
ASE | Une commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’accueil des enfants placés
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- 24/04/2025
- 18:14
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Aide sociale à l’enfance : ce qu’il faut retenir du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’accueil des enfants placés.
Face à un système “qui craque de toutes parts”, une commission d’enquête parlementaire exhorte à “agir vite” pour refonder l’aide sociale à l’enfance, prônant entre autres une loi de programmation et un renforcement des contrôles.
Mise en œuvre par les départements, l’ASE a pour vocation de prévenir et repérer des situations de danger ou de risques pour les enfants, de leur naissance jusqu’à leurs 21 ans.
Elle a également pour mission de les protéger en mettant en place des mesures éducatives ou en les plaçant dans des structures spécialisées.
Selon le dernier bilan officiel, 396 900 jeunes sont suivis par la protection de l’enfance en France, compétence des départements depuis les années 80.
Face à des mesures de protection en hausse de 44 % depuis 1998, le nombre de personnels sur le terrain est lui en “baisse constante” sur la dernière décennie.
En dépit des ambitions politiques affichées pour améliorer le sort des enfants placés, les députés constatent que “l’Etat continue de laisser la situation se dégrader, avec des enfants accueillis en sureffectif et des professionnels en perte de sens”, souligne sa rapporteuse, la députée socialiste Isabelle Santiago.
Une série de drames(Nouvelle fenêtre) survenus entre 2023 et 2024 a dévoilé de profondes lacunes de ce dispositif et abouti à la création de cette commission d’enquête au mois de mai.
L’élue du Val-de-Marne espère que cette commission aboutira à “des réformes urgentes et d’autres sur le fond”.
Pouponnières surchargées, enfants délaissés, manque de moyens… Voici ce qu’il faut retenir de ce rapport.
Des structures surchargées
Les députés constatent que les défaillances dans la prise en charge des enfants placés commencent dès le berceau.
Les pouponnières, ces structures chargées de veiller sur les enfants de moins de 3 ans, sont surchargées et peinent à recruter du personnel.
Leur taux moyen d’occupation est de 108% et plus de huit établissements sur dix (82%) se situe au-delà du seuil réglementaire de six berceaux par chambre, selon les députés.
Des membres de la commission d’enquête se sont rendus dans une pouponnière du Puy-de-Dôme, “une illustration de l’état alarmant des enfants placés en pouponnière”.
La rapporteuse dit ne s’être “jamais remise” de cette visite, lors de laquelle elle a eu vent de trajets en taxi effectués par des enfants de moins de 3 ans totalement seuls pour se rendre à des rendez-vous, faute de personnel en nombre suffisant pour les accompagner.
Selon le rapport, les faits ont été confirmés par le département, qui a assuré que des chauffeurs étaient “formés à cet effet”.
Les auteurs du rapport relèvent que les enfants ne sont pas logés à la même enseigne selon le département dans lequel ils sont pris en charge.
D’un point de vue budgétaire, la Corse dépense en moyenne 49 euros par habitant pour l’ASE, contre 214 euros en Seine-Saint-Denis, rappellent-ils, citant un rapport de la Cour des comptes de 2020.
Leur prise en charge dépend également des moyens de la justice, en raison du rôle essentiel des juges des enfants, qui décident des mesures à mettre en place, comme une aide éducative à domicile, un suivi dans un établissement spécialisé ou encore un placement.
Or les députés notent de fortes disparités, avec “encore trop de juges des enfants [qui] ont en charge 600, voire 700 ou 800 mesures, ce qui rend impossible le fonctionnement d’une justice des mineurs de qualité”.
Un recours à l’intérim “inquiétant”
Par ailleurs, les parlementaires s’inquiètent d’une “dérive particulièrement inquiétante” :
la hausse du recours à des organismes privés à but lucratif, ainsi qu’à des contrats d’intérim pour recruter le personnel au contact des enfants. Ce recours à des contrats courts est “incompatible avec les besoins fondamentaux de l’enfant”, notent les députés.
En outre, les sociétés qui emploient les intérimaires “ne sont pas en droit de demander un extrait de casier judiciaire” à leurs personnels, “ce qui transfère la responsabilité du contrôle à la structure employeuse” qui accueille les enfants placés, soulignent les élus.
Or, “cette vérification n’est pas appliquée”, concédait Didier Tronche, ancien éducateur et actuel président des associations de protection de l’enfant, lors de son audition, le 5 juin.
Les mineurs isolés “parmi les plus précaires”
Les élus constatent des défaillances dans l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA), ces enfants et adolescents étrangers présents sur le territoire français sans parent ou représentant légal, et dont la prise en charge relève aussi de l’ASE.
“Les conditions d’hébergement des MNA sont souvent parmi les plus précaires qui existent en protection de l’enfance”, notent les parlementaires.
En 2024, sept départements sur les 64 qui ont répondu au questionnaire de la rapporteuse faisaient “explicitement état d’une prise en charge de moindre qualité par rapport aux mineurs de nationalité française”, déplorent-ils.
Un manque de moyens chronique
Les députés observent que l’Etat s’est désengagé financièrement de la protection de l’enfance au fil des ans, tout en demandant un fort effort budgétaire aux départements, alors que “les dépenses totales de l’ASE ont augmenté de 61% depuis 1998”.
