qui punit un enfant qui a commis une bêtise.

D’autre part, je pense qu’elle a mesuré les conséquences des actes de son mari, seulement lorsqu’elle a perdu son fils.

Sans évoquer les actes commis par mon père, elle l’a toujours rendu responsable de la mort de son fils.

Et depuis le 6 mars 1985, ma mère a manifesté une véritable animosité à son égard.

En 2002, alors que je retrouvais régulièrement ma mère au restaurant Bofinger, près de mon domicile, elle m’avait dit un jour en me quittant : « Ce n’est pas à cause d’un problème de pédophilie par rapport à papa que tu ne veux plus que ta fille Elsa vienne chez nous ? ».

Je lui avais répondu : « Maman, puisque tu poses la question, tu la connais la réponse »

Venons-en au médecin de famille. Vous souffriez enfant d’insomnies récurrentes. Parfois vous ne parveniez pas à dormir trois jours durant et le médecin, à la demande de votre mère, venait à domicile et procédait… à des injections de valium. Pas de question. Pas de signalement. Comme si la vocation du médecin de famille était de verrouiller chimiquement les secrets de famille…

Oui, et c’est le même médecin – il soignait nombre de personnalités du Tout-Paris qui fait interner sans hésiter une seconde mon père dans une clinique psychiatrique située au château de Suresnes.

Malheureusement, le directeur de l’établissement refusera plus tard, lors de l’instruction judiciaire, de nous communiquer le dossier psychiatrique de mon père.

Au nom du secret médical. La magistrate qui avait la possibilité de l’obtenir n’en a pas fait pas la demande.

Une accumulation de micro-omissions, de petits mensonges, qui font une grande omerta.

L’autre dysfonctionnement c’est quand votre père affirme à tout l’entourage que son fils, votre frère, a été « poussé par des Arabes » du toit de Beaubourg alors que vous avez trouvé une lettre dans sa corbeille à papier qui stipule le suicide. Vous en parlez aux autorités et votre parole reste lettre morte.

Ma mère cache la lettre dans un tiroir fermé à clé.

La thèse de l’accident prévaudra dans l’annonce des obsèques à Saint-Germain-des-Prés, publiée dans Le Monde et Le Figaro…

J’irai pourtant porter la lettre de mon frère lors de ma convocation par les services de police les jours qui suivent.

Comment décririez-vous la réaction de vos parents lorsqu’ils viennent d’apprendre le suicide de votre frère du haut de Beaubourg ?

C’était pathétique. Ainsi que je le décris dans mon livre, l’ambiance de l’appartement familial était celle d’une journée ordinaire.

Ma mère n’a jamais pleuré.

Mon père a même dit haut et fort : « C’est déjà très bien de vivre 24 ans ! ».

Je lui ai rétorqué que je ne pouvais pas entendre ça.

Mes parents ont continué à soutenir la thèse invraisemblable de l’accident auprès des personnes qui venaient présenter leurs condoléances.

J’ai dit haut et fort que Fabien s’était suicidé et que par respect pour lui, il n’était pas question de déblatérer des mensonges.

L’ambiance était d’autant plus pathétique que mes parents n’affichaient aucune tristesse.

Un détail… Ma mère m’a montré qu’elle avait préparé une bonne pizza la veille et que c’était dommage que Fabien ne soit pas rentré de Beaubourg pour la manger !

Avez-vous pu aller reconnaître le corps de votre frère à la morgue ?

Lorsque mes parents ont évoqué l’obligation d’aller à la morgue reconnaître le corps de Fabien, ma mère a affirmé qu’elle ne se sentait pas capable.

C’est mon père qui y est allé. Il est revenu en disant : « Il était très beau, comme il a toujours été ».

Le rapport de police transmis par le Procureur de la République fait pourtant état d’un corps « brisé en mille morceaux ».

Puis, ma mère m’a chargée d’aller voir le prêtre de Saint-Germain pour préparer les obsèques, me précisant qu’il valait mieux éviter de dire qu’il s’était suicidé…

L’église Saint-Germain-des-Prés était pleine, mes parents n’ont pas versé une larme. Il y avait à l’évidence un malaise.

Concernant les expertises de Roland Coutanceau (2001), l’expert psychiatre commis par la magistrate, comment les avez-vous perçues ?

Ces trois conclusions d’expertises (celle sur mon père, celle sur ma mère et celle concernant ma fille Elsa) ont été bâclées autant sur l’analyse que pour la forme.

Exemple : alors que Roland Coutanceau m’avait conviée à une confrontation avec ma mère, le rapport a été supprimé du dossier au pénal.

