
France | Affaire Joël Chenal l’insupportable omerta du ski français
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- 17/09/2025
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Tu mets quoi comme culotte, toi

Vice champion olympique de ski en 2006, Joël Chenal, devenu entraîneur fédéral, aurait harcelé sexuellement au moins douze jeunes filles, toutes mineures au moment des faits, entre 2005 et 2021. Comment un tel comportement connu de certains a-t-il pu perdurer ?
Ex-skieuse de haut niveau, L. a été victime de harcèlement sexuel par Joël Chenal. Et elle s’étonne du silence du milieu du ski, resté passif face aux agissements du médaillé d’argent aux JO de Turin.
Certaines dérives présumées du champion, devenu coach à partir des années 2010, étaient déjà remontées aux oreilles de la Fédération française de ski bien avant les révélations du Monde, publiées en juillet.
Comment Joël Chenal a-t-il pu avoir la confiance d’acteurs fédéraux ou privés pour entraîner des skieuses sur une quinzaine d’années, malgré plusieurs alertes ?
Combien de cas de harcèlements, comme celui de L., auraient pu être évités si des mesures plus radicales avaient été prises à l’encontre du skieur originaire de La Rosière (Savoie) ?
Quand L. rencontre pour la première fois Joël Chenal en 2018, elle n’a que 13 ans. Originaire du Jura, la jeune skieuse effectue sa préparation estivale au sein de la structure privée Orsatus, basée à Brides-les-Bains (Savoie). Éloignée de sa famille, elle va participer à plusieurs stages sur glacier, au cours desquels elle se fait repérer par ce coach estimé de tous.
« Toutes les filles avaient beaucoup de respect pour les qualités de cet entraîneur. Il était très gentil et très impliqué », décrit Alexandre Fourrat, directeur d’Orsatus.
« Tu mets quoi comme culotte, toi ? »
« À l’époque, il me faisait des remarques du style : Ah ouais, pour une fille de 13 ans, tu as déjà un sacré physique », rapporte L. « Puis il s’est mis à m’envoyer des messages régulièrement, puis tous les jours pendant des mois. Il me disait que personne ne devait le savoir, ni les autres coachs, ni mes parents, ni même les filles du groupe avec qui j’étais, sinon on ne pourrait plus se parler. Et comme à 13 ans, on est tellement inconsciente du danger qui nous entoure… Un médaillé olympique qui s’intéresse à moi, je me sentais si importante, si unique à ses yeux… »
Petit à petit, les messages de Joël Chenal prennent une connotation sexuelle :
« Je n’ose pas te poser des questions osées », « Tu mets quoi comme culotte, toi ? », « Tu as un petit copain ? », écrit-il à l’adolescente.
Puis ses messages se sont accompagnés de photos.
« Des photos de plus en plus explicites, jusqu’à ne plus rien cacher, se rappelle L. Il m’envoyait son sexe en photo tous les jours, pendant des semaines. Ce cercle vicieux était infernal, jusqu’au jour où une amie a vu ces photos et m’a aidée à dire stop, après trois mois de mal-être. J’avais 13 ans à l’époque, lui 45. La première partie intime masculine que j’ai vue de ma vie, c’était la sienne »,
conclut la jeune femme, aujourd’hui âgée de 20 ans et qui a arrêté la compétition l’an passé.
« Je me suis dit que ça restait un bon coach »
Se sentant honteuse, L. supprime tous les messages de son téléphone et ne dit rien à l’encadrement d’Orsatus. Elle enterre cette histoire et va même retourner auprès de Joël Chenal en 2022, qui vient alors de créer la Silver Ski Team, après avoir été renvoyé d’Orsatus en 2021 à cause d’un énième harcèlement sexuel. « Malgré la présence de Joël Chenal, je me suis dit que ça restait un bon coach et que si je voulais progresser, je devais aller avec lui. Si c’était à refaire, je ne le referais pas », assure la Jurassienne.
« Je n’ai pas forcément envie de porter plainte, mais si je dois aller témoigner devant la justice, je le ferai ». Si elle partage son histoire, sept ans après les faits, c’est qu’elle se sent « concernée par les témoignages d’autres filles qui me mettent en confiance pour faire le mien ».
