Canada | Le médecin de l’abbé Harvey craignait qu’il ne se suicide

C’est parce qu’il était inquiet de l’état dépressif de son patient, l’abbé Paul-André Harvey, que le Dr Jean-Paul Fortin a sonné l’alarme auprès de l’évêché de Chicoutimi en 1969. Il n’a jamais soupçonné que le jeune vicaire agressait sexuellement de nombreux enfants de la paroisse Sainte-Cécile.

C’est ce qu’a expliqué le médecin à la retraite, hier, devant la juge Sandra Bouchard, de la Cour supérieure du Québec.

Le ton alarmant de la lettre adressée à l’évêque Marius Paré, datée du 22 février 1969, pouvait laisser croire que le Dr Fortin avait tenté de mettre les autorités religieuses en garde contre l’abbé Harvey, qui purge une peine de six ans de prison pour avoir agressé 39 enfants au Saguenay entre 1963 et 1987.

«Je crois qu’en ne faisant rien, il peut arriver des choses irréparables, a écrit le Dr Fortin à l’évêque Paré. Quand la douleur est quelque part ou lorsqu’un danger s’installe, il faut tout essayer.»

À l’époque, le cabinet du Dr Fortin se trouvait au 55, rue de l’Église, à Kénogami, juste en face du presbytère de l’église Sainte-Cécile où l’abbé Harvey a agressé au moins 15 enfants.

«Il avait l’air bien malheureux»

Mais il ne faut pas chercher à lire entre les lignes, a prévenu le Dr Fortin, interrogé hier dans le cadre d’un recours collectif intenté contre l’évêché par les victimes du prêtre.

«Il avait l’air bien malheureux. On pense à n’importe quoi dans ce temps-là», a-t-il expliqué. En évoquant des «choses irréparables», le médecin craignait en fait que son patient ne se suicide.

Il n’était pas au courant des agressions qu’il commettait contre des enfants de la paroisse. Il n’a découvert la vérité qu’au moment de l’arrestation du prêtre, en 2011. «Ça m’a surpris énormément», a confié le Dr Fortin.

Dans sa lettre, le médecin évoque un «malaise» grandissant au presbytère. En interrogatoire, il a expliqué qu’il faisait référence aux relations tendues entre l’abbé Harvey et le curé de la paroisse, Alfred Girard.

«Il m’avait dit que ce n’était pas vivable dans le presbytère. Ça ne m’a pas surpris. C’était un curé qui parlait fort.» – Le Dr Jean-Paul Fortin

Le 3 mars 1969, l’évêque Marius Paré a remercié le médecin de l’avoir informé de «l’atmosphère» qui régnait au presbytère dans une lettre encore plus sibylline.

«Monsieur l’abbé Harvey est au repos et il est parti pour Montréal, soi-disant chez sa mère, a écrit l’évêque. C’est un cas à suivre, mais comme il arrive toujours en pareilles circonstances, ce n’est pas facile, parce que l’intéressé a ses propres façons de voir et goûts qui ne sont pas tout à fait à point.»

Pour Suzanne Tremblay, une des victimes de l’abbé Harvey, il est clair que l’évêque Paré – aujourd’hui décédé – faisait allusion aux déviances sexuelles du vicaire. «Je n’ai pas été la première à le dénoncer. Il y en a eu avant moi, il y en a eu après moi. Cela a duré des décennies. [L’évêque] le savait», a-t-elle commenté.

82 personnes inscrites

Paul-André Harvey a reçu sa peine en septembre 2015. Ses victimes cherchent maintenant à obtenir réparation auprès de l’évêché de Chicoutimi. Jusqu’ici, 82 personnes se sont inscrites au recours collectif.

Âgé de 86 ans, le Dr Fortin a été entendu par la juge Bouchard en vertu d’une procédure appelée ad futuram memoriam, qui permet d’interroger des témoins dont l’état de santé risque de se détériorer avant le début des audiences.

Dans le cadre de cette procédure, la juge Bouchard entendra aujourd’hui l’ancien évêque de Chicoutimi Jean-Guy Couture (87 ans), qui a succédé à Marius Paré en 1969. Son témoignage pourrait être crucial pour déterminer si l’évêché était au courant des crimes pédophiles commis par l’abbé Harvey pendant plus d’un quart de siècle au Saguenay.

Source : lapresse.ca

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