Affaire Joël Le Scouarnec | Ce pédocriminel parmi les plus prolifiques de France

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L’affaire du chirurgien de Jonzac
Une affaire de pédocriminalité hors norme, sans doute la plus importante de France. Un récit de près de 30 ans de sévices sur de jeunes patients, parfois des nourrissons…

CHRONOLOGIE –  Le récit d’une fillette de Jonzac (Charente-Maritime) en 2017 avait mis les enquêteurs sur la piste d’une affaire de pédocriminalité d’ampleur. Les dates d’une affaire hors normes.

                                                                         

Né le 3 décembre 1950 à Paris. 

Profession : chirurgien digestif. Joël Le Scouarnec a été interne au CHU de Nantes (fin des années 70) puis a exercé dans différents établissements hospitaliers et cliniques de l’Ouest : à Loches (Indre-et-Loire) entre 1983 et 1994, à Vannes (Morbihan) de 1994 à 2003, à Lorient (Morbihan) et à Quimperlé (Finistère) et d’autres établissements bretons de 2003 à 2008, puis à Jonzac (Charente-Maritime) à partir de 2008.

 

A 23 ans, Joël Le Scouarnec rencontre sa femme, alors qu’il est externe en médecine et elle, aide-soignante. Ils se marient trois ans plus tard et ont trois garçons.

Le couple s’était séparé en 2003, selon le témoignage de son ex-femme.

Le chirurgien ressent ses premières pulsions pédophiles à 35 ans, à l’égard de sa petite nièce. Il explique aux enquêteurs :

“Elle venait souvent sur moi, sur mes genoux. Peut-être que je voyais en elle la petite fille que j’aurais voulu avoir.

Elle avait les cheveux longs, et oui, elle me séduisait. Inconsciemment, bien évidemment.”

Il déclare ensuite :

“J’ai dépassé le stade des câlins jusqu’au stade sexuel. Cela s’est fait naturellement”.

Ensuite, il agressera une fille d’amis, que sa femme garde régulièrement : il la photographie quand elle dort et lui fait subir des attouchements.

Avant cela, Joël Le Scouarnec a passé une enfance paisible en région parisienne, dans une famille catholique de trois enfants. Sa mère était concierge, son père menuisier.

Après une adolescence sans histoires, il s’est spécialisé en chirurgie viscérale, très vite au contact d’enfants. Cette fonction lui confère une aura certaine dans sa famille. Son entourage diverge et le ­décrit tour à tour comme “affable”, “énigmatique”, “taciturne”, “très instruit”, “supérieurement intelligent”, “manipulateur”.

Quand ils l’interrogent, les enquêteurs remarquent qu’il ne laisse rien au hasard, gérant les entretiens “dans l’anticipation, comme une partie d’échecs”.

Car Joël Le Scouarnec calcule tout, tout le temps. Il lui est nécessaire de minutieusement s’organiser pour planifier chacun de ses instants libres autour de ses pulsions déviantes.

Il se couche tard, se lève tôt, parfois au milieu de la nuit, pour regarder de la pédopornographie ou filmer son propre corps et son sexe, qui le fascinent presque autant que les odeurs corporelles, les siennes mais surtout celles des enfants.

En dehors de son quotidien à l’hôpital, il mène des histoires parallèles avec des poupées qui jalonnent sa vie. Il les prénomme Ellen, Véronique, Sonia… Il leur parle et les décrit comme ses “bébés”.

Aux enquêteurs, il a dit qu’elles servaient “à remplacer une vraie petite fille lors d’un acte sexuel”. Mais il distingue parfaitement ces poupées des ­enfants qu’il aurait agressé à l’hôpital.

Les fantasmes de Joël Le Scouarnec ne semblent pas s’être cantonnés aux méandres de son esprit détraqué. Il raconte :

“Le pli était pris”

La plupart des victimes suivantes sont des patients des hôpitaux où il exerce.

 

2005 | Condamné pour des images pédopornographiques

Le 17 novembre 2005, suite à une commission rogatoire internationale pilotée par le FBI, sur des réseaux pédocriminels alors qu’il officiait en Bretagne, Joël Le Scouarnec est condamné par le tribunal correctionnel de Vannes à 4 mois de prison avec sursis et à 20 000 € d’amende pour détention d’images pédopornographiques. Avec cette condamnation, il n’y avait pas eu d’obligation de soins.

Décision de justice qui ne sera pas communiquée aux conseils de l’ordre des médecins du Finistère et du Morbihan dont pouvait dépendre le chirurgien.

Cette condamnation ne sera pas non plus communiquée à l’hôpital dans lequel il exerce au contact d’enfants.

L’Ordre des médecins et la Ddass connaissaient sa condamnation de 2005.

On sait, cependant, aujourd’hui que cette condamnation de novembre 2005 pour détention d’images pédopornographiques était connue de l’Ordre des médecins et de la Ddass (Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales) ce qui ne l’a pas empêché de continuer d’exercer jusqu’en 2017.

Au printemps 2006, Thierry Bonvalot, le psychiatre qui préside la commission médicale d’établissement de l’hôpital de Quimperlé (Finistère), apprend que Joël Le Scouarnec a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour détention d’images pédopornographiques quelques mois plus tôt, par le tribunal de Vannes.

Alarmé par d’autres évènements survenus à l’hôpital, le psychiatre alerte alors la direction de l’hôpital de Quimperlé. Dans une lettre datée du 14 juin 2006, il indique “avoir des doutes sur la capacité de Joël Le Scouarnec à garder toute sa sérénité au contact de jeunes enfants”.

  • Extraits de la lettre du docteur Bonvalot adressée à la direction de l’hôpital de Quimperlé, à propos de Joël Le Scouarnec.

L’information est ensuite communiquée au conseil départemental de l’Ordre des médecins du Finistère.

Joël Le Scouarnec sera convoqué en novembre 2006. Suite à une réunion plénière, le conseil départemental décide, à l’unanimité de ne pas engager de procédure disciplinaire.

L’Ordre des médecins n’a pas autorité pour sanctionner un médecin hospitalier.

« Nous étions trois médecins, avait expliqué en 2019 le docteur Jourdren.

Nous trouvions étonnant que la décision de justice ne soit pas assortie d’une injonction de soins ou d’une interdiction d’approcher des mineurs.

Nous n’avions pas le pouvoir d’agir en ce sens, seule la DDASS pouvait le faire »

Le 14 juillet 2006, une première demande de copie du jugement a été demandée par le conseil départemental de l’Ordre des médecins. Il a fallu plusieurs relances pour que finalement, l’Ordre obtienne ce document le 9 novembre, soit après 4 mois d’attente et un an après le jugement !

Le jour de la réception du document, le docteur Simon, qui était président de l’Ordre du Finistère, appellera la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Finistère, (ex DDASS- remplacée en 2010 par l’Agence régionale de santé). L’organisme de tutelle, qui aurait dû faire remonter l’information au ministère, ne donnera pas suite à cet appel téléphonique.

