France – Asie du Sud-Est | Un audit choc met en lumière des abus sexuels sur mineurs

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Pédocriminel En liberté

Les Missions étrangères de Paris dévoilent un rapport interne sur les abus commis par leurs prêtres
En 2012, Mansour Labaky a été condamné par la Congrégation pour la doctrine de la Foi
Depuis 1950, au moins 46 d’entre eux auraient commis des dizaines d’agressions, surtout sur des mineurs. Un chiffre qui serait largement sous estimé. L’Église catholique n’en a pas fini avec la révélation de crimes sexuels commis par des prêtres.

Dans un rapport choc dévoilé ce jeudi et que nous avons pu consulter en avant-première, on découvre que ces agressions dépassent les frontières du pays : plusieurs dizaines de curés envoyés en Asie par les Missions étrangères de Paris (MEP), pour y créer des paroisses, sont accusés d’abus sexuels sur des enfants et des adultes.

L’enquête a été déclenchée en 2023, après la mise en examen d’un prêtre de cette organisation, accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec des personnes fragiles, en France et au Japon.

Les MEP ont alors demandé au cabinet privé GCPS Consulting — déjà mandaté dans le scandale de l’Arche — d’enquêter en France ainsi qu’en Asie. 171 témoins, lanceurs d’alerte ou victimes ont été entendus, et le dossier de 350 curés suspects a été examiné

Huit prêtres agresseurs identifiés

Que dit ce rapport ? Entre 1950 et 2024, 46 prêtres sont mis en cause, pour 63 allégations d’agressions sexuelles, surtout dans les années 1970 et les années 2010.

Concernant huit prêtres, les agressions sont « avérées » et peuvent être qualifiées « de délits ou de crimes selon la loi française ».

Seul un des auteurs est encore en vie et a été mis en retrait de ses fonctions par les MEP.

Pour les agressions qui n’ont pu être totalement démontrées, « soit une enquête en cours, soit aucune enquête n’a encore été menée », disent les rapporteurs.

La moitié des agressions concernent « des violences sexuelles sur des personnes de moins de 18 ans », dont seize sur des mineurs de moins de quinze ans.

Autres faits relevés : « exploitation sexuelle », « avortement contraint » et « comportement inapproprié ».

« Le plus souvent, il s’agit de filles et de garçons hébergés dans les pensionnats ou les internats de la paroisse. Cela peut être aussi une femme de ménage ou une cuisinière, parfois âgée de quinze ans, employée par le curé », relate Jonathan (prénom modifié), lui-même prêtre aux MEP, longtemps missionnaire en Asie du Sud-Est

L’institution dit avoir pris ses responsabilités

C’est toute la spécificité de ce dossier : lors de ces missions lointaines dans des pays pauvres, l’Européen venu construire et animer une église apparaît comme une figure d’autorité à qui l’on doit tout.

« Il est vu comme Dieu le père, il y a du respect et de la crainte », ajoute notre missionnaire.

C’est bien ce que pointe le rapport, citant le témoin d’une agression : « Vous ne pouvez donner un consentement quand vous êtes une fille qui n’a pas d’argent, pas de quoi survivre, face à quelqu’un qui a le pouvoir spirituel et temporel. »

Qu’est-il advenu des agresseurs ? Rencontré ce mercredi, le père Vincent Sénéchal, supérieur de la puissante association missionnaire qui a ses antennes à Rome, assure avoir « pris ses responsabilités ».

Mais refuse de dire combien d’agresseurs présumés sont encore vivants, « pour ne pas créer de suspicion généralisée » et « respecter la présomption d’innocence ».

Indiquant simplement que, « sur le terrain, aucun risque n’a été pris » avec les suspects, ceux-ci faisant l’objet de « mesures conservatoires comme l’interdiction d’exercer leur ministère » et « d’entrer en contact avec les victimes ».

Il indique avoir récemment effectué « cinq signalements auprès du procureur de la République » à propos de certaines allégations, tandis que d’autres doivent se régler sur place, en Asie.

Le rapport estime toutefois qu’il « est probable que le nombre réel de violences sexuelles perpétrées par des prêtres MEP sur la période soit largement supérieur au nombre de cas recensés durant cet audit ». « Il y a des freins, dans ces pays où la parole n’est pas toujours libérée », constate Vincent Sénéchal.

Plus globalement, le rapport rappelle que « comme dans tous les cas d’abus sexuels dans l’Église, la morale sexuelle prônée par celle-ci et la vision de l’homosexualité comme péché, renforcent le silence autour de potentielles violences sur les garçons et les hommes ». En Asie, illustre aussi Jonathan, « le prêtre blanc est trop respecté pour être dénoncé. Si c’est le cas, la police n’aide pas, les gens du coin non plus. Il y a des pressions sur les victimes qui veulent parler.

La difficile indemnisation des victimes en Asie

Reste une question : quelles suites pour les agresseurs et les victimes ?

Depuis 1950, « dans la plupart des cas, les personnes mises en cause ont le plus souvent pu continuer à exercer leur ministère sans subir de sanctions, créant ainsi un climat d’impunité », dit l’audit.

À la marge, certains ont été changés de pays ou rapatriés en France, contraints de suivre une « cure » ou une « réflexion », avant de reprendre le cours de leur mission.

Depuis 2016, il est aussi remarqué une « documentation plus systématique » des incidents, et la déflagration du rapport de la Ciase a entraîné une « plus grande réactivité » des MEP sur ces affaires.

Concrètement, la création d’une commission de suivi, qui comprendrait des juristes et des supérieurs d’autres associations de missionnaires, a été actée, indique Vincent Sénéchal.

« Nous avons aussi nommé un délégué général de la protection, qui est en train de constituer une équipe, précise-t-il. L’idée est d’en installer un dans chaque pays où nous sommes en mission ».

Outre une charte de déontologie, un « protocole sur la gestion des alertes » par des victimes, ainsi que sur « la formation » des prêtres, a été déployé, explique encore Vincent Sénéchal, voyant dans l’audit « une base », qui « encouragera d’autres victimes à se manifester »

Aucune enveloppe financière n’a pour l’instant été décidée pour la réparation des victimes.

Interlocuteur privilégié : « La Commission reconnaissance et réparation (CRR) (l’organe mis en place dans la foulée du rapport de la Ciase pour les victimes d’abus), qui a une page en anglais sur son site », fait savoir Vincent Sénéchal.

Il le reconnaît : « Pour nous, cette justice restaurative est encore à construire. En Asie, cela prend plus de temps qu’en Europe. »

Trop léger, pour Jonathan. « Vous imaginez un habitant illettré du fin fond de la Thaïlande ou du Cambodge, qui aurait été violé par un curé, venir toquer à la porte de la CRR ? »

 

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