France | 400 000 enfants livrés à un Etat irresponsable
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 20/08/2024
- 15:13
Les violences, les fugues, la prostitution sont présentes dans quasiment toutes les structures de la protection de l’enfance en France.
Nous avons enquêté dans l’une d’entre elle située à Canteleu (Seine-Maritime).
Dans le domaine de la protection de l’enfance, il n’existe pas de normes s’agissant des diplômes et du taux d’encadrement.
Ainsi, de nombreux éducateurs n’ont pas de diplôme et à cause du manque d’attractivité du secteur, les directions ont recours à de l’interim de façon massive.
Pour la première fois, une commission d’enquête parlementaire s’intéressait aux dysfonctionnements de l’Aide sociale à l’enfance.
Les travaux de ses membres se sont arrêtés avec la dissolution de l’Assemblée nationale, en juin 2024.
« La prostitution, c’est dur. On n’a pas envie, mais on le fait pour avoir de l’argent, on fugue et on va fréquenter de mauvaises personnes. Je sortais dans la rue et je me faisais accoster. Il y a aussi les proxénètes qui nous promettent la richesse ; c’est comme ça que les filles tombent dedans. Les garçons, eux, c’est plus la drogue. »
L’expérience qu’a bien voulu raconter Lya à Enquêtes d’actu, n’est pas une exception.
Elle assure que c’est le cas dans tous les centres de région parisienne qu’elle a fréquentés.
Une vingtaine depuis qu’elle a été placée par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) à ses sept ans.
Elle n’en a que 17 aujourd’hui.
« La République, un parent défaillant »
« 50 % des enfants de la prostitution sont des enfants qui relèvent de l’Aide sociale à l’enfance. »
Alerte Diodio Métro, ancienne enfant placée, travailleuse sociale et présidente de l’association Repairs 95, qui vient en aide à ces jeunes.
« Il n’y a pas proie plus facile que celui qui a souffert et qui cherche à être aimé. C’est un terreau idéal pour les réseaux de prostitution et de drogue», ajoute-t-elle;
L’immense majorité des enfants placés dans les structures de protection de l’enfance doivent aussi subir l’extrême violence, les brimades, la maltraitance volontaire ou non des éducateurs…
« C’est un Bataclan tous les jours pour eux, alerte la députée socialiste Ayda Hadizadeh. Il n’y a pas de politique publique plus dysfonctionnelle que celle-ci. Tout ce que subissent ces enfants, c’est avec le consentement tacite, l’irresponsabilité de la puissance publique. Les dysfonctionnements ne sont pas des exceptions résiduelles. Il y a de belles histoires à l’ASE, mais ce n’est pas la norme. »
La rapporteure de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements de l’Aide sociale à l’enfance, la députée PS Isabelle Santiago dénonce :
« La République est un parent défaillant pour les quelque 400 000 enfants qui sont à sa charge »
Ce travail de ces élus a commencé en avril et s’est brusquement arrêté en juin, avec la dissolution de l’Assemblée nationale.
L’objectif de cette commission d’enquête, avant que tout ne s’arrête, était de mettre en lumière la « crise grave » que traverse ce secteur.
C’est « un système qui s’effondre de l’intérieur », dénonce Anne-Solène Taillardad, ancienne enfant placée, membre du Comité de vigilance des enfants placés.
Le cofondateur du Comité de vigilance, Lyès Louffok, ancien enfant placé également, insiste :
«On aspire à un changement concret, radical et à une réparation totale de notre système de protection de l’enfance.»
En France, lorsqu’un enfant fait l’objet de signalements parce que considéré en danger, il peut être retiré de son milieu familial.
Après enquête d’une assistante sociale, l’enfant peut être mis sous protection administrative, c’est-à-dire que les parents sont d’accord pour que le mineur soit mis sous la responsabilité du président du Conseil Départemental.
En cas de refus de l’assistance éducative par les parents, un juge des enfants décidera d’un placement.
En 2024, seuls 40 % des enfants étaient accueillis en famille d’accueil.