Ce que j’avais dénoncé auprès de la Juge Marie-Françoise Verdun qui a instruit le dossier.

Lors de cette confrontation, en effet, ma mère avait lâché une réflexion capitale à mon endroit : « Si tu ne m’avais pas laissé tes enfants, il ne serait rien arrivé ! ».

Je me suis alors tournée vers Roland Coutanceau en lui disant : « Notez qu’il est bien arrivé quelque chose… ».

Sans suite. Sans trace.

Et l’expertise de votre père ?

Elle est indigente. Elle tient en 15- 20 lignes.

Elle affirme sans le moindre argumentaire que mon père est hétérosexuel et qu’il n’est pas pédophile.

Citation : « C’est un sujet fier s’étant investi de façon passionnée dans son travail d’architecte soulignant son goût pour l’art et la beauté/…/

C’est un sujet hétérosexuel ne présentant pas de tonalité pédophilique spécifique ».

“Concernant les faits, il les nie. Il se déclare très surpris. Il n’exclut pas une machination de la part de son gendre. Il émet également l’hypothèse « que les enfants ont trop regardé la télévision ». Fermez le ban.

Des parents de votre mère avaient été plus lucides…

Oui. Certains membres de la famille maternelle avaient effectivement perçu une ambiguïté chez mon père.

La plupart n’ont pas été étonnés lorsqu’ils ont appris les actes pédocriminels.

Il faut savoir que c’est mon grand-père qui avait financé l’achat de l’appartement rue Dupuytren ainsi que celui de l’agence d’architecture située rue Antoine-Dubois. Pour ma mère, en revanche, l’inceste n’était pas envisageable dans notre milieu.

Vous avez accompagné votre mère jusqu’à sa mort et vous êtes restée très proche d’elle. Regrettait-elle son silence ?

A la fin de sa vie, elle n’a eu de cesse de dire : « Je n’ai pas été assez vigilante ».

Elle est morte avec ce poids de la culpabilité et je comprenais moi-même l’engrenage dans lequel elle s’est trouvée pour ne pas s’être séparée de mon père. Sur la fin de sa vie, oui, elle regrettait.

Comment ?

Ce qui nous avait tous pour le moins étonnés, c’est qu’elle avait formulé une demande pour être visiteuse de prison à Fresnes.

Elle a suivi un détenu qui avait « coupé sa femme » en morceaux et j’avoue que nous avions trouvé sa démarche passablement étrange.

Je devais avoir 12, 13 ans… Durant des années, ma mère est allée à Fresnes en apportant de nombreux manuels scolaires afin que « son prisonnier » reprenne des études.

Elle lui achetait également beaucoup de vêtements, de friandises.

Au bout de plusieurs années, le prisonnier a obtenu des remises de peine, il est sorti et est allé voir ma mère jusqu’à sa mort plusieurs fois par an. Je ne peux m’empêcher de voir là une forme d’expiation.

Il est de bon ton aujourd’hui de relativiser les actes pédophiles perpétrés dans les années soixante-dix ou quatre-vingt comme si le tabou avait été levé. Comme si les partisans de la transgression au nom du « jouissez sans entraves » avaient instauré à cette époque un cadre libertaire semi-officieux où tout était possible. Qu’en pensez-vous ? Et surtout comment cette assertion est-elle compatible avec le fait que votre père commettait ses actes incestueux dans le secret et en utilisant des drogues. Vous vous souvenez même qu’il exigeait de ne pas le regarder dans les yeux. Si honte il y a, c’est bien que le tabou restait intangible.

Une certitude : le « Jouissez sans entrave » n’est plus de mise. Mais c’est seulement depuis ces quatre dernières années que la parole se libère, notamment grâce aux prises de parole de Christine Angot.

Son film « Une famille » sorti en mars 2024 illustre parfaitement ce changement de posture sociétal entre les années 1990 et 2024.

Néanmoins, le tabou persiste. Preuve en sont, les réactions au sein même de la cellule familiale qui reflètent presque toujours l’éclatement et la rupture entre celui qui dévoile et ceux qui refusent cette vérité et se réfugient dans le mensonge.

Dernière touche sur l’environnement amical de vote père dont vous ne cachez pas les attitudes racistes et antisémites : son lien avec Jean-Marie Le Pen.

Dès que Jean-Marie Le Pen a été médiatisé, mon père a adhéré à son parti, s’impliquant directement aux réunions ainsi qu’aux défilés du 1er mai alors qu’il était filmé par les journalistes TV.

J’avais moi-même eu connaissance de ce ralliement par des personnes qui avaient identifié mon père à la télévision au bras de Jean-Marie Le Pen. Ma mère m’avait alors confirmé ce lien très proche qu’elle réprouvait totalement.

