France | Les crimes du « prédateur des bois » ne seront jamais jugés

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Inacceptable pour les victimes et leurs familles
Par ordonnance en date du 9 mars, le juge d’instruction a ordonné un non-lieu dans ce cold case résolu 25 ans après les premiers faits. L’auteur, accusé d’avoir kidnappé et violé cinq adolescentes, s’était suicidé en prison il y a un an.

Chassé, identifié, interpellé, écroué mais jamais jugé. Bruno L., alias le « prédateur des bois », ne rendra jamais des comptes à la justice pour les crimes qu’il a perpétrés.

Mis en examen pour une série d’enlèvements et de viols commis entre 1998 et 2008, au terme d’une traque de près de vingt-cinq ans, le sexagénaire s’est pendu dans sa cellule de Fleury-Mérogis (Essonne) le 20 mars 2024.

Cruelle suite logique procédurale, le juge d’instruction chargé du dossier a rendu ce dimanche 9 mars une ordonnance de non-lieu pour « cause de décès ».

Une extinction de l’action publique qui met un terme définitif aux investigations.

« Le prédateur des bois » avait hérité de son surnom en raison de son mode opératoire ultra-violent.

Le 4 décembre 1998, il avait forcé une adolescente de 16 ans à monter dans son véhicule sous la menace d’un couteau, à Ballon (Charente-Maritime), avant de l’entraîner dans un sous-bois et de lui imposer un acte sexuel.

Le 1er avril 1999, il avait récidivé en agressant sexuellement une jeune femme de 19 ans à Verrières-le-Buisson (Essonne) de façon extrêmement brutale et en proférant des menaces : « Ne me regarde pas, si tu poses encore une question… Si tu cries encore, je te plante ».

Deux autres viols étaient recensés dans le même département, en 2000, sur des victimes de 15 et 18 ans et selon le même schéma – kidnappings à des arrêts de bus suivis de sévices d’ordre sexuels dans des forêts de la région.

Enfin, en 2008, « le prédateur des bois » s’en était pris à une dernière victime recensée, en plein Paris, en enlevant une lycéenne qui préparait le bac alors qu’elle sortait de son immeuble, puis en la conduisant jusque dans le bois de Champcueil, dans l’Essonne, pour la violer.

Longtemps, les services d’enquête qui se sont succédé sur le dossier ont échoué à identifier ce criminel itinérant.

Tout juste les enquêteurs disposaient d’un portrait-robot, celui d’un homme au regard émacié, âgé au moment des faits d’une quarantaine ou une cinquantaine d’années, et grand de taille.

Et d’un ADN inconnu décelé sur toutes les scènes de crime.

Ce sont finalement les policiers de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), spécialistes des cold cases, qui vont aboutir à l’identification de Bruno L. au terme d’investigations exceptionnelles.

Trois périodes « blanches » qui resteront un mystère

À plusieurs reprises, des demandes sont effectuées pour comparer l’empreinte génétique du « prédateur des bois » avec les bases des 194 pays membres d’Interpol.

En 2021, les enquêteurs misent sur l’ADN de parentèle, une technique qui permet de ratisser plus large en recherchant des proches du suspect.

Ils se tournent vers les États-Unis, qui disposent de nombreuses bases génétiques privées.

Grâce aux résultats progressivement transmis par le FBI, il apparaît que le suspect est le descendant d’un couple de deux Français nés au début du XXe siècle.

En explorant l’arbre généalogique, les enquêteurs de l’OCRVP concentrent leurs soupçons sur Bruno L. : son physique correspond à la description faite par les victimes, il a vécu en région parisienne, possédé une R25 bleue – l’un des véhicules ciblés – et a été condamné à deux mois d’emprisonnement en semi-liberté pour un attentat à la pudeur avec violence commis en 1983. À une époque où on ne prélevait pas encore l’ADN.

Bruno L. est finalement interpellé et placé en garde à vue le 13 décembre 2022 dans les locaux de l’OCRVP.

Il s’agit d’un ancien animateur jeunesse qui a travaillé pour de nombreuses collectivités en région parisienne.

Mis en examen et écroué, il finit par passer aux aveux intégralement lors de ses différents interrogatoires, expliquant avoir été animé par des « pulsions ».