À cause d’une raréfaction du nombre de familles, dans la grande majorité des cas, les enfants à protéger sont envoyés dans des foyers.
Le scandale des placements hôteliers
Il existe une troisième possibilité : ce sont les hôtels, les campings et autres gîtes.
L’enfant est livré à lui-même dans ces structures pour touristes.
Une situation récente dénoncée par le Comité de vigilance des enfants placés.
Dans 95 % des cas, il s’agit de mineurs étrangers qui subissent ce mode de placement par manque de places ailleurs.
Les cas de suicide ne sont pas rares, comme pour cette adolescente, Lili âgée de 15 ans, placée dans un hôtel du Puy-de-Dôme, qui s’est tuée en février 2024.
« Vous imaginez un enfant qui a été abusé sexuellement qui se trouve à l’hôtel ? Moi, j’ai des jeunes qui sont passés à l’association qui sont restés trois ans à l’hôtel. Être à l’hôtel, c’est une angoisse immense, un vide sidéral. C’est cela qui amène au suicide. Ces gamins sont happés par les réseaux et d’abord celui de la prostitution », dénonce Diodio Métro, présidente de Repairs 95.
Depuis la loi Taquet votée en 2022, les placements en hôtel sont interdits pour les mineurs de moins de 16 ans.
Mais le décret d’application n’a été publié qu’après le suicide de cette adolescente du Puy-de-Dôme.
« Les décès d’enfants, c’est la pointe émergée de l’iceberg. » La députée du Val-d’Oise, Ayda Hadizadeh, ancienne coordinatrice du Comité de vigilance des enfants placés, fait « le parallèle avec les féminicides qui sont la pointe émergée des violences faites aux femmes, mais en dessous, il y a la montagne immergée des violences graves ».
«La protection de l’enfance, c’est la Roumanie de Ceausescu, alors qu’on est en France.»
La violence des éducateurs non formés
Mais même lorsque les enfants sont placés dans une structure associative administrée par un Département, les défaillances sont immenses.
Nous avons enquêté durant cinq mois avec nos collègues de la rédaction de 76actu, sur des violences et des cas de prostitution au sein de l’Institut départemental de l’enfance, de la famille et du handicap pour l’insertion (Idefhi) de Canteleu, dans l’agglomération de Rouen (Seine-Maritime).
L’Idefhi de Canteleu est le seul centre du département de Seine-Maritime a posséder un Accueil d’urgence où les enfants ne sont censés rester que quelques mois.
En l’espace d’un mois, entre le 13 juillet et le 6 août 2024, quatre adolescentes ont fugué de ce foyer public.
« Les fugues sont systématiquement déclarées […]. Afin d’être plus efficaces, les services de police et l’établissement ont convenu depuis quelques semaines, d’apporter la mention supplémentaire « fugue inquiétante » sur notre formulaire de déclaration lorsque la situation le nécessite et que les professionnels sont particulièrement inquiets des mises en danger », précise Mylène Flament, directrice générale de cette structure.
Selon nos informations, une des jeunes filles s’était échappée en juillet pour rejoindre un réseau de prostitution.
À l’Idefhi, les proxénètes ont la main mise sur des jeunes.
« Les proxénètes arrivent à attraper une ou deux filles fragiles psychologiquement, et ils les incitent à faire venir d’autres filles, nous explique une source interne à l’Idefhi. Mais parfois le proxénète est aussi un enfant placé. C’est l’omerta totale. »
Et cela dure depuis longtemps.
Une source judiciaire spécialiste de ces questions nous évoque des affaires, il y a moins de dix ans, où des éducateurs de l’Idefhi étaient les complices des proxénètes :
« Ils servaient de complices aux réseaux des quartiers qui voyaient dans ces jeunes filles, la poule aux œufs d’or. Les éduc’ surveillaient les filles, contrôlaient qu’elles soient bien présentes au moment où les réseaux venaient les chercher à l’Idefhi. »
Les jeunes placées étaient inscrites sur Sexmodels.fr essentiellement ou encore Wannonce.
