Fin de la prescription pour crime sexuels en Californie. Et en France ?

Le gouverneur de Californie a ratifié mercredi une loi supprimant la prescription pour les crimes sexuels. Mesure qui avait été réclamée dans le sillage de l’affaire Bill Cosby. Cette décision peut-elle relancer le débat sur l’imprescriptibilité des crimes sexuels en France ?

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Un code pénal. Photo Eric Piermont | AFP

La Californie a ratifié mercredi une loi qui supprime la prescription pour les crimes sexuels.
Le nouveau texte permet sans limite de temps d’engager des poursuites pour les crimes sexuels – jusqu’à présent les victimes avaient dix ans pour porter plainte, sauf en cas de présence d’ADN.
La mesure a été demandée dans la foulée de l’affaire Bill Cosby.

L’avocate Gloria Allred, qui représente plusieurs victimes de l’acteur, a réagi en soulignant qu’avant «la ratification de la loi, la prescription a empêché beaucoup de victimes de viols de pouvoir envisager des poursuites», notamment «beaucoup de femmes, y compris beaucoup de mes clientes, (qui) ont accusé Bill Cosby de les avoir agressées sexuellement».

En France, en cas de viol, le délai de prescription est de dix ans à partir du jour où l’infraction a été commise. Depuis 2004, lorsque la victime a moins de quinze ans, le délai de prescription est de vingt ans (à partir du jour de sa majorité).

Pour Laure Ignace, juriste de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), ces délais ne prennent pas en compte les réalités propres à ce genre de situations.

«Une victime d’un viol peut se réveiller plusieurs années après. Pour ces personnes, le délai de prise de parole est très, très lent. Elles peuvent décider d’entamer une action en justice après un suivi psychologique, un long travail de reconstruction».

Avant de poursuivre : «Un viol est aussi un trouble à l’ordre public. C’est en cela que le délai de prescription nous semble absurde».

Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue, présidente de l’association Stop aux violences sexuelles, partage le même avis :

«Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur des dégâts médicaux sur les victimes d’agressions sexuelles. Elles peuvent ensuite être atteintes de certaines pathologies comme le cancer du sein, le cancer du col de l’utérus ou l’endométriose. Et c’est en traitant ces maladies que l’agressions sexuelle se révèle à la victime en état d’amnésie post-traumatique».

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Une commission des lois rigide

C’est notamment pour prendre en compte l’occultation des souvenirs liés au traumatisme subi par les victimes que les sénatrices UDI (centre) Muguette Dini et Chantal Jouanno ont proposé, en 2014, de modifier le délai de prescription des agressions sexuelles commises sur des mineurs.
Leur principale proposition était d’accorder à la victime le droit de porter plainte quand elle se sent en mesure de le faire. Rendant ainsi le crime sexuel sur mineur quasi imprescriptible.

Le texte a été rejeté. «En France, on a une commission des lois rigide. Le Code pénal exclut, en dehors du crime contre l’humanité, tout autre paramètre d’imprescriptibilité» commente Violaine Guérin.

De son côté, une psychiatre membre de l’association Mémoire traumatique et victimologie, créée en 2009, estime que le délai de prescription est inadapté.

«Nous sommes aujourd’hui dans une impasse, seulement 10% des victimes d’agressions sexuelles portent plainte et seulement 1% des accusés sont condamnés. J’estime qu’il n’y a pas d’obstacle à l’imprescriptibilité. L’Angleterre, la Suisse (en 2013), et la Californie l’ont fait».

Depuis le 10 mars une proposition de loi, portée notamment par le député LR du Rhône Georges Fenech, a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale. Actuellement en examen au Sénat, la proposition permettrait d’allonger le délai de prescription pour tout crime : on passerait de trois à six ans pour les agressions et les cas de harcèlement sexuel, et de dix à vingt ans pour les viols.

Si elle se réjouit de cette avancée, elle déplore que la proposition de loi mette au même rang les atteintes aux biens et atteintes à la personne.

«Il faut que les atteintes à la personne prennent plus d’importance aux yeux de nos décideurs. Il faut mettre le paquet pour agir et changer les choses».

Les agressions sexuelles «minimisées par le gouvernement et la classe politique»

De son côté, Chantal Jouanno déplore que cette proposition de loi ne change rien au délai de prescription pour les mineurs.

«On banalise l’acte d’agression sexuelle et on traite le mineur comme une personne majeure. D’autant plus qu’il s’agit d’une atteinte à la personne aggravée quand il s’agit de mineurs».

La sénatrice a déposé deux amendements à la proposition de loi. Le premier concerne la notion d’imprescriptibilité lors d’agressions sexuelles, et le second est en faveur d’un passage de 20 à 30 ans de prescription pour les mineurs victimes d’agressions sexuelles.

Elle déplore le manque d’intérêt du gouvernement concernant les agressions sexuelles.

«Quand j’ai porté le projet de loi en 2014, je me suis rendu compte à quel point les agressions sexuelles étaient minimisées par le gouvernement et la classe politique. C’est très frustrant».

Source : http://www.liberation.fr/

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