Ainsi, l’Etat contribue à hauteur de “3% seulement du financement des 10 milliards d’euros dépensés pour la protection de l’enfance chaque année”.
En outre, les dotations étatiques ont continué de baisser, avec un effort de près de 900 millions d’euros demandé aux départements dans le budget 2025, ce qui représente “40% de l’effort demandé aux collectivités”, relève le rapport citant un communiqué de l’association Départements de France.
Les auteurs du rapport alertent sur le manque de moyens humains et financiers alloués à la protection de l’enfance, qui influe directement sur les décisions prises par les magistrats.
En audition, certains juges ont “indiqué être parfois obligés de prendre des mesures plus graves que celles qu’ils auraient initialement envisagées”, comme un placement plutôt qu’une simple mesure éducative, “pour que les décisions soient appliquées plus rapidement”, a expliqué Cécile Mamelin, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), lors de son audition en mai 2024.
Inversement, “77% ont déjà renoncé à un placement”, faute de place.
En outre, les contrôles des établissements accueillant les enfants placés sont insuffisants.
Essentiellement par manque de personnel pour les effectuer : au niveau national, les députés ont recensé que 62 postes à temps plein “sont dédiés à des missions d’inspection-contrôle” des structures d’accueil.
Autrement dit, chacun de ces postes devrait contrôler 47 000 établissements, “soit 746 dispositifs” par poste.
Un sujet délaissé politiquement
Les parlementaires regrettent l’absence de politique tangible depuis 2017, date du dernier ministère de plein exercice dédié à l’enfance.
“L’enfance a été, soit oubliée, soit, au mieux, incluse dans le périmètre de compétences d’un ministre délégué ou d’un secrétaire d’Etat”, déplorent les auteurs du rapport.
Cela n’a “pas permis d’impulser la prise de conscience et surtout l’action nécessaires sur ce sujet au plus haut sommet de l’Etat”, dénoncent-ils.
Fin décembre 2024, lors de la formation du gouvernement de François Bayrou, l’absence de portefeuille explicitement dédié à la protection de l’enfance avait suscité l’inquiétude des associations.
Pour pallier ce manque, Emmanuel Macron a nommé, début 2025, Sarah El Haïry à la tête d’un haut-commissaire dédié au sujet, qui laisse les acteurs sceptiques quant à son efficacité.
Des enfants exposés à des problèmes de santé, à la prostitution et à la précarité
“Les enfants de l’ASE connaissent deux fois plus de maladies cardiovasculaires, deux à trois plus fois de maladies respiratoires, deux fois plus de cancers”, a affirmé en audition la professeure Céline Greco, cheffe du service de médecine de la douleur et palliative de l’hôpital Necker-enfants malades.
Côté santé mentale, ces enfants sont plus enclins à connaître des troubles du sommeil, des conduites alimentaires et du comportement, ainsi que des syndromes dépressifs, notent les députés.
Les élus ont également enquêté sur la prostitution des jeunes de l’ASE, qui concernerait 15 000 mineurs suivis par ces services.
Ils ont ainsi observé que les réseaux de prostitution “recrutent au sein même des structures d’accueil”.
Dans les Alpes-Maritimes, 75% des mineurs concernés viendraient d’un foyer de protection de l’enfance.
Dans le Nord, “sur un total de 145 cas de mineurs victimes de prostitution, 71% des jeunes étaient suivis par l’ASE, dont 40% faisant l’objet d’une mesure de placement”.
Une fois adultes, ces anciens enfants placés peinent à sortir de la précarité.
Bien que la loi oblige depuis 2007 les départements à accompagner les jeunes majeurs jusqu’à leurs 21 ans, “45% des jeunes de 18 à 25 ans sans domicile fixe sont issus de l’ASE” et “23% des adultes nés en France et hébergés par un service d’aide ou fréquentant un lieu de distribution de repas ont été placés dans leur enfance”.
“Loi de programmation”
Avant même la sortie de ce rapport attendu, la ministre des Familles, Catherine Vautrin, a présenté dimanche des pistes pour améliorer la protection de l’enfance (prévention, réflexion sur l’adoption, santé…), mais sans s’avancer sur les moyens financiers, admettant une situation budgétaire “difficile”.
Elle a notamment évoqué des mesures pour mieux prévenir le placement des enfants, aider les assistants familiaux ou mieux suivre la santé des jeunes placés.
Pour “sortir de la crise”, la commission préconise d’”adopter une loi de programmation” et de mettre en place un “nouveau fonds de financement” de la protection de l’enfance – sujets non abordés par Catherine Vautrin dans son “plan”.
Face à des demandes de placement en déshérence, la commission recommande également d’”augmenter le nombre de juges et de greffiers” pour permettre un suivi efficace.
Elle appelle par ailleurs à créer “une commission de réparation pour les enfants placés qui ont été victimes de maltraitance dans les institutions” et à renforcer le nombre de contrôle, “à raison d’au moins une inspection tous les deux ans” pour les établissements et les assistants familiaux.
Écartant l’option d’”une recentralisation”, elle recommande plutôt de mettre sur pied sans délai “un comité de pilotage” réunissant État, départements et associations à même de relancer une stratégie ministérielle.
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