Alors qu’une douzaine de victimes au moins se sont manifestées, la parole se libère. La fille d’Adrien Duvillard, membre de l’équipe de France de ski des années 80-90, a confié avoir connu le même type de harcèlement de la part de Joël Chenal. « Elle m’en a parlé pour la première fois il y a quelques semaines à peine », rapporte le Haut-Savoyard.
« Elle avait 16 ans quand elle a reçu des photos de Joël Chenal à poil. Il l’avait contactée après l’avoir croisée en entraînement sur glacier. C’était en 2016, quand il était encore entraîneur du groupe technique de l’équipe de France féminine. Heureusement, ma fille a eu suffisamment de force de caractère pour tout de suite arrêter cet engrenage et bloquer les communications. Ça n’a pas été le cas d’autres skieuses qui ont vécu un véritable calvaire. Ça a détruit des familles. »
Une première enquête en 2009
Adrien Duvillard est en colère : « Combien de filles, plus jeunes, moins matures, n’ont pas eu la force de dire stop ? Jusqu’où s’étend le scandale ? Le silence de la FFS pendant toutes ces années est indéfendable. Beaucoup de responsables avaient connaissance des dérives de Joël Chenal. Ils vont devoir s’expliquer sur leur silence. En connaissant les agissements de Joël Chenal, comment a-t-il pu continuer à encadrer des jeunes filles ? » se demande-t-il, en faisant référence à toute une série de signalements qui sont restés lettres mortes.
Après sa fin de carrière internationale, Joël Chenal est visé par une première enquête en 2009. Cette année-là, il s’implique au ski club de sa station de La Rosière. Des parents signalent un comportement inapproprié de Joël Chenal vis-à-vis de jeunes skieuses. Une enquête de gendarmerie est lancée, mais elle est classée sans suite.
Au printemps 2013, la Fédération française l’embauche pour intégrer le staff de l’équipe de France féminine malgré quelques rumeurs nauséeuses. Ils sont, du coup, quelques-uns à le surveiller. Surtout quand, à l’automne, une skieuse s’épanche auprès d’un autre coach : « Mais pourquoi avez-vous laissé entrer le loup dans la bergerie ? »
« Vous me parlez d’un échange de 35 secondes, il y a 12 ans »
L’affaire aurait pu, aurait dû même, prendre une autre ampleur à la fin de l’hiver 2014. Aux finales de la Coupe du monde, à Lenzerheide en Suisse, un éminent responsable technique de la fédération raconte ainsi avec force détail, devant Michel Vion (alors président de la FFS) et Fabien Saguez (le DTN) que Joël Chenal est au cœur d’une sombre affaire à la Rosière avec une très jeune fille.
La discussion s’anime, la réputation de l’ancien champion remonte à la surface. Vion promet alors de gérer les choses et de s’occuper de l’affaire…
Il ne fera rien. Personne, d’ailleurs, ne fera rien, puisque Chenal est en place jusqu’en 2017. Michel Vion se défend :
« Vous me parlez d’un échange de 35 secondes, il y a douze ans, dans un restaurant avec sans doute une dizaine de personnes autour, où quelqu’un m’aurait dit que Joël Chenal dérivait. Je ne m’en souviens pas, mais je ne remets pas ça en doute. En revanche, personne n’est venu dans mon bureau m’en parler sérieusement et me prier de faire quelque chose. Personne ne m’a fait un courrier, un email. Sans faisceau de témoignages, je n’ai pas lancé d’enquête interne ni recadré Joël Chenal. »
Et Vion de poursuivre :
« À l’époque le contexte était différent, on ne réagissait pas de la même façon à ce genre de rumeurs. Aujourd’hui ce serait une faute grave que de ne pas signaler dans la minute un bruit de couloir évoquant un tel comportement. Pendant ma présidence, j’ai dû peut-être croiser trois fois Joël Chenal en dix ans, parce que c’était un entraîneur parmi 125 autres. Pourquoi les 200 personnes de l’entourage Joël Chenal qui le côtoyaient quotidiennement – staff technique, entraîneurs, DTN – ne sont-ils pas montés au créneau alors qu’ils étaient censés être les plus au courant de la situation ? »
La démission de Jean-Claude Killy
Contacté, Fabien Saguez, l’actuel président de la FFS, n’a pas réagi à cet épisode de 2014. Entre-temps, un rappel à la loi sera notifié à Chenal en octobre 2016 après une plainte déposée pour tentative d’atteinte sexuelle sur mineure de moins de 15 ans. Une légende du ski, et quelques glorieux anciens, essaieront aussi de secouer le cocotier.