Le 15 novembre, le Conseil prendra la décision d’adresser un courrier à la DDASS, assorti d’une copie du jugement. Missive qui restera lettre morte.

  • Extraits de la lettre de l’Ordre National des Médecins adressée à la DDASS.

 

En parallèle, la condamnation de Joël Le Scouarnec va remonter progressivement auprès des responsables de la hiérarchie hospitalière.

Au niveau régional et enfin au niveau du Ministère de la Santé, plus précisément auprès de la Direction de l’Hospitalisation et des Soins (DHOS) : une direction générale rattachée directement au ministère de la Santé et qui gère notamment la titularisation et les éventuelles sanctions disciplinaires contre les médecins hospitaliers.

L’information est alors prise au sérieux. Plusieurs hauts responsables écrivent que cette condamnation est “préoccupante” et qu’elle n’est “pas compatible avec les conditions de moralités nécessaires” pour être praticien hospitalier.

Malheureusement, c’est trop tard, en aout 2006, Joël Le Scouarnec a été titularisé en tant que praticien hospitalier, et la justice n’avait pas mis à jour son casier judiciaire.

Le Ministère de la Santé demande alors au directeur régional de l’hospitalisation de Bretagne de déposer une plainte en leur nom auprès de l’Ordre des médecins. Ce qui n’a jamais été fait.

 

2008 | Arrivée à Jonzac

Joël Le Scouarnec intègre l’hôpital de Jonzac (Charente-Maritime) en 2008. Il était en exercice jusqu’à ce que l’affaire éclate en 2017.

La direction de l’hôpital de Jonzac était-elle au courant de sa condamnation en 2005 ? 

Le chirurgien va donc continuer sa carrière à Jonzac. Il signale dès son arrivée sa condamnation par la justice, mais l’Ordre des médecins l’autorise quand même à s’inscrire et l’hôpital accepte de l’embaucher.

Le ministère de la Santé va même l’autoriser en 2015 à prolonger son activité professionnelle au-delà de l’âge légal de départ à la retraite.

Le directeur rattaché au ministère de la Santé qui signe cette autorisation est pourtant celui qui avait à l’époque géré le dossier Le Scouarnec au sein de la DHOS.

Il connaissait donc parfaitement la situation et la condamnation pénale du chirurgien.

Joël Le Scouarnec, malgré une condamnation en 2005, va donc continuer sa carrière…

 

Avril 2017 | Première plainte

Le 25 avril 2017, Laura T. dépose plainte à la gendarmerie de Jonzac pour exhibition sexuelle de son voisin suite aux confidences de sa fille âgée de 6 ans.

C’est le témoignage de cette fillette qui a mis les enquêteurs sur la piste de cette affaire de pédocriminalité hors norme. Jamais ils n’auraient imaginé tant d’horreurs.

C’est en rentrant d’une promenade avec sa fille de 6 ans qu’un jeune papa, voisin du chirurgien de Jonzac, a recueilli ses confidences. À son père, elle évoque une exhibition sexuelle de la part du docteur.

Puis les auditions de la fillette par les gendarmes font penser qu’il y a sans doute eu davantage, un viol commis près du grillage qui sépare les deux jardins. Elle est examinée par un gynécologue, qui atteste d’un déchirement de l’hymen.

 « Ma fille, c’est devenu mon héros. Elle a fait tomber un gros phénomène, je suis si fier d’elle », confie son papa, la gorge nouée.

Aujourd’hui, elle voit régulièrement un psychologue pour l’aider à avancer. Leur fils, âgé de 2 ans à l’époque des faits, a également été perturbé par ces actes commis sur sa sœur… sous ses yeux. Depuis, la famille a déménagé.

C’est là que l’enquête a démarré.

 

Mai 2017 | Interpellation de Joël Le Scouarnec

Le 4 mai, Joël Le Scouarnec est placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Saintes (Charente-Maritime).

Garde à vue, perquisition, saisie des carnets… La perquisition au domicile du chirurgien en mai 2017, à Jonzac (Charente-Maritime), avait alors permis la découverte de poupées cachées sous les lattes du plancher, de perruques, d’objets sexuels, de photos du mis en cause nu… de fichiers informatiques avec des contenus à caractère pédopornographiques mais surtout de carnets manuscrits contenant près de 200 noms d’enfants.

Si ce chiffre se confirme, si toutes ces pages sont le récit de trente ans de pédocriminalité et non d’actes et de fantasmes mêlées, ce serait l’un des plus gros dossiers pédocriminels de France.

C’est dans ces fichiers que les enquêteurs vont découvrir des écrits terribles. À l’intérieur de ces sordides journaux intimes tenus depuis les années 90, rédigés à la main, le chirurgien y décrit des scènes sexuelles à caractère pédocriminel.

Joël Le Scouarnec y racontait dans le détail ses perversions sexuelles, qu’il dessinait aussi. Les titres évoquent sans ambiguïté des récits pédocriminels.

« Avec mes petites danseuses, mes lettres pédophiles, petite fille précoce, petites filles de l’île de Ré »

C’est en partant de ces écrits que les enquêteurs remontent jusqu’aux patients qui auraient croisé la route du chirurgien.

Certains ont vécu dix, quinze, vingt ans, sans savoir qu’ils avaient été abusés.

C’est le cas de ce jeune trentenaire, opéré en 2004 à Lorient, 14 ans à l’époque. Ce sont les gendarmes qui lui ont appris en juin 2023 que son nom apparaissait dans le journal intime du docteur… et que donc, il avait probablement été agressé.

Francesca Satta, l’avocate saintaise des parents d’une victime, confirme le côté insoutenable de ces carnets. L’avocate qui a pris soin de ne pas montrer ce carnet à ses clients pour les protéger, raconte :

« Vous ouvrez le cahier et vous le refermez aussitôt, dès la première page.

C’est énorme de perversion, il considère l’enfant comme un objet sexuel, comme s’il parlait d’une rencontre faite dans le quartier de Pigalle. Il n’y a pas de prise en considération de la personnalité des gens en face.

C’est un récit où il relate les excitations qui sont les siennes ! »

L’avocat du chirurgien, Me Thibault Kurzawa, confirme l’existence de ces carnets et précise que son client bénéficie de la présomption d’innocence.

Selon Me Kurzawa, il ne s’agit pas pour autant d’aveux circonstanciés. Certains textes correspondraient davantage à des fantasmes et non à la réalité.

 

Juin 2018 | Les gendarmes de Poitiers chargés de l’enquête

Vu l’ampleur des investigations, la section de recherches de gendarmerie de Poitiers (Vienne) est saisie de l’enquête. Ils doivent explorer 300 000 fichiers photographiques, 650 fichiers vidéos, 26 années d’écrits dans des carnets.

Les pages sont glaçantes ! Des textes insoutenables que les gendarmes s’évertuent à analyser à la lumière des témoignages de dizaines de victimes potentielles entendues à travers tout le pays.

