Brésil – France | Le destin violent d’une escort-girl devenue mule
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 16/01/2025
- 18:08
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Son corps a trop longtemps été mis au service des hommes, de leurs désirs et de leur violence. Escort-girl depuis ses 17 ans, elle a été recrutée comme « mule » à 19 ans.
Utilisée à son insu, dit-elle, comme passeuse de cocaïne entre le Brésil et la France, Sarah (le prénom a été modifié) s’est fait voler la marchandise avant de subir des représailles extrêmes.
Un enlèvement en plein Paris suivi d’une atroce séquestration. C’était en juillet 2021.
Trois ans plus tard, les investigations, toujours en cours, ont révélé l’existence d’un réseau « rigoureusement organisé et dirigé » se servant de nombreuses jeunes filles, toutes « escort » de profession.
Une dizaine de personnes ont été mises en examen, dont Sarah pour son rôle présumé de « mule ».
Mais elle a dans le même temps été reconnue comme victime d’un viol en réunion et d’actes de torture et de barbarie.
« Ce statut hybride, à la fois mise en examen et partie civile dans le même dossier, illustre la singularité de son vécu et a fondé mon axe de défense pour obtenir son placement sous contrôle judiciaire, sans passage par la détention provisoire », souligne son avocate, Me Sandrine Pégand
«Très jeune, j’ai gagné beaucoup d’argent, plus de 10 000 euros par mois
Sous la menace d’un renvoi devant une cour d’assises, Sarah a accepté de nous raconter son histoire.
Sans s’apitoyer sur son sort mais pour que ses erreurs, peut-être, servent à d’autres.
Le rendez-vous a été fixé à Bruxelles (Belgique) un mardi de décembre.
Emmitouflée dans un gilet rose bonbon, elle porte un débardeur noir échancré et un short court. Sur ses jambes, de nombreuses traces de brûlure infligées par ses geôliers. Pour dissimuler les plus visibles, Sarah s’est fait tatouer sur le haut de la cuisse droite le portrait d’une geisha. Une figure complexe de la culture japonaise dans laquelle elle dit se reconnaître, à la fois artiste et dame de compagnie avant de se voir accoler l’image de prostituée de luxe.
Il y a quelques années, à l’âge où d’autres préparent le bac, cette Grenobloise a commencé à louer ses services pour « escorter » hommes d’affaires, footballeurs et autres VIP, le temps d’une soirée mondaine, d’un week-end dans un palace parisien ou d’un séjour au soleil. Sa beauté métissée et son phrasé sophistiqué participent de son succès.
« Très jeune, j’ai gagné beaucoup d’argent, plus de 10 000 euros par mois, parfois 30 000 », chiffre-t-elle
En mai 2021, une nouvelle opportunité se présente, plus inattendue, plus exotique aussi.
L’une de ses connaissances, « bookeuse d’artistes », lui propose un aller-retour au Brésil, tous frais payés, rémunéré 3 500 euros.
« On m’explique que la mission consiste à ramener en France des pépites d’or », amorce Sarah.
Elle est contactée ensuite par un homme surnommé Tony qui la met en confiance et lui donne des indications très précises sur le protocole à suivre. La jeune femme ne formule qu’une demande, aussitôt acceptée : ne pas voyager seule.
Sarah s’envole avec l’une de ses amies pour Rio de Janeiro où elles passent cinq jours de rêve entre la plage et leur hôtel de Copacabana. Son amie en profite même pour flirter avec un Français qu’elle prévoit de revoir à son retour
Un week-end de rêve à Rio, puis le cauchemar
La veille du retour, Sarah se voit remettre plusieurs sacs contenant des gâteaux au chocolat empaquetés dans un emballage industriel.
« Quand je presse ces gâteaux, je sens que c’est dur et je reste persuadée que c’est de l’or », se souvient-elle.
À Roissy-Charles-de-Gaulle, le duo de copines et leurs valises passent sous les radars.
Sarah est alors censée rejoindre Tony qui l’attend à Paris mais le programme change, au dernier moment.
« Le garçon rencontré par mon amie à Rio nous propose de venir nous chercher en voiture », assure-t-elle.
Au bout de quelques kilomètres, Sarah et son amie auraient ensuite été contraintes, sous la menace d’une arme, de sortir du véhicule et d’abandonner leurs précieuses valises.
La jeune femme aurait pu tenter de fuir mais elle prend contact avec son donneur d’ordres.
Au téléphone, Tony comprend qu’il s’est fait doubler par un rival et soupçonne Sarah de l’avoir trahi.
« Il est fou de rage, je suis morte de peur et je lui obéis », explique-t-elle.
Enlevée par Tony et deux de ses complices en plein cœur de la capitale, elle est conduite dans une maison du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) où débute sa séquestration.
D’abord, ses ravisseurs la déshabillent puis arrachent les piercings qu’elle porte aux tétons et retournent ses ongles au couteau.
« Ils font ensuite perler au-dessus de mes cuisses des gouttes de plastique fondu, détaille-t-elle. Ils veulent me faire parler mais je ne sais rien des trois hommes qui nous ont dépouillés. »
Sarah explique avoir subi ensuite une série de viols, allongée sur le ventre.
« J’ai senti la présence de plusieurs hommes qui se succédaient, frissonne-t-elle encore. Ils étaient plus de trois, peut-être cinq. Quand cela s’est arrêté, j’aurais voulu disparaître, mourir plutôt que survivre. »
La séquestration s’étire pendant quatre jours et cinq nuits.
Le temps, semble-t-il, pour Tony et ses complices de retrouver les voleurs et les précieux paquets de gâteaux au chocolat.
« Je comprends à ce moment-là que je n’ai pas transporté de l’or mais de la cocaïne », murmure Sarah.
« Les escort sont toutes des mules en puissance
Relâchée à la gare RER du Bourget, elle ne raconte rien du calvaire qu’elle vient de subir. Ni à ses parents, ni aux policiers qui ont ouvert une enquête pour disparition inquiétante.
Elle se réfugie à Bruxelles et reprend ses activités d’escort-girl.
« Je glisse, je me mets à boire pour tenter d’oublier et j’accepte des relations sexuelles tarifées, ce que je ne faisais pas avant, déroule-t-elle. Je me détestais d’avoir accepté ce voyage au Brésil, d’avoir été aussi insouciante… »
Sa dérive prend une tournure judiciaire lorsqu’elle finit par être identifiée et localisée par les enquêteurs du 3e DPJ de Paris. Sarah, 22 ans, dit aujourd’hui avoir tourné le dos au métier d’escort, trouvé le bonheur avec son fiancé et dormir un peu mieux depuis l’incarcération en juillet dernier de Tony.
Interpellé en Argentine, ce trentenaire a été mis en examen pour son rôle présumé de chef de réseau et pour les faits de viol en réunion auquel il conteste avoir participé.
Avec le recul, Sarah analyse le piège qui s’est refermé sur elle.
« Les escort sont toutes des mules en puissance, estime-t-elle. Elles connaissent la discrétion et les situations à risques, elles aiment l’argent rapide et peuvent fréquenter de mauvaises personnes. Il ne faudrait jamais mettre un pied dans ce monde-là ».
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