Corée | Le club coréen Burning Sun au cœur d’un scandale sexuel

Prostitution, caméras-espion et K-pop : l’horreur en backstage du club coréen Burning Sun

Illustration. © getty

Le quartier huppé de Gangnam est peuplé de gens puissants. Au cœur de ce quartier se trouve le club le plus élégant et le plus raffiné de Corée du Sud : le Burning Sun. De nombreuses femmes ont été frappées d’amnésie à Gangnam ; Toutes se souviennent avoir poussé à un moment la porte du Burning Sun. Certains accusent le club de droguer volontairement certaines de ses clientes tout en s’appuyant sur la corruption de la police.

C’est l’un des plus gros scandales qu’ait connu la Corée du Sud ces dernières années.

Depuis février 2019, Séoul est en ébullition suite à une série de révélations gravitant autour du club emblématique du quartier de Gangnam : le Burning Sun.

Entre prostitution, caméras-espion et K-pop, décryptage de l’affaire qui fait tant de bruit au pays du Matin calme.

À Gangnam, ce quartier huppé aux allures de fourmilière humaine perdu au sud de Séoul, les emplois du temps sont plus chargés qu’ailleurs. Pour les respecter, on file droit, sans s’attarder sur les énigmes apparaissant en chemin.

Est-ce pour cela que, pendant longtemps, personne n’a cherché à savoir pourquoi les femmes y devenaient tour à tour amnésiques ?

Au petit matin, elles avaient beau tenter de se souvenir ; il ne demeurait de la veille que des trous noirs. Parfois de quelques heures, parfois d’une nuit entière.

« Un jour, je me suis réveillée à terre, j’étais allongée dans une ruelle », raconte Jang-mi.

Cette serveuse d’un restaurant familial à deux pas des grandes avenues du quartier préfère rester discrète quant à son nom de famille.

« Il était 5 heures du matin et je ne savais pas du tout comment j’étais arrivée là. Je ne me souvenais de rien, donc je ne suis pas allée voir la police. Mais je suis certaine qu’il ne s’est rien passé de grave. »

Contrairement à la majorité des Coréens, Jang-mi parle parfaitement anglais grâce à un long séjour à l’étranger pendant ses études. Mais elle ne tient pas à rentrer dans les détails de cette soirée où elle a perdu la mémoire.

Tout juste reconnaît-elle à demi-mot qu’un inquiétant manège était à l’œuvre dans le voisinage depuis quelques années.

« Gangnam n’est pas un quartier comme les autres », reprend-elle. « Il y a des gens puissants, qui ont du pouvoir. On ne les voit pas en journée, car ils sont dans leurs bureaux. Mais la nuit, on peut les apercevoir dans les restaurants de luxe ou dans les grands clubs. Ils font ce qu’ils veulent. »

Elle s’interrompt un moment, prend une gorgée de café au lait.

« Parfois, on peut aussi les entendre à la radio ou les voir à la télévision. »

Cinquante ans en arrière, il n’y avait ici que des champs. Poussés par le capitalisme effréné du miracle économique sud-coréen amorcé en 1953, les agriculteurs voient la valeur de leurs terrains exploser. Au point de céder aux sirènes des constructeurs immobiliers qui y érigeront des gratte-ciels comme des totems à la gloire d’un pays plus fort, plus connecté, plus riche.

Depuis, le tempo de Gangnam a radicalement changé. Ses nuits s’agitent jusqu’à frôler l’hystérie, irriguées par la fortune des anciens paysans devenus milliardaires.

« Tous ces nouveaux riches veulent montrer qu’ils ont de l’argent, ils veulent flamber, rouler au volant de grosses voitures et quand ils sortent en club, c’est toujours à qui payera le plus de bouteilles de champagne », détaille Jang-mi.

C’est ce fameux “Gangnam Style” célébré en 2012 par le chanteur Psy dans son hit planétaire du même nom. Mais plus encore que par ce tube K-pop, le style de Gangnam est incarné par une discothèque se présentant elle-même comme « le club le plus élégant et le plus raffiné de Corée du Sud » : le Burning Sun.

Presque invisible depuis la rue, le club ouvert en février 2018 était discrètement situé dans les sous-sols de l’immense hôtel cinq étoiles Le Méridien, au niveau de l’arrêt de métro Sinnonhyeon. Il comptait un étage dédié à l’EDM, un autre au hip-hop, une entrée VVIP (sic), un luxueux système son Funktion-One et soixante tables VIP.

À la carte, des champagnes Armand de Brignac ou des cognacs Louis XIII à mille euros la bouteille. De quoi tenir des soirées aux allures de bacchanales.

Et dissimuler l’un des plus gros scandales qu’ait connu la Corée du Sud depuis la destitution de la présidente du pays en 2017, Park Geun-hye, suite à une affaire de corruption qui lui a valu 25 ans de prison.

Car il reste tout de même une chose dont se souvient clairement chacune de ces femmes ayant perdu la mémoire : avoir poussé à un moment la porte du Burning Sun.