« C’était massif, tout le temps. Dans chaque dossier, on avait 3 ou 4 mineures impliquées», dénonce une source judiciaire.
« Les mineures étaient placées dans une chambre d’hôtel et faisaient 20 à 30 passes par jour », poursuit notre source.
En 2023, 55 agents de l’Idefhi ont bénéficié d’une formation concernant la prostitution des mineurs.
Une « fugue inquiétante » a aussi été signalée, parce qu’une de ces ados avait passé la nuit dehors à cause d’un surveillant de nuit de l’Idefhi qui comme punition d’une précédente sortie non autorisée, lui a interdit l’accès à son foyer.
Selon nos informations, cet agent avait l’assentiment de son chef de service pour agir ainsi.
Les personnels encadrants et en premier lieu, les éducateurs n’ont trop souvent aucune formation pour s’occuper de l’accompagnement de ces jeunes vulnérables.
Les diplômes ne sont pas obligatoires tout comme le taux d’encadrement.
« C’est la loi du plus fort »
« Dans un centre aéré, il y a une obligation de taux d’encadrement et de diplôme, mais pas en protection de l’enfance, sachant que ce sont les gamins les plus abîmés. Même si ça ne garantit pas la qualité, grâce aux diplômes, on acquiert les bases et l’éthique, la façon dont on pense l’accompagnement », commente Diodio Métro de l’association Repairs, elle-même éducatrice spécialisée.
Un éducateur de l’Idefhi de Canteleu témoigne :
«On est maltraité, et on maltraite les enfants parce qu’on craque. Nous ne sommes pas assez nombreux. Nous sommes sept dans mon unité pour 12 enfants, mais en réalité, nous ne sommes que deux ou trois face aux enfants. Plusieurs fois, je me suis surpris à hausser le ton ou à maintenir des enfants au sol, car ils sont trop violents. Une collègue a eu la mâchoire abîmée.»
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L’Idefhi de Canteleu emploie 1 240 agents, dont 750 éducateurs, et accueille environ 800 enfants placés sous la responsabilité du Département.
Pour les protéger, comme partout en France, la direction a recours à l’interim, parce que le secteur n’est pas assez attractif.
« Le secteur médico-social est souvent associé à des niveaux importants de stress et d’épuisement professionnel en raison de la nature exigeante et émotionnellement rude du travail. La nature même du travail peut entraîner un turnover élevé, ce qui complique le recrutement et la fidélisation du personnel », indique la directrice générale.
« On est mal payé et pas assez nombreux, voilà pourquoi ils partent », dénonce de son côté une source syndicale. La direction fait savoir que les salaires s’échelonnent de 1 900 euros brut par mois pour un agent non diplômé à 2 500 euros brut pour un éducateur spécialisé.
Selon nos informations, 47 % des éducateurs de l’Idefhi sont en CDD et 30 % d’entre eux sont sans diplôme.
Ils reçoivent une formation de quelques jours seulement, là où le diplôme d’éducateur requiert trois ans de formation.
« On met des gens non formés pour les encadrer, on est hyper maltraitant », alerte une professionnelle de l’Idefhi lors d’une réunion de travail.
Des coups, fessées, balayettes de la part des éducateurs sur les enfants de cette structure nous sont rapportés, comme partout ailleurs.
« Les coups, les clés de bras, les claques, c’est tout le temps », dénonce Lya, jeune placée de 17 ans, en région parisienne.
Des éducateurs qui agressent sexuellement les enfants
Les éducateurs peuvent aussi s’en prendre sexuellement aux enfants.
Le Département de Seine-Maritime nous rapporte que « deux suspicions d’agression sexuelle par un professionnel sur un mineur » ont été signalées par l’Idefhi au procureur de la République.
Une en septembre 2022 et une en juin 2023.
« Ces situations exceptionnelles sont signalées à la justice et traiter au sein de l’établissement de manière disciplinaire […]. Cela ne doit pas faire oublier le dévouement de l’ensemble des agents qui œuvrent au quotidien pour guider, soutenir, accompagner les enfants, adolescents et adultes », insiste Mylène Flament qui précise que ces deux agents ont été « licenciés ». Ce n’est pas toujours le cas.