Les enquêteurs les ont analysé “jusqu’à la nausée”, expliquait le procureur de la République de Lorient, Stéphane Kellenberger, lors d’une conférence de presse.

Le tout allant de “quelques lignes jusqu’à certains paragraphes, élaborés et circonstanciés, riches de détails difficilement supportables”

Les enquêteurs découvrent notamment deux répertoires, du nom de “Quéquettes” et “Vulvettes”, où Joël Le Scouarnec a consigné entre 1984 et 2006 les noms de 246 filles et garçons, accompagnés de l’âge, de la date et du lieu de naissance de la victime présumée.

Il y détaille les sévices sur de jeunes patients, parfois endormis, dans leur chambre, au bloc ou en salle de réveil dans les hôpitaux de Loches, Vannes, Lorient, Quimperlé et Jonzac, son dernier poste.

Certains des sévices qu’il raconte infliger à ses patients, parfois âgés de seulement quelques mois, sont insoutenables. Lorsqu’il s’agit de viols, il semble n’utiliser que ses doigts.

Les gendarmes ont cherché à travers ses écrits à identifier les personnes dont il était question, à vérifier leurs identités, leur prise en charge dans les hôpitaux dans lesquels Le Scouarnec a exercé, les compte-rendus opératoires.

Au fil des semaines et des mois, avec l’examen des fichiers numériques et manuscrits, la liste des victimes potentielles s’allonge.

Cette longue enquête, nourrie des archives numériques du chirurgien, a permis de découvrir un monstre, qui a nécessité l’ouverture d’une autre procédure, menée à Lorient et toujours en cours, pour identifier d’autres victimes.

 

Mars 2019 | Mise en accusation

Dans l’affaire Le Scouarnec, un premier volet judiciaire est clos depuis mars 2019.

Le 25 mars 2019, un juge d’instruction de La Rochelle ordonne la mise en accusation de Joël Le Scouarnec et son renvoi devant la cour d’assises de Charente-Maritime.

Il est accusé d’abus sexuels par quatre très jeunes victimes mineures à l’époque, deux nièces et une patiente, toutes désormais majeures, et la fille de ses voisins à Jonzac (Charente-Maritime), aujourd’hui âgée de 9 ans.

Le chirurgien retraité de 68 ans, déjà condamné en 2005 pour détention d’images pédopornographiques et ayant exercé en Bretagne, en Touraine et en ­Charente-Maritime, sera jugé début 2020 par la cour d’assises de ­Charente-Maritime, à Saintes.

Placé en détention provisoire depuis deux ans, celui qui reconnaît partiellement les faits comparaîtra pour viols aggravés sur sa voisine de 6 ans, qui l’a dénoncé en avril 2017, et sur l’une de ses nièces ainsi que pour agressions sexuelles sur une autre nièce et sur une fillette dont il aurait abusé pendant un acte ­médical alors qu’elle était endormie.

Cette dernière a été retrouvée grâce aux carnets manuscrits saisis en 2017 lors d’une perquisition au domicile du chirurgien, à Jonzac.

 

Printemps 2019 | Une deuxième procédure

Cette découverte a déclenché le second volet de l’affaire, dans lequel une enquête préliminaire a été diligentée.

Le journal du médecin constitue désormais la pièce à conviction principale.

Après la clôture du premier dossier en mars, la justice décide d’ouvrir une procédure distincte pour retrouver et entendre d’autres éventuelles victimes.

Ce deuxième volet, dit des carnets, demande de longues investigations pour identifier les victimes potentielles de l’ex-chirugien.

En juillet 2019, un internaute crée un groupe Facebook aujourd’hui intitulé “Victimes du chirurgien” et qui rassemble aujourd’hui 97 personnes. Les victimes tentent de se réunir, en recherchant dans l’ouest de la France, mais aussi en Saintonge.

 « Selon la gendarmerie, on serait 250 à avoir été victimes de ce chirurgien » écrit un homme, contacté par les services de gendarmerie.

 

10 septembre 2019 | Une soixantaine de plaintes

Laurent Zuchowicz, procureur de La Rochelle, indique que Joël Le Scouarnec est désormais visé par une “soixantaine de plaintes”, mais que ce chiffre est amené à évoluer.

Il confirme en attendre d’autres avant d’entendre le médecin à propos des carnets. Après cette audition seulement, une information judiciaire pourrait être ouverte.

Pourtant, comme le démontre un procès-verbal d’interrogatoire daté du 22 janvier 2019, Joël Le Scouarnec avait déjà été interrogé sur la véracité de ses écrits dans le cadre de la première procédure.

“Je confirme que ce qui est écrit dans ces journaux intimes correspond pour partie à ce que j’ai fait réellement”

a-t-il expliqué ce jour-là à la juge d’instruction.

Alors qu’il avait jusqu’alors nié toute pénétration digitale, son modus operandi supposé et donc tout viol, comme le répète son avocat, Thibaut Kurzawa, il a semblé revenir sur ses propos.

Quand la magistrate lui demande s’il a commis un tel acte sur une petite fille en 1993, comme évoqué dans ses carnets, il répond :

“Si j’ai écrit ça, c’est que je l’ai sans doute fait.

Je n’ai jamais effectué de pénétration digitale chez un enfant conscient capable de se rendre compte de ce que je faisais.

Si je l’ai écrit, c’est possible que je l’ai fait.”

“Pensez-vous que je me rappelais cet acte-là effectué il y a vingt ans ?

Vous me demandez si, pour moi, c’est le seul acte de cette nature que j’ai commis. De mémoire, oui, je ne relisais pas mes journaux.”

Les enquêteurs, eux, les ont lus et relus. Ils les ont confrontés à deux répertoires, l’un concernant 172 filles et l’autre 74 garçons, également découverts lors de la perquisition.

Y sont recensés les noms, prénoms, coordonnées, dates d’hospitalisation de 246 victimes potentielles d’actes ayant eu lieu entre 1984 à 2006.

Ces listes semblent faire office de synthèse des carnets, à chaque enfant désigné correspond une exaction précise, quasi clinique, résumé du contenu des journaux intimes.

L’enquête s’annonce aussi tentaculaire que complexe.

Si les faits sont réels, nombre d’entre eux sont prescrits, quand d’autres ont été commis lors du sommeil d’enfants qui ne s’en souviennent pas.

Le Scouarnec a-t-il réellement tout consigné ou seulement le nom de certaines de ses victimes ?

Une gageure car les journaux intimes ne se cantonnent pas à des ­récits pédocriminels.

Ils constituent une plongée sordide, heure par heure, des milliers de jours durant, dans le quotidien du chirurgien.

Pensées délirantes, épisodes de masturbations quasi journalières devant des films pédopornographiques, téléchargés ou filmés par ses soins, séances photo seul ou avec des enfants.

Dans ses textes, Le Souarnec oscille entre un vocabulaire immature et naïf pour désigner les parties intimes des enfants et un registre plus soutenu pour le reste.