 

24 novembre 2018. Il est 6 h 45 du matin quand, sur le dancefloor du Burning Sun, un clubbeur de 29 ans nommé Kim Sang-kyo aperçoit un homme en train de harceler sexuellement une danseuse, apparemment sous l’emprise d’une drogue.

Kim Sang-kyo s’interpose pour aider la jeune femme. Puis, face à l’insistance de l’homme, demande au service de sécurité d’intervenir.

Contre toute attente, le staff s’empresse d’éjecter Kim du club, avant de le passer violemment à tabac devant l’entrée principale. Lorsque Kim décide d’appeler la police, la situation empire encore. C’est lui que les officiers décident d’arrêter, en l’inculpant comme s’il était lui-même l’auteur du harcèlement en question.

Malgré ses protestations, il est conduit au poste de police et y sera frappé à plusieurs reprises, avant d’être transféré dans un autre commissariat de Gangnam – pour être une nouvelle fois roué de coups.

 

Le déroulé des faits, que Kim Sang-kyo publiera sur Internet, est accablant :

« Environ dix policiers se sont mis devant la caméra de surveillance pour qu’elle ne puisse pas filmer la scène, tandis qu’au moins cinq autres ont continué à me frapper au sol. Le sergent de police a plaqué ma tête au sol avec ses genoux et m’a attrapé les cheveux. Il m’a dit “Mon garçon, même si tu nous supplies, nous ne te laisserons pas partir.” Je me suis remis à saigner de la bouche et du nez. »

Après plus de huit heures de détention, Kim Sang-kyo file directement à l’hôpital où on lui constate quatre fractures des côtes, la paralysie d’un doigt et de graves ecchymoses.

Deux mois plus tard, en janvier 2019, il lance une pétition sur le site de la Maison Bleue, l’équivalent coréen de l’Élysée.

Il demande à l’État d’agir contre un Burning Sun qu’il accuse de droguer volontairement certaines de ses clientes tout en s’appuyant sur la corruption de la police.

Installé dans ses bureaux du quartier d’Itaewon, connu pour sa forte concentration de résidents étrangers, Hong You-seok parle fort et fait de grands gestes avec les mains.

En plus d’être directeur de la version coréenne de Mixmag – le célèbre mensuel dédié aux musiques électroniques et à la culture clubbing –, il s’est passionné pour l’affaire du Burning Sun qu’il connaît dans ses moindres détails.

Et pour cause : parmi ses connaissances se trouvent de nombreux amis proches de Kim Sang-kyo. Il explique que la police et les agents de sécurité du Burning Sun ne savaient sans doute pas à qui ils avaient à faire.

« Kim Sang-kyo n’est pas n’importe qui. Son grand-père était ministre de la Justice et son père est une figure politique du pays. Il est issu de la haute société coréenne. Il a utilisé ses contacts pour mettre en lumière ce qui s’était passé cette nuit-là au Burning Sun et il a déposé plainte. »

Rapidement, la pétition du clubbeur réunit plus de 200 000 signatures et interpelle l’opinion publique.

D’autant que le club de Gangnam compte parmi ses directeurs généraux l’une des plus grandes stars de Corée : Seungri.

Ce chanteur de 28 ans est l’un des cinq membres de Big Band, considéré comme le groupe de K-pop le plus influent de l’histoire, totalisant 137 récompenses décernées par l’industrie musicale coréenne. Avec 140 millions de disques écoulés, Big Band est aussi le boys band le plus vendeur au monde, devant les Backstreet Boys, les Jackson 5 ou One Direction.

Mais depuis 2018, le groupe est en pause. En cause, le départ de plusieurs de ses membres pour le service militaire de deux ans auquel doivent se soumettre tous les Coréens. De quoi laisser suffisamment de temps à Seungri pour troquer ses looks branchés d’idole K-pop contre de coûteux costumes cravates d’homme d’affaires.

Voilà des années que le chanteur fantasme en effet la vie de businessman et voue une adoration sans limites à la figure de Gatsby le Magnifique, au point d’avoir sorti en 2018 un album solo baptisé The Great Seungri, en référence au titre anglais du roman de Francis Scott Fitzgerald.

Pris par la folie des grandeurs, Seungri a commencé à investir dans une chaîne de restaurants japonais, dans les nanotechnologies, dans le secteur des cosmétiques… Et dans le Burning Sun, avec l’idée d’y reproduire les fêtes opulentes et fastueuses du plus célèbre des millionnaires de la littérature américaine.

« Ce qui s’est produit, c’est que dès que Kim Sang-kyo a commencé à pointer le club du doigt avec sa pétition, Seungri a aussitôt décidé de présenter des excuses publiques. Mais ça n’avait aucun sens. Pourquoi s’excusait-il aussi soudainement ? Ça a rendu tout le monde encore plus suspicieux », retrace Hong You-seok.

Lorsqu’une véritable enquête est mise en place par le gouvernement pour faire la lumière sur cette affaire, personne ne se doute encore que dans son palais nocturne, le Gatsby coréen se livre à l’abominable.

 

Source : traxmag.com

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