Suite du témoignage de Mathilde Brasilier

 

Dans la dernière édition de notre newsletter « Le Plein d’idées », Mathilde Brasilier disséquait l’univers des relations de son père, Jean-Marie Brasilier, qui a abusé d’elle et de son frère pendant une dizaine d’années quand ils étaient enfants.

Le même week-end du 15 juin, Libération révélait sur son site et avant un cahier spécial ce samedi, l’existence d’un réseau connexe, une véritable « secte », où sévissait également l’écrivain Gabriel Matzneff.

Une organisation qui perpétrait des actes pédocriminels dans plusieurs lieux du VIe arrondissement de Paris. Principalement au domicile du docteur Jean-François Lemaire, rue du Bac et au 33 ou 35 rue de Varenne. Et à l’Hôtel Pont Royal, rue de Montalembert. Ce même hôtel ou Jean-Marie Brasilier, comme le révèle ici sa fille, se rendait fréquemment. Les deux réseaux semblent bien interconnectés. On voit mal comment l’enquête en cours sur le « réseau de la rue du Bac » ne s’élargirait pas à celui de Saint-Germain-des-Prés dont Jean-Marie Brasilier était un pivot. Et Gabriel Matzneff le dénominateur commun.

Parmi les personnes identifiées par l’enquête de police suite aux révélations d’Inès, une des principales victimes du réseau de « la rue du Bac », il y a, rapporte le journal Libération, Jean-François Revel, académicien et éditorialiste à L’Express (mort en 2006), mais aussi Claude Imbert, fondateur et ex-directeur du Point décédé en 2016… Ces noms vous disent-ils quelque chose ?

Oui, Claude Imbert était un proche de monpère ainsi que le peintre Balthus, le Prix Goncourt Michel Tournier ou encore l’écrivain Emil Cioran.

Lorsque j’étais enfant, j’ai vu Claude Imbert à plusieurs reprises dans l’agence d’architecture de mon père, située au 6 rue Antoine-Dubois, au pied des escaliers venant de la rue Monsieur le Prince.

Je me souviens que, lorsque j’utilisais les locaux de l’« Agence » pour travailler sur mon diplôme d’architecture, de janvier à juin 1983, j’ai vu à plusieurs reprises Claude Imbert et Michel Tournier.

Puis mon père sortait avec eux en me disant qu’ils allaient prendre un verre à la brasserie Lipp.

Cette « Agence » était le bureau de votre père où il était censé organiser sa vie professionnelle…

Exactement. Il y avait un ensemble téléphonique sophistiqué pour l’époque avec magnétophone, enregistreur et grandes enceintes acoustiques.

Mon père avait interdit à ma mère d’installer le téléphone dans l’appartement familial, alors qu’il avait lui-même trois postes téléphoniques dans son agence.

Ce fut d’ailleurs un sujet de dispute récurrent entre mes parents, d’autant que ma mère était obligée de descendre rue Antoine-Dubois pour téléphoner.

Lorsque mon père descendait à son agence avec nous (moi et mon frère), il écoutait les messages enregistrés et les mêmes noms déjà cités revenaient régulièrement.

Y a-t-il d’autres points du dossier de la rue du Bac qui vous soient familiers ?

Oui, l’Hôtel Pont Royal mentionné par Inès Chatin était un lieu que fréquentait souvent mon père.

Dans l’article de Libération, elle confie que c’est dans ces murs qu’étaient organisées des réunions de nature sexuelles avec des mineurs.

Des attouchements et des viols.

Lorsque ma mère a appris que mon père y allait régulièrement, elle m’avait confié avoir téléphoné à son beau-frère qui habitait tout près dans la rue de l’université pour savoir s’il était au courant que mon père fréquentait l’Hôtel Pont Royal.

Mon oncle avait confirmé en être informé.

Dans sa déposition à la police, mon père évoque d’ailleurs, sans le nommer, un lieu où il se rendait parfois pour rencontrer des « professionnelles ».

Ma mère s’était disputée avec mon père à ce sujet pour des raisons que j’ignorais alors.

En tout cas, elle avait laissé entendre vouloir divorcer.

Quelles étaient les activités professionnelles de votre père ? Quel était son emploi du temps ?

Suite à notre retour de la Villa Médicis en 1961, mon père a demandé à son beau-père de financer l’agence d’architecture de la Rue Antoine-Dubois (300 m2 étage et sous-sol), justifiant qu’en tant qu’architecte Prix de Rome, il serait appelé à réaliser beaucoup de projets.