Grâce aux journaux, on comprend qu’il ne semble vivre que pour ses désirs pédocriminels, jusqu’à éliminer de son quotidien tout ce qui pourrait ralentir sa quête effrénée.

“2 ­décembre 1998, 23h30. Dans la salle à manger, entièrement nu, je me suis masturbé en fumant une dernière cigarette.

À nouveau, j’espère arrêter de fumer pour pouvoir consacrer tout mon temps libre à mes petites filles et à mes petits garçons.”

“Fantasmes”, comme le martèle l’avocat de Le Scouarnec, ou réalité, comme le laisse craindre le nombre de plaintes qui ne cesse de croître ?

En janvier, face au juge, le chirurgien brouille les pistes :

“Je n’ai pas le souvenir de ce que j’ai fait, je ne dis pas que je ne l’ai pas réalisé.

Vous me faites remarquer que c’est un peu facile de ne pas se souvenir de ce genre de chose. C’est parce que je mélangeais les fantasmes et la réalité.

Je ne me rappelle absolument pas avoir fait ce genre d’acte mais je ne le nie pas.”

Au fil des carnets, Le Scouarnec semble pourtant distinguer ses chimères des faits qu’il aurait commis, notamment grâce à l’usage du conditionnel.

Un mode utilisé entre autres pour décrire une pulsion, à propos d’un garçon de 10 ans hospitalisé en 1996. Le lendemain, il se rend auprès de l’enfant en question.

“Lorsque je suis entré dans ta chambre, tu étais tout seul, j’en ai profité pour te faire allonger et j’ai baissé ton slip

Certains épisodes parlent d’enfants, aperçus ici et là, qu’il se débrouille pour observer, parfois effleurer. Là encore semble s’esquisser une frontière entre les actes et les rêves.

En 2009, au festi­val d’Angoulême, il remarque une enfant de 12 ans, après avoir décrit son physique prépubère, il imagine avec ravissement ce qu’il pourrait lui faire.

Une des expertises psychologiques a mis en garde contre un “réel risque de transgression des interdits fondamentaux”.

De fait, les mots couchés dans ses journaux intimes semblent dessiner le profil d’un “maniaque de la pédophilie”. On perçoit le plaisir qu’il prend à décrire des actes.

“Je profitais des moindres circonstances pour commettre des attouchements et apparemment des pénétrations” a-t-il déclaré à la juge en janvier.

S’il semble saisir toutes les occasions, ses pulsions restent toutefois soumises à sa crainte d’être découvert. Ainsi, le 21 août 1999 à Vannes, il croise une fillette assise sur la banquette arrière d’un véhicule, il lui jette des coups d’œil à la dérobée mais la présence du père le fait reculer.

Trois ans plus tard, il fantasme sur le corps d’une petite fille de 7 ans lors d’un examen médical mais se désole de n’avoir “malheureusement pas pu aller plus loin en raison de la présence de sa mère”. Et le lendemain, à 7h30, il décrit un passage à l’acte.

“Quelle chance ! La petite était seule quand je suis entré dans sa chambre. Sa porte était maintenue entrouverte, mais je l’ai soigneusement refermée pour être à l’abri des regards.”

La suite appartient au registre de l’abomination.

 

18 novembre 2019 | “250 victimes potentielles”

Au cours de l’enquête, 250 potentielles victimes de faits non prescrits ont été identifiées parmi lesquelles 209 ont pu être auditionnées.

Selon le procureur de La Rochelle, au total, 184 personnes ont souhaité déposer plainte. Parmi ces plaignants, 181 victimes “étaient mineures au moment des faits”, selon le magistrat.

Les expertises psychiatriques écartent toute pathologie mentale. Une expertise psychologique souligne, qu’il ne ressent “aucune culpabilité envers ses victimes”.

C’est même l’inverse, il estime leur procurer “tendresse” et “amour” même s’il se réjouit parfois que ses patients endormis ne sachent rien de ce qu’il leur fait.

“Merci pour le plaisir que tu m’as donné, j’espère t’en avoir donné aussi” écrit-il souvent après avoir décrit une agression de patient.

Pour le Dr Le Scouarnec, son attirance sexuelle envers les enfants n’est pas un mal. C’est une condition qu’il entend ­défendre.

Au fil des pages, il ­témoigne de sa solidarité avec ses “amis pédophiles” comme Marc Dutroux ou Patrick Font, dont il déplore la “persécution”.

“Qu’ils sachent, dans l’isolement dans lequel ils se trouvent, que je compatis à leur détresse et pense à eux”, note-t-il.

Le traitement réservé à ces derniers le révolte. Il voue par exemple une haine à Gérard Klein, l’acteur de la série “L’Instit” qui incarne un instituteur “malveillant” qui fait arrêter un père qui se livre à des attouchements sexuels sur sa fille.

Ne pas avoir eu de fille, c’est son grand regret. Il fantasme régulièrement sur “cette petite fille” qu’il aurait rejointe la nuit “dans sa chambre pour la câliner”…

Ses fils, avec qui il entretient de bonnes relations, ne l’intéressent pas ou que peu. Il explique les avoir “exclus” de ce désir pédocriminel qui dicte ses actions.

A la date du 31 décembre 2016, quelques mois avant l’agression qui a fait éclater l’affaire, il pense à son avenir.

“Je n’ai aucune envie de vivre ma retraite à L. Mais plutôt de louer ou d’acheter un appartement dans une ville proche d’une plage naturiste où je pourrai exhiber mes attributs sexuels et mon cul à des enfants.

Pour une centaine de victimes, les faits ont eu lieu dans le Morbihan, une vingtaine d’autres dans le Finistère.

Compte tenu de ces circonstances géographiques, le parquet de La Rochelle se dessaisit au profit du parquet de Lorient, qui reprend l’enquête.

 

26 novembre 2019 | Des victimes parlent

Me Francesca Satta, qui défend plusieurs victimes dans ce dossier, organise une conférence de presse fin novembre à Paris pour briser le silence, explique-t-elle.

Des victimes témoignent, comme Marie, qui aurait été agressée à l’âge de 10 ans dans une clinique de Vannes après une opération de l’appendicite.

“Ma tête n’avait pas retenu cet épisode. Mais mon corps, lui, n’a pas oublié” explique Marie.

Ainsi que les grands parents d’une victime.

“Vous emmenez quelqu’un à l’hôpital… Vous ne pensez pas que derrière, il y a un rapace”, dénonce Roland Vinet, grand-père d’un jeune de 23 ans actuellement hospitalisé en psychiatrie, et qui a déposé plainte.

 

4 décembre 2019 | “Je pense avoir vécu avec un diable”

Dans une interview, l’ex-femme de Le Scouarnec affirme qu’elle a tout découvert en 2017.

