France | Dans la tête d’une ancienne Témoin de Jéhovah

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L’influence d’une secte dès le plus jeune âge
Alors qu’elle était encore enfant, Aline s’est petit à petit laissée convaincre par sa nourrice de devenir Témoin de Jéhovah. Croyances, doctrines et porte-à-porte ont « pourri » sa vie et ses relations sociales pendant près de 30 ans. Avant qu’elle n’ait un déclic et parvienne à s’en sortir.

Le constat, dressé par Aline (par souci d’anonymat, le prénom a été modifié), est amer.

« Il y a toujours une forme de honte, sur toute cette partie de ma vie, qui a duré 30 ans ».

Voilà plus de deux ans cette juriste a tiré un trait sur son passé de Témoin de Jéhovah.

Un cheminement qui a eu comme étape une lettre envoyée à son ancienne nourrice, pour lui dire qu’elle avait « pourri (sa) vie et ses relations sociales ».

Car c’est par elle que tout a commencé.

Aline, qui a grandi dans une ville moyenne du centre de la France, en est à ses premières années de primaire quand ses parents, qui travaillent tous les deux, font appel à une femme pour la garder les mercredis après-midi et ponctuellement pendant les vacances scolaires.

« Mon père connaissait des Témoins de Jéhovah, rencontrés dans le cadre professionnel, et il s’est dit qu’on pouvait leur faire confiance », rembobine celle qui est désormais proche de la quarantaine.

Une mère de trois enfants, âgée de 50 ans, est choisie.

Tout de suite, elle propose aux parents de la fillette – catholiques, mais non pratiquants – de lui faire une petite étude biblique lorsqu’elle vient le mercredi.

N’y voyant aucun mal, face à un projet présenté de manière édulcorée, ils acceptent.

« Je pleurais aussi sous la douche le matin, j’étais très angoissée. Quand on vous dit quelque chose à cet âge, vous le prenez pour argent comptant. »
Aline

Déjà, le piège commence à se refermer.

La « nounou » explique très vite à Aline l’un des principes fondamentaux des Témoins de Jéhovah : celui des « derniers jours » avant l’Armageddon (le combat final entre le bien et le mal), qui serait imminent.

Elle ajoute que les membres de leur communauté pourront alors rejoindre le « Royaume de Dieu » sur Terre mais pas les autres.

« Dans ma tête d’enfant, j’en avais donc déduit que mes parents allaient bientôt mourir. Parfois, elle me disait : Ne t’inquiète pas, ils seront peut-être sauvés. Et d’autres fois : c’est comme ça », se souvient-elle.

Elle utilise même cette menace comme moyen de pression pour la faire revenir chaque semaine.

La fillette repart souvent de chez celle qui la garde avec les yeux rougis d’avoir longuement pleuré.

« Je disais à mes parents que c’était à cause de mon allergie au chat, commente-t-elle. Je pleurais aussi sous la douche le matin, j’étais très angoissée ».

Aujourd’hui encore, Aline a une peur « démesurée » de la mort de ses parents.

« Quand on vous dit quelque chose à cet âge, vous le prenez pour argent comptant ».

Premières réunions dès l’enfance

Insidieusement, elle propose à la jeune fille de passer plus de temps chez elle, d’y dormir un soir par semaine lorsqu’elle la garde pendant les vacances scolaires.

Lui demande, pour cela, de mentir à ses parents et de leur expliquer qu’elle aime simplement être avec sa nourrice.

C’est là qu’Aline va à ses premières réunions.

Les Témoins de Jéhovah – considérés comme une secte par les sociologues et régulièrement pointés du doigt pour leurs dérives sectaires par la Miviludes -, se regroupent deux fois par semaine et le week-end dans des congrégations réparties géographiquement.

« J’étais un peu l’attraction de service », sourit-elle aujourd’hui.

Il y a peu d’enfants de l’extérieur, qui entrent chez les Témoins de Jéhovah.

« Et en plus, j’étais curieuse, je posais beaucoup de questions ».

Un intérêt qui plaît forcément, dans ce mouvement où la prédication est si importante.

