France | Interview sur le documentaire « Inceste, que justice soit faite », diffusé le 5 février sur France 5 (vidéo)

L’inceste est l’un des tabous les plus tenaces de notre société. La réalisatrice Audrey Gloaguen raconte qu’« à cet âge-là, le choc est tellement fort que l’enfant ne veut pas se souvenir »Code

 

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Seules 10% des victimes portent plainte à l’âge adulte. Dans « Inceste, que justice soit faite », diffusé mardi 5 février 2019 sur France 5, Audrey Gloaguen suit le parcours de quatre victimes pour obtenir réparation. Rencontre avec une enquêtrice de choc.

Après son retentissant documentaire « Tampon, notre ennemi intime », la réalisatrice Audrey Gloaguen a enquêté sur l’un des tabous les plus tenaces de notre société : l’inceste. Il concerne toutes les classes sociales, tous les milieux.

En France, 4 millions de personnes (1) ont été victimes d’inceste et 2 enfants par classe en moyenne endurent ce crime familial à huis clos. Devenues adultes, seules 10% des victimes se décident à faire éclater la vérité et à porter plainte contre le parent qui les a abusées. Mais seules 2 % d’entre elles obtiennent réparation par une condamnation.

Dans « Inceste, que justice soit faite », quatre victimes – enfant, adolescent ou adulte – témoignent à visage découvert (sauf Lili, âgée de 8 ans) et racontent leur parcours du combattant.

 

Madame Figaro. – Depuis #MeToo on parle quotidiennement des violences sexuelles, plus rarement de l’inceste. Qu’est-ce qui vous a poussée à traiter de ce sujet ?

Audrey Gloaguen. – Cela faisait pas mal de temps que j’avais envie de faire un film sur ce sujet et je l’ai fait pour deux raisons. D’abord parce que j’ai des amies qui en ont été victimes et qui se sont confiées à moi. Ensuite, parce qu’en 2016 l’inceste a été introduit dans le code pénal.

Ça n’était donc pas le cas avant ?

Jusqu’au 12 mai 2016, le code pénal considérait l’inceste comme un crime relevant du viol ou d’une agression sexuelle. Or, les victimes et les associations réclamaient que l’inceste soit considéré comme un crime spécifique, car il est perpétré par un proche qui a une emprise sur la victime. Même si cela n’a pas d’incidence sur les peines encourues, c’est une reconnaissance symbolique forte au niveau de la justice.

L’inceste est un sujet sensible et encore tabou, comment l’avez-vous abordé ?

J’ai choisi de l’aborder sous l’angle judiciaire en suivant le cas de quatre victimes. Chacune d’entre elles montre une étape différente du parcours juridique. Céline est au début de sa démarche et apprend que sa plainte est classée sans suite.

Maé et sa petite fille, que l’on a appelée Lili, sont en cours d’instruction et on les suit jusqu’à l’audience en correctionnelle. Christelle qui a obtenu la condamnation de son père, entame sa procédure en civil pour obtenir réparation.

Le titre de votre film « Inceste : que justice soit faite » sous-entend que la justice n’est pas toujours au rendez-vous.

En France, la justice s’appuie sur des preuves matérielles et c’est au plaignant de prouver l’agression ou le viol. Or, dans les cas d’inceste, les faits remontent souvent à l’enfance et les victimes attendent parfois 20 ans ou 30 ans pour porter plainte. Sans traces d’ADN ou autres preuves, on se retrouve dans le culte de l’aveu, avec une parole contre une autre. Et quand on sait que deux agresseurs sur trois nient les faits, on voit bien qu’il y a un problème.

En fait, c’est la triple peine pour les victimes. Elles ont été violées, elles n’ont plus de contact avec leur famille qui explose et ensuite la société ne les reconnaît pas comme victimes. On se retrouve dans le culte de l’aveu, avec une parole contre une autre

Dans le cas de Christelle, la procédure dans son ensemble a duré sept ans. Pourquoi est-ce si long ?