Tout laissait penser que l’« Agence » était l’épicentre d’un travail d’équipe d’architectes alors qu’en fait votre père n’a quasiment jamais gagné de concours et donc jamais travaillé sur un chantier réel.

Exact. L’aménagement simulait une agence d’architecture en pleine activité, avec de grandes tables à dessin, une machine à tirer les plans, etc.

Il y avait de grands plans affichés, celui du Prix de Rome, puis des études pour restructurer des villes au Sahara. Également des maquettes des concours échoués, notamment le projet du Centre Pompidou. Il n’a gagné aucun des concours auxquels il a participé.

Son vrai métier, c’était celui d’enseignant aux Beaux-arts…

Oui. Il exerçait la fonction de directeur de l’ « Atelier Brasilier » qui donnait quai Malaquais mais en fait, son activité s’est vite réduit à huit heures de cours par semaine.

Il disposait donc de beaucoup de temps libre, durant lequel il avait des rendez-vous rue Antoine-Dubois ou à l’extérieur, notamment à la Brasserie Lipp.

Il ne disait jamais clairement ce qu’il faisait de ses journées.

Il évoquait ses amis. Toujours les mêmes.

Comme ma mère était très contrariée de ses fréquentations sulfureuses, elle était soulagée lorsque mon père partait dans son château en Touraine ou ailleurs.

En revanche, elle ne cachait pas son inquiétude lorsque mon père tardait à « remonter » de son agence rue Antoine-Dubois.

Elle suspectait que la luxueuse agence de la rue Antoine-Dubois serve de QG pour des activités qui n’avaient rien à voir avec son métier d’architecte…

Il y avait ce sous-sol déjà évoqué (5 ou 6 mètres sous plafond) qu’il avait aménagé comme salle utilisée principalement aux réunions de la Société des architectes diplômés du gouvernement (SDAG).

Le reste du temps, l’espace était inoccupé et c’est ici qu’ont eu lieu un certain nombre de sévices sexuels subis durant notre enfance.

Pour séparer le vaste sous-sol du rez-de-chaussée, il avait élaboré un système de trappe blindée qui donnait au lieu un aspect clos assez similaire à « l’espace bateau » décrit par Inès Chatin au domicile de la rue du Bac du docteur Lemaire.

« Ma mère était très en colère de l’intrusion de cet homme qui avait fait de la prison pour des sévices sexuels pédophiles »

Votre père a hébergé pendant plusieurs mois un ami à lui dans ce local qui avait été condamné pour pédophilie en suisse. Qui était-ce ?

En effet, en 1966-1967, mon père a hébergé rue Antoine-Dubois pendant plusieurs mois un peintre : Marc Suzor.

C’était le fils du médecin de mes grands-parents, le docteur Suzor, lorsqu’ils résidaient en Touraine au Château de Meigné-le-Vicomte.

Ma mère était très en colère de l’intrusion de cet homme qui avait fait de la prison en Suisse pour des sévices sexuels pédophiles sur son neveu et sa nièce.

Malgré ce conflit entre mes parents, mon père l’avait invité en Touraine.

Le pire est arrivé alors que Marc Suzor nous a invités, mon frère et moi, à faire une promenade en voiture. Malgré la nette désapprobation de ma mère, cet homme nous a emmenés.

Vous évoquez le château de famille Brasilier à Meigné-le-Vicomte. C’est là qu’après un dernier rendez-vous avec votre père, votre cousin Sébastien, le fils de la sœur de votre père, un garçon très brillant d’une vingtaine d’années qui vient d’entrer à Polytechnique, se suicide dans une voiture en faisant passer du gaz d’échappement dans l’habitacle.

Vous pouvez imaginer ce que je peux penser sans pouvoir le prouver…

D’autant que le fils de mon oncle André Brasilier, Stéphane, s’est suicidé par overdose à 21 ans.

Avec mon frère, cela porte à 3 les suicides au sein de ma famille. C’est lourd.

Pouvez-vous exclure avoir été conduit vous et votre frère aux adresses des relations de votre père ou encore de celles du docteur Lemaire ?

Je n’ai pas le souvenir d’avoir été à l’Hôtel Pont Royal.

Mais nous sommes allés très souvent chez Balthus, cour de Rohan.

Ce qui contrariait énormément ma mère, lorsqu’elle l’apprenait.

J’ai en outre le souvenir qu’un jour, mon père nous a emmenés au 4 Place Furstenberg, juste à côté du musée Delacroix.

Balthus a ouvert la porte puis nous a fait descendre dans un sous-sol où j’ai le souvenir d’enfants vêtus de capes blanches.