La « nounou » fait aussi venir d’autres membres de la communauté le mercredi après-midi, en même temps qu’Aline.

Et elle insiste pour qu’elle vienne aussi passer ses samedis, afin d’aller aux réunions.

« Au fur et à mesure, c’est devenu de plus en plus structuré », remarque-t-elle.

La nourrice – payée comme telle pendant tout ce temps – intervient même dans des décisions éducatives sans que les parents de l’enfant ne s’en doutent.

En 4e et en 3e, des voyages scolaires à l’étranger sont proposés.

« Mais elle ne voulait pas que j’y aille, alors je trouvais le moyen de dire à mes parents que ça ne m’intéressait pas », se souvient-elle.

Hors de question, également, que la jeune fille fasse sa communion ou sa confirmation.

Ni qu’elle accepte les invitations aux premières soirées qu’elle reçoit.

Et lorsqu’ Aline et ses parents partent passer le week-end dans leur maison de campagne :

« Je devais l’appeler, et lui faire croire que j’étais malade ».

La foi n’a, en fait, que peu à voir avec les décisions d’Aline, pendant toutes les années passées avec sa nourrice.

« Tout ce que je faisais, ce n’était pas pour une question de religion. C’était pour lui plaire, ne pas subir une engueulade et pour sauver mes parents », analyse-t-elle avec le recul.

Ces derniers commencent d’ailleurs à voir d’un mauvais œil l’influence de la Témoin de Jéhovah sur leur fille.

« Vers 16 ans, je n’avais plus besoin de nounou. Ils m’ont dit que je pouvais arrêter d’y aller, mais je leur disais que j’adorais », reprend-elle.

Un premier incident éclate quand sa mère retrouve un jour une jupe longue qu’elle cachait dans son sac de cours.

La tenue nécessaire pour faire du porte-à-porte.

Car, sous la pression de sa baby-sitter, Aline a effectué les démarches pour devenir « proclamatrice non baptisée ».

En clair, elle a désormais droit d’aller elle-même prêcher la parole.

Ce que ses parents ne tolèrent pas. Le ton monte, l’adolescente promet que c’est désormais terminé. Il n’en est rien.

« Ils vous rattrapent vite »

À l’approche de ses 18 ans, la pression se renforce pour qu’elle se fasse baptiser.

Chez les Témoins de Jéhovah, cet acte ne se fait pas à la naissance, mais bien plus tard.

Il doit se faire en connaissance de cause car il implique un engagement à vie : si les Témoins baptisés ne respectent pas les préceptes de leur mouvement, ils risquent l’excommunication et ne peuvent plus avoir aucun contact avec la communauté.

Y compris leurs familles.

Aline parvient à repousser quelque temps mais, à 19 ans, elle cède.

« Je ne l’avais évidemment pas dit à mes parents en amont. Je leur ai annoncé le soir, en rentrant ».

Pendant trois semaines, ils ne décolèrent pas.

Surtout son père, qui connaît les implications d’un tel acte.

Les débuts de sa vie d’étudiante en droit coïncident avec cette période.

Si elle s’enfonce un peu plus dans le système pour plaire à sa « nounou », Aline n’est pas encore aveuglée.

Elle s’arrange pour rater une réunion par semaine en prétextant un cours à 20 heures, sort, continue de voir ses amis de l’extérieur à qui elle tait tout un pan de sa vie.

Arrivée en troisième année de licence, elle part étudier à des centaines de kilomètres de chez elle.

Dans un premier temps, elle ne se rend pas dans sa nouvelle « salle du Royaume ».

« Mais ils vous rattrapent vite. Il suffit d’y aller une fois et on vous reprend en main. On vous dit qu’on va vous aider, on vous appelle régulièrement… Et c’est le cercle infernal », décrit-elle.

Dans sa nouvelle ville aussi, Aline cloisonne tout.

Ceux de l’extérieur ne savent pas qu’elle est Témoin de Jéhovah, ceux de l’intérieur ignorent ses activités « normales ».

« Je n’avais aucun problème à ce que ma vie soit séparée en deux comme ça ».

Même la psychologue, qu’elle voit pour des troubles alimentaires, ne sait rien de son implication religieuse.