Mais alors que les enquêteurs tentaient d’identifier d’éventuelles autres victimes à rattacher à son parcours criminel, ponctué par trois périodes « blanches » d’activité entre 1983 et 1998, entre 2000 et 2008 et éventuellement entre 2008 et son arrestation, et alors que ses propres proches s’interrogeaient sur son comportement lors de leur enfance, Bruno L. se donne la mort en prison.

Conduisant ainsi à un non-lieu.

« Une énième injustice imposée aux victimes et à leurs proches »

Les victimes ont désormais le nom de leur bourreau mais ne seront jamais confrontées à celui-ci pour obtenir explications et reconnaissance.

« Ce suicide a été une énième injustice imposée aux victimes et à leurs proches, privés d’un procès attendu depuis tellement d’années, réagit aujourd’hui Me Fares Aidel Sehili, avocat de parties civiles. De nombreuses questions demeurent, auxquelles nous n’obtiendrons jamais de réponses. Il s’agit désormais de tourner cette page de procédure et de faire réparer les immenses souffrances infligées. »

L’avocate de Bruno L., Me Emma Lesigne, n’a, quant à elle, e pas souhaité s’exprimer.

Dans son ordonnance de non-lieu, le juge d’instruction a prononcé le maintien des scellés de l’affaire aux mains de la justice au regard de « la nature sérielle des faits ».

Dans le cas où d’autres dossiers seraient à rattacher au « prédateur des bois » post-mortem.

Qui était-il ? (tiré d’un article du 3 août 2023 publié par Le Parisien)

Derrière le « prédateur des bois », Bruno L., un homme insoupçonnable ayant « un profond dégoût de lui-même »

Les déclarations du violeur en série présumé et les auditions de ses proches dessinent la personnalité d’un sexagénaire à l’enfance tourmentée.

Il aurait été habité par des « pulsions » à l’âge adulte l’ayant conduit à attaquer des adolescentes.

« Ça en devenait presque maladif », a-t-il confessé aux policiers.

La stupéfaction et l’incompréhension.

Interrogés durant le temps de sa garde à vue, les membres de la famille de Bruno L., mis en examen et écroué pour l’enlèvement et le viol de cinq adolescentes, entre 1998 et 2008, sont unanimes dans leurs réactions.

« Ce n’est pas possible que mon frère ait fait ça. C’est tellement énorme, j’ai l’impression que je suis dans la quatrième dimension. (…) Pour moi Bruno pense qu’on ne touche pas à ce qui est faible et sans défense. C’est ça mon frère, c’est pas un violeur en série, c’est inconcevable », lâche la plus jeune de ses sœurs aux enquêteurs de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP).

« Vous êtes en train de me présenter un autre homme que je ne connaissais pas », résume une autre sœur qui, comme les autres, n’a jamais remarqué le moindre geste déplacé chez le quatrième de cette fratrie de six enfants élevé dans un quartier populaire d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Sa compagne depuis cinq ans avec laquelle il vivait à Courtry (Seine-et-Marne) dresse aussi le portrait d’un homme « compatissant », « attentionné » et « doux ».

Même s’ils décrivent un gaillard « impulsif » au caractère bien trempé et prompt à s’emporter pour défendre ses opinions, ses proches retiennent surtout de lui ses passions très consensuelles pour la moto et les balades en forêt.

Leur écœurement n’en est que plus fort.

« Si c’est lui, je suis dégoûtée », tranche sa compagne — ils se sont séparés depuis

Bruno L. s’est longuement confié en garde à vue à l’OCRVP, décrivant une enfance rude auprès d’un père strict, à la main leste et porté sur la boisson.

Gamin turbulent, il est placé en maison de correction entre 10 et 14 ans.

À 16 ans, ses parents le mettent à la porte.

À l’orée de la vingtaine, il découvre sa séropositivité, sans doute provoquée par une transfusion lors d’une opération.

Il tente de suicider et effectue un séjour en hôpital psychiatrique.

Bruno L. met en avant sa maladie pour justifier son refus d’avoir des enfants.

Même s’il quitte l’univers scolaire sans diplôme, il n’a quasiment jamais cessé de travailler, en tant qu’agent technique mais surtout comme animateur jeunesse pour des collectivités en région parisienne.