J’avais 4 ou 5 ans. L’image est imprécise mais je me souviens de la peur que nous avions eue.

Dans l’affaire de la rue du Bac, le rôle du médecin Jean-Pierre Lemaire est central. C’est lui qui adopte Inès et organise à son domicile les rendez-vous. Quelles sont vos interrogations sur votre propre médecin de famille.

Notre médecin de famille, le docteur Chambionnat, qui soignait les notables du quartier avait son cabinet Boulevard Saint-Germain à deux pas de l’Église.

Lorsque j’ai eu 7 ans, mon père a décidé de transférer ma sœur aînée qui dormait alors dans la seule chambre donnant sur la rue Dupuytren.

J’ai été « placée » dans cette chambre, à proximité de celle de mes parents, alors que mes 4 frères et sœur dormaient côté cour.

C’est alors que les viols se sont multipliés ?

Oui.

Je me le suis remémoré bien plus tard grâce à la psychanalyse : mon père a commencé alors à faire des intrusions de plus en plus fréquentes, de nuit, dans cette chambre.

Je suis alors devenue insomniaque. Et je le suis toujours.

Après des nuits blanches, j’étais épuisée.

Ma mère appelait alors le médecin de famille, le docteur Chambionnat, qui pratiquait une injection de vallum.

Je me rappelle sa phrase : « Maintenant, tu vas bien dormir ma jolie ! ».

J’ai appris depuis la parution de notre premier entretien que plusieurs enfants du quartier avaient été « soignés » sous injection de vallum.

A l’âge de 6-7 ans, alors que j’avais cessé de marcher durant plusieurs jours, le même médecin avait diagnostiqué une « crise de croissance ».

Pure invention.

Par la suite, j’ai eu fréquemment des crises de tétanie, notamment lorsque les portes du métro se refermaient.

Le même médecin me faisait des injections de calcium ou de magnésium.

Ce qui n’a jamais guéri quoi que ce soit…

Ces crises de tétanie/spasmophilie ont définitivement cessé après… la mort de mon père.

Depuis qu’elle était adolescente, ma sœur m’a toujours dit qu’elle redoutait les attouchements sexuels quand elle consultait.

Le médecin n’hésite pas non plus à faire interner votre père…

Ce même médecin de famille a décidé de faire interner mon père lorsqu’il a été victime d’une crise de paranoïa-schizophrénie l’hiver 69-70.

Certainement suite à une tentative de viol que nous avions esquivée mon frère et moi, et dont le souvenir m’est revenu à l’âge de quarante ans.

Il est probable que la décision d’internement de mon père a été prise par crainte que mon père soit dénoncé ou se dénonce.

Lui et son réseau.

Mon père est resté six mois dans cet établissement. Ma mère, qui était seule habilitée à lui rendre visite, m’a confié plus tard qu’il déchirait les photos de moi et mon frère qu’elle lui apportait.

Dans l’affaire de la rue du Bac, les références de l’écrivain Gabriel Matzneff au monde gréco-romain, à l’initiation par les adultes au culte des corps juvéniles, sont très nombreuses. Il parle lui-même de « secte ». Une culture de l’élitisme et de l’initiation. Dans la famille Brasilier, il y avait un lien historique très fort avec l’ancien mouvement occultiste « Rose-croix ». Notamment entre votre grand-père Jacques Brasilier et Joséphin Péladan, écrivain, dramaturge et critique d’art qui fonde l’Ordre de la Rose-Croix kabbalistique en 1888.

Mon grand-père paternel, aristocrate royaliste, était à la tête du mouvement Rose-Croix, « mouvement de la rosace » qui siégeait rue de Vaugirard en compagnie notamment du peintre Puvis de Chavannes.

Dans le manuscrit d’Axël, texte adapté de Josephin Peladan, il est question de Janus comme dans le récit d’Inès Chatin.

Dans les cérémonies rosicruciennes, il est également question de poignard*.

On retrouve donc tant dans l’affaire de la rue du Bac que dans celle de mon père une construction culturelle qui met en avant les enfants comme symboles de pureté.

Mon père, proche de Jean-Marie Le Pen et qui ne cachait pas son antisémitisme, n’avait de cesse de nous enseigner la méfiance des personnes extérieures et l’importance symbolique de la lignée du même sang. Je pense que tout le mal prend racine dans l’idée ressassée par mon père que le cercle familial est un lieu clos, incestuel, une forteresse jalousement défendue qui doit se préserver à tout prix des êtres venant de l’extérieur. Qui doit gérer les pulsions dans l’entre-soi.

*Voir Luc Racine, auteur de Symbolisme et analogie : l’enfant comme figure des origines, page 115.

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