“Pendant une trentaine d’années, j’ai vécu à ses côtés, et je ne me suis douté de rien. Au vu des témoignages parus dans les médias, il agissait comme un prédateur qui attend le moment opportun de sauter sur sa proie”

Des propos contestés par l’avocate de deux nièces, Me Delphine Driguez.

“Mes deux clientes ont annoncé à leur mère, qui a prévenu leur tante, l’épouse de l’accusé, qu’elles souhaitaient déposer plainte.

Cette dernière s’y est fermement opposée, elle a dit qu’elle se chargeait elle-même de parler à son mari. L’omerta familiale a encore fonctionné à plein”, dénonçait l’avocate.

Pour ce chirurgien gastrique à l’hôpital de la ville, c’est “un cataclysme”.

Dans ses carnets en 1996, Joël le Scouarnec écrivait :

“Le cataclysme est venu s’abattre sur moi et sur mon attirance pour les petites filles et les petits garçons. ELLE sait que je suis pédophile”. ELLE, c’était sa femme, “la-première-et-unique-femme”.

Mais ce que redoute Joël Le Scouarnec, ce n’est pas d’être dénoncé, c’est le fait, dans “une peur irraisonnée”, d’avoir détruit “de précieux documents”, la liste des enfants qu’il s’accuse d’avoir “abusé depuis dix ans”, les récits de ses “relations sexuelles avec des enfants depuis deux ans”, des recueils de “photos d’enfants nus”.

“Ma folie destructrice était telle, que plusieurs de mes petites filles sont mortes ce soir-là, écrit-il dans une formulation étrange, qui semble évoquer un meurtre symbolique.

Mais évoquer le passé ne sert à rien. Je vais tout reconstruire et maintenant reprendre le fil de mes activités sexuelles pédophiles…”

 

Le meilleur portrait de Joël Le Scouarnec

Le meilleur portrait de Joël Le Scouarnec, c’est peut-être lui-même qui l’écrit dans ses carnets, en avril 2004.

L’ex-chirurgien, qui se définit lui-même comme un collectionneur, accumule plus de 300.000 vidéos et photos pédopornographiques, et possède des poupées et des jouets sexuels.

Dans ses carnets, Joël Le Scouarnec révèle sa face cachée, parlant sans détour de ses actes et de ses fantasmes. On y saisit l’ampleur de sa déviance.

Dans ces carnets intimes, principalement numériques, il écrira en 2004 :

“Tout en fumant ma cigarette du matin, j’ai réfléchi au fait que je suis un grand pervers. Je suis à la fois exhibitionniste, voyeur, sadique, masochiste, scatologique, fétichiste, pédophile. Et j’en suis très heureux”

Je suis un pédophile et le serai toujours”

Les premières années, Joël Le Scouarnec écrit des lettres. Alors qu’il commence toujours celles-ci par “ma chère petite”, “mon petit”, ou seulement un prénom, et leur écrit parfois “je t’aime”, il décrit des caresses, des attouchements et des pénétrations digitales.

Entre parenthèses, il note parfois les noms de famille de ses victimes, ainsi que leur date de naissance et leur adresse. Il attend que les enfants soient seuls, endormis ou anesthésiés dans le bloc opératoire avant de les agresser.

“Il faut savoir être patient et compter sur sa chance”

Joël Le Scouarnec écrit également des récits de masturbation, qui ont lieu surtout dans son bureau à l’hôpital.

Le jour de son anniversaire, chaque année, il note son âge et en majuscule :

“Je suis un pédophile”

Quelques années auparavant, il s’interrogeait :

“Pourquoi faut-il que notre ­société considère la pédophilie comme un crime abominable ?

Pourquoi aurais-je honte du plaisir de ­regarder, de toucher le corps nu d’une fillette impubère ?”

Dans ce journal intime où il consigne près de trente ans de sa vie, le chirurgien se présente comme un pédophile convaincu.

Il a confié plus tard aux enquêteurs que l’enfant n’était qu’un “objet” de désir. Quand il en croisait un, une seule pensée le préoccupait :

“Comment il ou elle est quand il est nu ?”

Son obsession occupe quasiment l’intégralité des écrits.

Près de trois ans après son arrestation, Joël Le Scouarnec déclare désormais aux psychiatres :

“Je veux comprendre pourquoi je suis devenu comme ça”

 

20 décembre 2019 | 349 victimes potentielles 197 plaintes

L’affaire prend encore une nouvelle ampleur. Lors d’une conférence de presse, Laureline Peyrefitte, procureure de Lorient, où le dossier est instruit, annonce que les enquêteurs ont identifié 349 victimes potentielles. À ce stade des investigations, 229 personnes avaient été entendues et 197 avaient porté plainte.

La magistrate a également expliqué que l’enquête devrait faire toute la lumière sur les rapports de l’ex-chirurgien avec sa hiérarchie et les autorités administratives.

Elle a par ailleurs annoncé la création d’une “cellule d’enquête nationale”, pilotée par la Section de recherches de gendarmerie de Poitiers. Cinq gendarmes sont dédiés à l’enquête.

 

Février 2020 | Procès public ou à huis clos ?

Les parents de la fillette, qui avaient déposé la première plainte en 2017, point de départ de cette affaire, réclament que le procès prévu du 13 au 17 mars à Saintes soit public.

“Pourquoi devrait-on se cacher ? Si elle n’avait pas parlé, ce chirurgien serait toujours en activité.

On se battra pour que ce soit public”, affirment les parents de la fillette, Laura T. et Jérôme L.

D’autres victimes, via la voix de leur avocate, ont fait savoir qu’elles souhaitaient un procès à huis clos.

“Mes clientes vivent très mal l’emballement médiatique autour de cette affaire particulièrement douloureuse.

Des pans entiers de l’enquête ont été dévoilés, et certaines interventions les ont exaspérées.

Elles demandent avant tout le respect de leur vie privée et que leur identité ne soit jamais dévoilée”, indiquait mi-janvier Me Delphine Driguez.

“Dans l’hypothèse où ces débats devaient être publics, on peut craindre des débordements”, estime Me Thibaut Kurzawa, avocat de l’ancien chirurgien, évoquant un contexte “d’acharnement public” et “le climat de haine” sur son client.

 

Mars 2020 |Procès reporté en raison de la crise sanitaire

Prochaine échéance très attendue, la comparution de Joël Le Scouarnec, 69 ans, devant la cour d’assises de la Charente-Maritime à Saintes.

Elle devait avoir lieu 13, 16 et 17 mars mais le 16 mars, la cour d’assises de Charente-Maritime a estimé qu’au regard de la crise sanitaire, il était dans l’impossibilité de se tenir. Un constat partagé par le ministère public et plusieurs avocats, ceux des parties civiles mais aussi celui de l’accusé.

Il est reporté au 30 novembre.

 

15 octobre 2020 | Joël Le Scouarnec est mis en examen une nouvelle fois

Le procureur de la République de Lorient Stéphane Kellenberger a annoncé jeudi 15 octobre la mise en examen du chirurgien Joël Le Scouarnec pour viols et agressions sexuelles concernant 312 victimes dont l’âge moyen est de 11 ans.