Jean-Claude Killy, le triple médaillé d’or des JO de Grenoble, envoie un courrier qu’il signe avec Léo Lacroix, Jules Melquiond et Guy Périllat, pour démissionner de l’Association des internationaux du ski français (AIFS, créée en 1973 comme contre-pouvoir à la FFS suite à l’histoire des bannis de Val d’Isère) parce qu’elle n’a pas enquêté « sur les très graves rumeurs émanant de possibles harcèlements sexuels de certains cadres de l’Équipe de France sur des jeunes skieuses, dont des mineurs semble-t-il ».
Florence Steurer, alors présidente de l’AIFS, dit avoir « interpellé Michel Vion devant 60 personnes », se contentant d’une vague réponse du président de la FFS qui se cache derrière une enquête de la gendarmerie.
« On dit aujourd’hui que tout le monde savait tout dans les détails. Non, ce n’est pas vrai. On n’a peut-être pas été assez vigilant, se défend Vion. Le tort qu’on a eu, c’est de se baser sur des rapports de gendarmerie. Avant on était moins sensibilisés aux problèmes de harcèlement pour aller au-delà de l’action des forces de l’ordre. (…) Si on avait connu tout ce qui est révélé actuellement, on aurait tout stoppé. »
Joël Chenal trouve finalement un poste à Orsatus, une structure privée basée à Brides-les-Bains et… labellisée par la FFS. Contrairement à Jean-Pierre Vidal, son directeur n’est apparemment pas informé de son passif.
« Au moment de recruter Joël Chenal en 2017, nous n’avions pas du tout connaissance qu’un rappel à la loi avait été dressé à son encontre, certifie Alexandre Fourrat, à la tête d’Orsatus, qui accompagne à partir de l’âge de 16 ans des skieurs évoluant sur des courses FIS, antichambre des grandes compétitions internationales. Ni moi-même, ni aucun de la quinzaine d’entraîneurs du team. Et cela durant toute la période où il a entraîné (jusqu’en 2021). »
« Absolument dégoûté »
Les jeunes skieuses d’Orsatus ont exactement le profil des cibles privilégiées par Joël Chenal. Après quatre années au sein de la structure, le coach est de nouveau mis en cause en février 2021 par une jeune femme de 19 ans, passée par Orsatus un an auparavant et qui était repartie chez elle en Amérique du Sud suite au Covid en mars 2020. Elle a reçu de Chenal une « photo déplacée », à caractère sexuel.
Pour Orsatus, une ligne rouge a été franchie.
« Nous nous sommes séparés le soir même de cet entraîneur pour une notion d’éthique, raconte Alexandre Fourrat. Mais au moment de l’envoi de la photo, la jeune femme était majeure et il n’y avait pas de rapport entraîneur/entraîné. Nous avons immédiatement organisé des réunions avec toutes les filles du team pour savoir si certaines d’entre elles avaient eu ou avaient actuellement des problèmes avec cet entraîneur. »
Mais rien d’autre ne ressort. La gendarmerie n’est pas prévenue « car il n’y avait rien de plus concernant des mineurs », se justifie Orsatus, qui n’a pas sondé au-delà des filles présentes en 2021.
L., harcelée en 2018, n’est pas interrogée. « C’est vous qui venez de nous l’apprendre en ce mois d’août 2025 », confie Alexandre Fourrat, qui se dit « absolument dégoûté » par le comportement de ce coach en qui il avait confiance. « Impossible de soupçonner de tels faits de sa part », ajoute-t-il. Y a-t-il eu d’autres victimes au sein d’Orsatus ? À ce stade, impossible à dire.
Après l’épisode d’Orsatus, Joël Chenal s’éclipse une année. Puis créé sa propre structure d’entraînement en 2022 : la Silver Ski Team. Basée à la Rosière, elle est uniquement réservée aux… jeunes skieuses, évoluant sur des courses FIS, à partir de 16 ans.