À l’issue de son master 2, Aline part s’installer à Lille, où elle entame sa vie professionnelle.

Elle passe un mois et demi sans aller à la salle, avant de céder une fois de plus à l’engrenage.

À distance, la « nounou » tente de garder le contrôle, lui demande des contacts de Témoins de Jéhovah lillois pour s’assurer de son implication.

Après avoir passé ses premiers mois dans un minuscule studio et signé un CDD, elle cherche un appartement un peu plus grand.

« Mes parents étaient venus m’aider à visiter mais c’était vraiment difficile, on ne trouvait pas », se souvient la juriste.

« Là, un Témoin et sa femme, rencontrés dans la salle du Royaume, me disent qu’un appartement s’est libéré dans l’immeuble où ils sont gardiens », retrace-t-elle.

70 heures par mois pour les Témoins de Jéhovah

C’est loin d’être un bon plan.

« Le risque ne m’a même pas traversé l’esprit », se souvient Aline après coup.

Elle est épiée par ses gardiens qui viennent la voir dès qu’elle rate une réunion.

En parallèle, elle continue de donner des nouvelles à l’ancienne nourrice, « sinon, c’était le drame ».

Les Témoins de Jéhovah lui demandent de donner plus de son temps.

Pendant plusieurs années, elle passe 70 heures par mois à faire du porte-à-porte ou à aider sur les questions juridiques.

Le tout bénévolement, bien sûr.

Aline est obligée de passer en quatre cinquième pour pouvoir suivre la cadence.

Elle établit, aussi, à cette époque, un petit virement mensuel à destination de la communauté.

« On vous dit que le don est libre, mais vous êtes vivement encouragés », accuse-t-elle.

À cette période, elle fait tout pour éviter de voir son cousin, pourtant dans la même ville qu’elle.

Elle coupe, aussi, les ponts avec son ex-petit ami.

« Ça a été un choc. Pendant deux mois, je ne dormais plus la nuit, j’étais sous anxiolytique. »

« C’était un enfer », souffle-t-elle.

Au bord de l’épuisement, elle commence à se poser des questions.

D’autant qu’elle continue, tout de même, de voir occasionnellement ses collègues en dehors du travail et une copine rencontrée pendant ses études.

À qui, bien sûr, elle ne dit toujours rien de son implication chez les Témoins de Jéhovah.

« Avoir des liens à l’extérieur, c’est ce qui m’a sauvée », analyse-t-elle aujourd’hui.

Aline parvient à ralentir le rythme du porte-à-porte, déménage et s’éloigne de ses gardiens qui participaient à la maintenir dans le système.

Mais le véritable déclic viendra d’un coreligionnaire, qu’elle connaît depuis son arrivée à Lille.

Lui en est déjà au stade où il ne croit plus à la vision imposée par les Témoins de Jéhovah, la seule qu’il connaissait pourtant, ses parents étant eux-mêmes membres.

Voyant qu’elle n’est pas fermée aux questionnements, il lui expose les incohérences et les problématiques de leurs croyances et pratiques.

« Ça a été un choc. Pendant deux mois, je ne dormais plus la nuit, j’étais sous anxiolytique », raconte-t-elle.

Ce cheminement interne, dans lequel elle est accompagnée par une psychologue – qui, cette fois, sait tout – s’achève par un constat : elle doit quitter les Témoins de Jéhovah.

Mais partir n’est pas si simple.

« J’ai dit que je changeais de salle et je ne suis jamais allée à la nouvelle. J’ai eu droit à une visite, mais j’ai tenu bon ».

À la faveur du Covid-19 et des réunions organisées à distance, elle parvient à s’extirper du milieu.

Pas sans dommage. « Plus personne ne me parle, j’ai perdu celles que je croyais être mes copines », regrette-t-elle.

De ces années gâchées, reste un sentiment de culpabilité fort envers ses parents, à qui elle a fini par tout raconter.

« Ils sont tombés des nues et eux aussi, s’en veulent beaucoup ».

Et, surtout, le besoin de dénoncer, « pour que ça n’arrive pas à d’autres ».

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