Il s’agit de faits commis entre 1986 et 2014 par l’ex-chirurgien dans plusieurs établissements en France, dont Loches (Indre-et-Loire) , où il a exercé dans les années 1990.

Le procureur a aussi annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire contre X du “chef d’abstention volontaire d’empêcher des crimes ou délits contre l’intégrité physique” afin de déterminer si des tiers auraient pu être au courant des actions du chirurgien et se seraient abstenus de les dénoncer.

Les victimes et leurs proches dénoncent en effet depuis le début de l’affaire, l’omerta du monde médical.

La cour des comptes avait d’ailleurs chargé l’ordre des médecins dans un rapport rendu fin 2019, consacrant plusieurs pages au traitement défaillant des affaires de violences sexuelles.

Sur les 349 victimes potentielles recensées au départ de cette affaire, 312 ont été retenues. 164 hommes et 148 femmes iront donc au bout de cette procédure.

107 faits sont susceptibles de recevoir une qualification criminelle de viol aggravé ” et 205 faits ” une qualification délictuelle d’agression sexuelle aggravée “.

Le procureur précise que 26 situations apparaissaient ” définitivement prescrites ” et 5 autres ” impossibles à suffisamment caractériser “.

Joël Le Scouarnec avait été extrait de la prison de Saintes pour être placé en garde à vue à Lorient dans le cadre de cette affaire.

Il doit comparaître à partir du 30 novembre devant la cour d’assises de la Charente-Maritime pour le premier volet de l’affaire, l’agression sexuelle de sa petite voisine, en 2017.

 

30 novembre 2020 | 15 ans de réclusion criminelle.

Face à des parties civiles divisées sur le sujet, la cour d’assises de Saintes a tranché. Joël Le Scouarnec sera jugé à huis clos, pour des faits d’agressions sexuelles ou de viols sur quatre petites filles.

L’ancien chirurgien , jugé depuis lundi 30 novembre aux assises de Charente-Maritime, à Saintes, pour viols et agressions sexuelles sur quatre mineures, est reconnu coupable de tous les faits reprochés.

Le verdict a été rendu ce jeudi 3 décembre dans la soirée, en public, après quatre jours d’audience à huis clos, Joël Le Scouarnec est condamné à 15 années de réclusion criminelle.

La peine est assortie d’un suivi socio-judiciaire de trois ans et d’une injonction de soins. Le condamné encourt deux ans de peine supplémentaires s’il ne respecte pas ce suivi à sa sortie de prison.

L’avocat général avait requis 15 ans de prison et 10 ans de suivi socio-judiciaire.

Des victimes qui se serrent dans les bras, image forte de cette fin de procès saintais. Toutes les victimes se sont rassemblées en cercle et se sont étreintes, à l’énoncé du verdict.

Après quatre jours à replonger dans l’horreur, les visages semblaient transfigurés par le soulagement.

Une condamnation “juste” selon l’avocate Delphine Driguez, qui défendait deux nièces du chirurgien. Pour la première fois cette semaine, leur oncle a reconnu les viols qu’il leur a fait subir dans leur enfance :

“C’est extrêmement important pour elles, témoigne Me Driguez.

Là, mes clientes revivent, respirent, même s’il n’y a pas eu de requalification en viol pour la sœur aînée” précise l’avocate qui étudie la possibilité d’une autre action.

 

Enfin des aveux… mais incomplets

Alors que les avocats se congratulent, Laura, la maman de la petite Jonzacaise qui a fait tomber Le Scouarnec, est restée à l’écart, sur les marches du palais, très éprouvée, et sans doute amère.

Pour sa fille, Le Scouarnec n’est pas passé aux aveux complets, reconnaissant juste une agression sexuelle. Même s’il a été reconnu coupable de viol par la cour d’assises.

Et c’est ce que veut retenir l’avocate de la famille, Francesca Satta :

“Quinze ans c’est une juste peine, à laquelle mes clients s’attendaient. Ils sont très satisfaits !”

Le Scouarnec est resté impassible en écoutant sa condamnation. Mais il avait longuement parlé avec ses victimes durant le procès, rappelle son avocat Thibaut Kurzawa :

“Il a éprouvé des regrets, des remords, il n’a pas formulé d’excuses car il sait très bien que ses actes sont impardonnables.

Il leur a réservé sa parole, c’est ce qu’il voulait faire depuis le départ. C’est aussi le signe de l’avancement de sa reconstruction.”

Thibaut Kurzawa reste sous le coup de cette condamnation lourde, 15 ans, qui tranche avec les habitudes plutôt clémentes de cette juridiction.

En juillet 2021, le chirurgien, après l’avoir envisagé, se désistera de faire appel du jugement prononcé par la cour d’assises de Charente-Maritime le 3 décembre 2020.

Cela signifie que sa condamnation à quinze années de prison, est définitive.

Ce procès constitue le premier volet d’une affaire tentaculaire. Un autre dossier, actuellement instruit à Lorient, attend encore de voir comparaître Joël Le Scouarnec, mis en examen au mois d’octobre. Il concerne plus de 300 victimes du pédocriminel.

Devant la cour d’assises du Morbihan, au mieux en 2023, Joël Le Scouarnec, qu’un avocat présente comme « un des plus grands criminels sexuels français » encourrait vingt années de réclusion supplémentaires.

 

Février 2021 | Sa nièce brise le silence

La nièce du chirurgien pédocriminel, accusé d’avoir fait au moins 349 victimes, témoigne pour la première fois. Elle voulait laisser passer le premier procès de son oncle Joël Le Scouarnec, qui s’est tenu en décembre 2020.

Elle confie les violences sexuelles, mais aussi l’omerta qui règne au sein de sa famille.

Une omerta “complexe et insidieuse”, raconte la jeune femme.

“Il ne fallait surtout pas déranger un équilibre fragile, bousculer toute une image familiale.”

En 1999, la petite sœur d’Aurélia est la première à raconter les agressions, à sa sœur d’abord, puis les deux petites filles en parlent à leur mère.

Dès ce moment-là, tout le monde dans la famille sait que Joël Le Scouarnec est un pédocriminel. Mais le secret ne sort pas du cercle familial.

Elle se souvient toutefois que sa sœur parlait ouvertement de ce qu’elle subissait dans sa famille :

“Ce n’était pas tabou dans la famille” On en a souvent parlé, en fait la parole des enfants était libérée. C’est juste que les parents ne sont pas toujours prêts à entendre.”

Pendant plusieurs années, Aurélia n’a pas conscience d’être aussi victime. Elle n’a qu’un souvenir qui la dérange, une impression un peu floue, qui remonte à ses 4 ans, une présence et des flashs.

Ces flashs, c’est en fait la lumière de l’appareil photo de Joël Le Scouarnec, des clichés insoutenables qu’Aurélia ne découvre que des dizaines d’années plus tard, à l’été 2019, dans le bureau de son avocate.