Un collectif pour briser l’omerta
Avec l’afflux de nouveaux témoignages contre Joël Chenal et le dépôt d’une plainte pour « agression sexuelle » au parquet d’Albertville le 21 juillet, la Fédération française de ski a fini par prendre des mesures en suspendant sa licence et en lançant une procédure disciplinaire.
La fédération a également annoncé la création d’un comité d’éthique avec à sa tête le magistrat François-Xavier Manteaux, président du tribunal judiciaire de Saint-Étienne. De son côté, la préfecture de Savoie a retiré au coach par un « arrêté d’urgence » sa carte d’éducateur sportif, interdisant toute activité d’encadrement.
Dans sa station de Haute-Tarentaise où il était porté aux nues depuis sa médaille d’argent aux JO de Turin, Chenal est aujourd’hui devenu une figure que l’on veut cacher. Le stade de slalom qui portait son nom a été débaptisé « par respect pour les victimes présumées » explique la mairie.
L’affaire Chenal fait inévitablement penser au film « Slalom » de Charlène Favier, sorti en 2020, racontant l’emprise toxique d’un coach sur une jeune skieuse.
« Ce film aurait dû ouvrir les yeux du milieu du ski. Mais cela n’a pas été le cas », regrette Adrien Duvillard.
Il vient de créer un collectif appelé « Piste Libre » avec Jean-Luc Crétier, Marion Rolland, Claudine Emonet, entre autres.
« Ce collectif est un organe neutre, totalement indépendant de la Fédération. Il doit permettre de briser l’omerta régnant dans le monde du ski. Car tout n’est pas tout blanc dans le ski. »
Quant à la FFS, son silence, après son inaction, est assourdissant. Un fin connaisseur du milieu cingle : « C’est une mafia, ils se protègent tous ».
Les choses vont peut-être changer.
« On ne pouvait pas virer quelqu’un sur des présomptions »
« À l’époque on n’avait pas eu connaissance d’autres plaintes, nous assure l’ancien dirigeant. On aurait dû tous creuser davantage, être plus vigilants : le club de la Rosière, le comité, le DTN, les structures privées d’entraînement… Je suis prêt à assumer, mais c’est trop facile de dire que tout le ski français savait. C’est faux. La parole se libère davantage, et c’est très bien. Jamais je n’ai bloqué quoi que ce soit, ni protégé Joël Chenal. On avait consulté des avocats à l’époque, et on ne pouvait pas virer quelqu’un sur des présomptions. »
A-t-il vraiment cherché ? Ont-ils vraiment cherché ? Bien sûr que non. Car Chenal n’aurait jamais dû pouvoir entraîner à la Fédération jusqu’en 2017. D’ailleurs, Michel Vion est bien incapable de dire pourquoi Chenal a ensuite été remercié. « Ce n’était pas uniquement à cause du rappel à la loi », concède-t-il.
« C’est grave de ne pas avoir réagi, s’indigne Claudine Emonet, ancienne championne, qui avait déjà voulu briser le silence en révélant à notre journal les agressions sexuelles de son entraîneur dans les années 80. Il aurait fallu réagir immédiatement, suspendre Chenal avec des obligations de soin et l’éloigner de toutes ces jeunes filles qui n’ont pas été protégées. Il y avait les éléments suffisants pour l’empêcher de continuer à entraîner des jeunes femmes. Enfouir cette histoire a broyé d’autres vies. »
« On ne voulait prendre aucun risque avec des mineurs »
Remercié par la Fédération, Joël Chenal cherche à rebondir ailleurs. Il postule en mai 2017 au Comité de Savoie, qui est à la recherche de coachs pour ses groupes jeunes.
Un champion olympique va aussitôt mettre son veto. Il s’agit de Jean-Pierre Vidal (champion olympique de slalom en 2002).
« En tant que président du comité de Savoie, j’avais refusé de le prendre comme entraîneur alors qu’il y avait eu une enquête, nous confirme le Mauriennais. On ne voulait prendre aucun risque avec des mineurs. C’est ce que d’autres auraient dû faire aussi. On sait que dans le sport, la barrière est vite franchie. »
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