« En foyer, c’est soit tu es agressé, soit tu es l’agresseur », témoigne un ancien enfant placé qui confie avoir violenté des tout-petits. (©RT / Enquêtes d’actu)
La jeune Lya a été agressée par un de ses éducateurs lorsqu’elle avait 15 ans, dans un foyer d’Île-de-France :
« C’était un intérimaire de 60 ans. C’était super compliqué avec notre argent de poche. On avait le droit à 70 euros, sauf qu’ils ne nous les donnaient pas. Ils nous faisaient du chantage pour qu’on respecte les règles. On avait super faim. Il a vu ma situation. Il m’a proposé d’aller dans ma chambre et on a fait ce qu’il y avait à faire. C’était horrible. Après, il m’a payé tout ce que je voulais, mais en grandissant, je me dis que c’est pas normal. »
Nous avons eu la confirmation que l’éducateur en question est toujours en poste dans une autre structure.
« On se mettait à plusieurs sur les tout-petits »
Ce qui génère cette violence au sein des foyers, c’est aussi que tous les profils sont mélangés et souvent avec « des profils opposés » :
« mettre un enfant battu recroquevillé sur lui-même avec un autre enfant violent… Ce sont des loupés gravissimes qui arrivent », confie un éducateur qui parle aussi des violences sexuelles entre enfants, souvent très jeunes.
Kyllian Fayet, un ancien enfant placé témoigne :
«En foyer, c’est soit tu es agressé, soit tu es l’agresseur. Moi, j’ai pris le rôle de l’agresseur. Je n’avais pas le choix. On se mettait à plusieurs sur les tout-petits. Je plains les jeunes qui ont subi ce qu’on leur a fait subir. À leur place, je n’aurais pas tenu.»
Cette violence à l’intérieur de ces structures est aussi le fruit d’une « prise en charge psychiatrique catastrophique », déplore Kyllian Fayet, président de Repairs 76 :
« Si un jeune ne va pas bien, il n’y a aucune solution. À Rouen, c’est impossible d’avoir un rendez-vous. Ce n’est pas normal que des jeunes qui ont des problèmes psychiques soient diagnostiqués à leur sortie de l’ASE. Les professionnels, par manque de formation, sont à l’origine de nouveaux traumatismes. »
Ces problématiques de violences ne sont pas propres à l’Idefhi de Canteleu, qui, à en croire Kyllian Fayet, fait les choses le mieux possible :
« L’Idefhi fait remonter les faits de violences au Département et à la justice. Les locaux sont propres. La direction donne la parole aux jeunes sur ce qu’il faut changer, organiser. Les avis sont pris avant certaines décisions. Je ne connais pas beaucoup de structures qui font cela. Ils laissent les jeunes monter des projets et ils les aident. »
La députée Ayda Hadizadeh parle d’un « système qui organise la pénurie » :
« Il n’y a pas assez d’éducateurs, ils ne sont pas assez formés, il n’y a pas assez de places dans les foyers, il n’y a pas assez de familles d’accueil, il n’y a pas assez de juges, les placements ne sont pas tous exécutés. On a inventé les placements à domicile. On sait qu’ils sont en dangers, mais faute de place, on laisse les enfants dans des familles dysfonctionnelles. »
Les enfants non placés en danger
À Lillebonne, en Seine-Maritime toujours, une chienne squelettique a été retrouvée vivant dans ses excréments avec sous le même toit, trois enfants âgés de 1 à 7 ans.
Le juge avait décidé d’une assistance éducative pour eux, c’est-à-dire qu’il a été décidé de laisser ces enfants à leurs parents maltraitants.
Dans ce département normand, 300 enfants sont actuellement en attente d’un placement.
En France, plus de 3 335 placements d’enfants en danger ne sont pas exécutés faute de places.
Enquête réalisée avec Thomas Rideau et Julien Bouteiller (76actu)
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