Avec ces photos, Aurélia comprend qu’elle aussi a été victime de son oncle. Le combat qu’elle menait jusqu’ici pour sa sœur devient alors aussi le sien.

La jeune femme explique en vouloir à son oncle mais aussi à sa femme, qui était au courant de presque tout mais aurait préféré mentir pour protéger sa situation.

“Elle savait mais elle a clairement protégé cet homme. On a d’ailleurs les aveux de mon oncle qui a dit pendant le procès, elle ne savait peut-être pas tout, mais elle savait énormément de choses”, assure Aurélia. 

Rien ne devait bouger, pour sa situation, pour son image, pour des raisons financières sûrement aussi. Ils se protègent mutuellement.

Elle a menti, alors qu’elle aurait pu protéger beaucoup d’enfants”, regrette la jeune femme.

La jeune femme se bat également pour que la justice requalifie les faits dont elle a été victime “d’atteintes sexuelles” en “viol”.

 

Janvier 2022 | Second volet, les carnets

Dans le deuxième volet de cette affaire, Joël Le Scouarnec est mis en examen pour 297 victimes.

 

Dix-neuf interrogatoires

Le chirurgien Joël Le Scouarnec a répondu aux questions de la même juge d’instruction, assistée de la même greffière au palais de justice de Lorient, pendant six mois entre janvier et juin 2022.

19 jours d’interrogatoires, des dizaines et dizaines d’heures pour revenir sur les 312 victimes imputées au chirurgien entre 1986 et 2014 grâce à ses propres écrits, des tableaux et des journaux intimes.

Car Joël Le Scouarnec notait tout, les noms prénoms et dates de naissance de chacune de ses victimes avec le récit des agressions ou des viols imposées.

Confronté au nombre de victimes, Joël Le Scouarnec a invoqué une amnésie. Dès le premier interrogatoire le 31 janvier 2022 il a déclaré :

“Cette liste que vous m’avez montrée, je l’avais complètement oubliée”.

Il s’est déclaré “surpris par l’ampleur”.

“Jamais je n’aurais pu imaginer un si grand nombre”.

Joël Le Scouarnec n’a pas d’explications. Il a déclaré à la juge d’instruction que les patients et donc ses victimes “ne faisaient que passer” avant d’ajouter :

“Je comprends que ce soit frustrant pour certains d’entre eux”.

 

Une absence de souvenirs comme “stratégie de défense”

La magistrate a procédé de manière méthodique, par ordre chronologique et par victime. Pendant six mois, elle a débuté chaque interrogatoire de la même manière.

Elle confronte d’abord Joël Le Scouarnec à ses écrits, elle lui présente des photos des victimes quand elle en a. Le chirurgien ne reconnait jamais aucun visage et il affirme n’avoir aucun souvenir.

Pourtant, Joël Le Scouarnec a expliqué qu’il relisait ses journaux intimes chaque année soi-disant “Pour corriger ses fautes d’orthographes”.

Même s’il l’assure, il n’a jamais envisagé de publier ou de faire lire ses carnets. Il admet qu’il les relisait parfois plus ponctuellement pour se masturber.

Le chirurgien conservait ses archives personnelles en double sur deux disques durs. Ces données étaient “précieuses”, il ne voulait pas prendre le risque de les perdre.

Un psychiatre qui l’a expertisé il y a deux ans estime que :

“Les détails qu’il livre sur ses agissements démontre bien qu’il les a toujours en mémoire et qu’il les revit en les décrivant”.

Un psychologue clinicien qui l’a rencontré pour une expertise en novembre 2021 voit derrière cette amnésie une “stratégie de défense”, une “manipulation”, une “négation de l’altérité de chaque victime” qui le conduit à “globaliser l’ensemble des victimes” pour “n’avouer que le schéma du scénario global des actes reprochés.”

 

Joël Le Scouarnec s’est dit “envahi par cette perversion de la pédophilie”

Ces interrogatoires permettent d’établir un mode opératoire, celui d’un prédateur qui saisit chaque opportunité pour s’en prendre à ses patients, le plus souvent quand ils sont endormis ou sous anesthésie.

Joël Le Scouarnec se dit également “Capable de prendre tous les risques”.

Il explique à la juge d’instruction :

“Je rentrais dans la chambre, si l’enfant est seul ça se passe.

Il suffit parfois que “L’infirmière ait le dos tourné. Il fallait que je le fasse ! ” a expliqué Joel Le Scouarnec comme un leitmotiv à de nombreuses reprises.

Le chirurgien se croit intouchable, un sentiment d’impunité renforcé en 2005 après sa condamnation à quatre mois de prison de sursis sans injonction de soin pour détention d’images pédopornographiques.

“Je n’avais aucune raison de me remettre en question, personne ne pouvait remarquer ou être offusqué que je pose ma main sur cet endroit du champ opératoire dans le cadre d’une appendicectomie, le bas ventre est caché par le champ opératoire”, explique Joël Le Scouarnec qui sévit même en salle d’opération.

La juge d’instruction émet également l’hypothèse qu’il ait pu présenter oralement certaines agressions comme “Relevant d’un examen médical”.

Elle finit par lui demander s’il a agi ainsi “pour tous les enfants qu’il a pu voir dénudés dans le cadre professionnel ? “.

Joël Le Scouarnec acquiesce. Il explique qu’il était totalement envahi par cette perversion, complètement tyrannisé.

 

“Les gestes de nature sexuelle étaient dans ma tête “

Pourtant, Joel Le Scouarnec ne reconnait pas tous les faits. Au début de la série d’interrogatoires, Joël le Scouarnec avait annoncé :

“A partir du moment où je l’ai écrit, vraisemblablement je l’ai fait” mais ce n’est pas aussi tranché.

Au fil des auditions, il conteste certains faits, il refuse par exemple de reconnaître des viols sur de jeunes enfants qu’il a pourtant retranscrits en détails.

Celui qui brave tous les interdits, l’inceste, la pédocriminalité, se défend d’avoir jamais utilisé la force et la violence physique.

“Je ne voulais pas blesser physiquement un enfant”, affirme-t-il à de nombreuses reprises.

Il conteste par exemple avec vigueur la plainte spontanée d’une jeune femme qui a dénoncé un viol pendant son hospitalisation enfant.

Joël Le Scouarnec l’accuse même de vouloir l’enfoncer davantage.

Dès qu’il le peut, Joel Le Scouarnec se retranche derrière l’exercice médical.

“Les gestes de nature sexuelle étaient dans ma tête” assure le chirurgien qui joue sur la frontière entre le réel et le fantasme et assure le 13 mai dans le bureau de la juge d’instruction qu’il n’a “jamais posé une indication opératoire en fonction de sa perversion”.

Confronté à la colère d’un garçon qui a subi une opération du prépuce et apprend par les gendarmes qu’il a été victime d’une agression sexuelle à cette occasion, Joël Le Scouarnec se défausse sur ses écrits.