Parce que les tribunaux sont débordés. Parfois des pièces du dossier sont perdues, comme c’est arrivé dans le cas de Lili. Un témoignage capital a été égaré pendant deux ans et demi parce que le tribunal entre-temps avait changé.

Céline, par exemple, ne reçoit pas sa convocation parce qu’elle a changé d’adresse et qu’ils l’ont envoyée au mauvais endroit.

C’est terrible à dire, mais les tribunaux savent au fond que ces affaires, en général, ils n’arrivent pas à les résoudre. Ces dossiers ne sont donc pas des priorités. Les victimes se retrouvent alors avec cinq, six, sept ans de procédure, sans qu’on ne les informe de rien, sans accompagnement. Pour elles, c’est un fracas total. Christelle a d’ailleurs fait plusieurs tentatives de suicide.

Les expertises de médecin, psychologue ou psychiatre jouent-elles un rôle important dans les procès pour inceste ?

Non, et c’est ce qui m’a étonné. Les rapports d’expertise psychologique n’ont pas de grande valeur pour la justice. Les experts utilisent des grilles sérieuses, des questionnaires, qui permettent de savoir si l’enfant dit vrai.

Prenons le cas de la petite Lili qui n’a pas réussi à parler à la brigade des mineurs, mais qui est suivie par une psy. Eh bien ce qu’elle a pu raconter à cette psychologue n’a même pas été pris en compte au moment du procès, c’est balayé. En revanche, ils ont souligné le fait qu’elle n’avait pas dit grand-chose à la brigade des mineurs. On a l’impression que ce système est archaïque.

En fait, depuis Outreau, la parole de l’enfant est sujette à caution. On se retrouve donc dans des affaires sans preuves matérielles, sans aveux et sans expertise psychologique. Et c’est pour cela que seulement 2% des victimes de viol incestueux obtiennent réparation.

Que souhaitez-vous déclencher avec votre documentaire ?

D’abord, je pense que le fait de voir des témoignages à visage découvert peut aider des victimes à se reconnaître et à prendre la parole. Quand on voit l’impact de #MeToo, j’en suis encore plus convaincue.

Porter ce débat sur la place publique permet d’inciter les victimes à ne plus avoir peur de parler, à ne plus avoir honte, à ne plus se sentir seules. J’espère aussi que cela incitera la justice à réfléchir.

Dans quel sens ?

Il y a notamment, encore trop peu de tribunaux formés à ces types de violences sexuelles. Malheureusement je n’ai pas eu l’autorisation de filmer le procès de l’agresseur de Lili mais j’ai pu y assister. Je peux vous dire que j’ai été effarée de la manière dont on a questionné l’enfant. Devant trois magistrats, les avocats de la défense et son agresseur présumé, la petite a eu le courage de dire qu’il lui avait « mis le doigt dans la zézette ». Et là un magistrat lui demande si elle se souvient d’avoir eu mal.

Or, il faut savoir qu’à cet âge-là le choc est tellement fort que l’enfant ne veut pas se souvenir. Une personne formée n’aurait jamais posé ce genre de question.

Si vous n’êtes pas formé à recevoir la parole de l’enfant, vous ne pouvez pas obtenir de moment de vérité et vous passez à côté.

Malgré l’horreur de ces histoires, votre documentaire est réalisé avec beaucoup de sensibilité et la mise en scène est soignée.

Inconsciemment, je voulais que ce film soit beau. C’était une obsession. Je ne voulais pas embellir la réalité mais la rendre supportable. Avant de tourner, je leur racontais tout ce qu’on allait faire et comment ça allait se passer, pour qu’elles se sentent en confiance. Il ne faut pas oublier que ce sont des filles qui ont perdu toute estime d’elles-mêmes, elles n’ont plus de conscience globale de leur corps. Au final, elles étaient contentes d’être mises en valeur et très fières de se voir comme ça.

 

(1) Sondage Harris Interactive pour l’Association internationale des victimes d’inceste (AIVI).

Source : madame.lefigaro.fr

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