Son projet de monter une structure sociale en Ardèche tombera à l’eau.

Son CV comprend aussi une expérience auprès de personnes âgées.

Il serait passé à l’acte quand il n’était pas en couple, dit-il

Derrière cette façade, Bruno L. est un homme aux sombres tourments.

En garde à vue, il fait montre d’une grande émotivité en évoquant un traumatisme subi dans l’enfance.

Il faudra attendre sa troisième déposition pour qu’il révèle, en pleurs, avoir été abusé par son grand frère entre ses 8 et ses 9 ans.

« Ça m’a foutu en l’air (…) C’est après ça que je suis devenu… Je ne sais pas si on peut qualifier ça d’instable, un peu dur », souffle-t-il.

Entendu, ce grand frère en rupture avec le reste de la fratrie a démenti ces accusations.

L’ancien travailleur social se montre en revanche plus prolixe à confesser ses crimes.

Ainsi décrit-il la première agression, celle de 1983 qui lui vaudra sa condamnation, comme une « pulsion ».

« J’ai un profond regret, un profond dégoût de moi-même sur ce geste. Et je ne comprends pas pourquoi… Cette sensation de peur, de pouvoir… Et puis de désir… C’est tout un mélange là qui explose en tête et qui fait que l’on passe à l’acte. (…) Ce n’est pas moi, mais pourtant je ne pouvais pas m’en empêcher. »

Selon ses déclarations, il serait passé à l’acte pendant les périodes où il n’était pas en couple.

Au gré des auditions, ses souvenirs de chacun des viols se montrent plus précis.

Mais pas suffisamment pour l’enquêtrice qui lui reproche d’occulter les éléments les plus compromettants : les menaces, les pratiques sadiques — son couteau qui joue sur le corps d’une victime — et les propos violents — « si tu bouges, je t’égorge ».

« J’ai du mal à sortir tout ça », reconnaît-il.

La commandante de l’OCRVP le bouscule encore davantage.

Recherchait-il spécifiquement des jeunes filles vierges, lui qui posait la question ?

Était-il en chasse ?

« Je partais dans des secteurs inhabituels pour chercher des victimes suite à mes pulsions », admet le suspect.

Questionné sur son dernier fait connu, celui de 2008, il confesse que le plaisir qu’il a ressenti à dominer sa victime paniquée.

À aucun moment il ne se souciera du risque de transmission du VIH aux adolescentes dont il abuse

« J’ai envie de leur dire que je suis un porc »

À l’entendre, ce viol de 2008 aurait provoqué un déclic.

« Cette fois-là je l’ai regrettée, parce que je m’en suis voulu, parce qu’elle est jeune (16 ans) », livre-t-il en garde à vue.

« J’ai arrêté après, parce que ça devenait presque maladif », complète-t-il devant le juge qui l’interroge en mars dernier, admettant qu’il a pris davantage de risque lors de cette agression en suivant sa victime dans un immeuble d’habitations avant de la ramener dans son véhicule.

« C’est là que je me suis dit qu’il faut arrêter, ça va aller jusqu’où, tu vas faire ça combien de fois et comment ? Ça m’a fait prendre conscience que je partais en vrille », ressasse-t-il.

Au point, dit-il, d’être soulagé d’avoir été arrêté.

« Je m’en voulais tellement, je voulais qu’on règle ça (…) qu’on m’arrête, qu’on me soigne, qu’on arrête ce genre d’acte, à chaque fois ça me faisait peur. »

Devant la police comme devant le magistrat, Bruno L. fait part de ses remords et présente ses excuses à ses victimes ainsi qu’à ses proches : « J’ai envie de leur dire que je suis un porc. »

Il affirme n’avoir fait aucune autre victime de plus.

L’expertise psychiatrique n’a révélé chez Bruno L. aucune pathologie.

Il est donc pleinement responsable de ses actes.

« On retiendra une plurifactoralité : dimension égocentrique, sujet un peu inhibé dans le champ relationnel, excitation sexuelle avec trois caractéristiques (victimes inconnues, utilisation d’une arme, dimension de séquestration) qui caractérisent souvent des comportements à répétition », avancent les experts.

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