“Je prenais plaisir à en rajouter sur mon ressenti lors de l’écriture de mon journal” assure-t-il.

Le chirurgien veut garder la main, être le seul à pouvoir décrypter ses écrits pour que sa vérité soit “rétablie”.

 

“C’est la lecture de mes écrits qui sont répugnants”

Joël Le Scouarnec se cache derrière ses écrits. Pour lui :

“De façon globale, le plus traumatisant, c’est la teneur de mes écrits, ce n’est pas la réalité des faits”.

Il le dit à de multiples reprises en mars, en avril :

“C’est la lecture de mes écrits qui sont répugnants”.

Pourtant, pas une seule fois, Joel Le Scouarnec ne va interrompre la juge d’instruction comme s’il éprouvait une certaine satisfaction à la lecture de ses crimes et délits.

A la reprise des interrogatoires, le chirurgien se fend souvent d’un commentaire spontané, certaines victimes déjà évoquées lui restent en tête. Une petite fille, un petit garçon.

“Penser que j’ai pu entrer dans la chambre d’un enfant de 6 ans”, explique Joël Le Scouarnec à la juge.

Le mercredi 2 février, il explique :

“J’ai pensé ce week-end à plusieurs reprises au fait que je me félicite qu’en une seule journée, j’ai pu abuser quatre enfants.

Il fallait vraiment avoir perdu tout sens moral pour se féliciter d’une telle chose”.

Même chose, deux mois plus tard, le lundi 4 avril.

“Depuis le dernier interrogatoire, j’ai passé deux jours un peu difficiles ne cessant de me rappeler le cas de cette petite fille que j’ai harcelée, vraiment c’est terrible”.

Pourtant, quand il est confronté aux expertises psychiatriques de ses victimes (troubles sexuels, blocage, anxiété, dépression), Joël Le Scouarnec s’emporte :

“De façon générale je suis prêt à assumer les conséquences directes des actes que j’ai commis, explique-t-il.

Mais je ne veux pas être considéré responsables de tous les problèmes des victimes de mes actes.”

Confronté au suicide d’une victime en 2020, deux ans après la révélation des faits, Joel Le Scouarnec ne veut pas être tenu coupable de son décès.

Sa compassion est à géométrie variable. Une petite fille de 11 ans qu’il a agressée sept fois en 1999 a le droit à ses excuses.

Il en accuse une autre d’exagérer et de tenir des propos ridicules.

La greffière mentionne à quelques reprises que Joël le Scouarnec pleure, ses avocats Me Thibaut Kurzawa et Maxime Tessier qui se relaient à ses côtés soulignent son émotion.

“Si j’étais encore l’homme qui apparait dans mes écrits, je n’en souffrirais pas”, affirme le chirurgien le 14 mars 2022.

 

Joël Le Scouarnec affirme qu’il a changé 

Lors de son dernier interrogatoire, le 17 juin 2022, Joël le Scouarnec a déploré un “gigantesque gâchis” pour ses victimes, et pour lui.

Il explique qu’il se sent libéré depuis qu’il est incarcéré, il parle d’une “vraie libération psychique” et il assure qu’il a changé.

“A quoi bon les réflexions que j’ai pu faire seul avec moi-même en cellule, à quoi bon les entretiens avec les psychologues de la prison si ces échanges ne m’apportent pas une remise en question sur ce que j’ai été.

Je ne veux plus être cet homme-là et je ne le suis plus”.

Trois mois plus tôt il avait déclaré:

“Je ne veux pas aujourd’hui qu’on me réduise à mes actes”.

Joël Le Scouarnec est intelligent, estime le psychologue qui l’a expertisé en août 2021, ce qui peut être aussi bien un atout pour tirer bénéfice de sa psychothérapie mais aussi un problème dans la mesure où il peut être difficile pour l’interlocuteur de distinguer de pseudo progrès de surface d’une authentique évolution dans le fonctionnement de la personnalité de Joël Le Scouarnec.

Aujourd’hui, le chirurgien garde le pouvoir sur ses victimes comme lorsqu’elles étaient ses patients, c’est lui qui donne encore le tempo. Le chirurgien ne cesse de dire qu’il veut un procès pour s’expliquer.

“Je leur dois de les écouter, de les entendre et de leur répondre, je voudrais m’adresser individuellement à chacune de ces femmes et chacun de ces hommes chez qui j’ai commis des actes odieux pour leur présenter mes excuses.

Je voudrais qu’à l’issue de mon procès, ils puissent retrouver un peu de la sérénité que je leur ai volée.” assure Joël Le Scouarnec.

Pourtant, il continue de jouer la montre et de retarder l’échéance. Alors que l’instruction est bientôt terminée, les avocats de Joël le Scouarnec ont déposé un pourvoi en cassation pour contester une soixantaine de victimes au titre de la prescription.

Ce qui ne change rien à la peine encourue, qui reste de 20 ans de prison.

 

L’ex-chirurgien accusé de viols, Joël Le Scouarnec, sera jugé en septembre 2024 à Vannes

Joël Le Scouarnec est écroué au centre pénitentiaire de Ploemeur (Morbihan) où il attend son second procès devant une cour d’assises.

Les auditions de l’ancien chirurgien ont été conduites pendant un semestre à Lorient.

Mis en examen pour des faits présumés de viols et d’agressions sexuelles aggravées sur 312 victimes entre 1991 et 2014, l’ancien chirurgien Joël Le Scouarnec, encourt la peine de vingt années de réclusion criminelle mais pourrait bénéficier d’une confusion de peine.

Pour l’heure, et alors que l’instruction pourrait être clôturée en fin d’année ou début 2024, le débat porte sur le nombre de faits dont il devra répondre.

La défense a comptabilisé 85 agressions potentiellement prescrites, la cour d’appel 19, d’où un pourvoi en cassation formé par les avocats de Joël Le Scouarnec.

Son second procès, cette fois devant la cour d’assises du Morbihan, devrait avoir lieu en septembre 2024.

Alors qu’une délocalisation a été envisagée au regard de la durée de l’audience ( trois mois ) et de l’assistance attendue ( un millier de personnes ) il devrait bien se tenir au tribunal de Vannes, le public y assistant en visioconférence depuis un autre espace.

S’il devait être de nouveau déclaré coupable, le pédocriminel de 72 ans pourrait bénéficier d’une confusion partielle voire totale de peine.

Auquel cas, alors qu’il est détenu depuis bientôt six ans, il pourrait entrevoir sa remise en liberté à l’aube de ses 80 ans.

Joël Le Scouarnec assure pourtant, attendre son procès pour écouter, entendre et répondre à ses victimes, s’excuser des actes odieux qu’il a commis pour qu’à l’issue, ils puissent retrouver un peu de la sérénité qu’il leur a volé.

Les centaines de victimes, pour qui le traumatisme a parfois été insurmontable, attendent avec impatience de voir le chirurgien devant les juges.

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