Hélène Romano | « Soit on interne les pédophiles à vie, soit on accepte un risque de récidive »

J’insiste sur le fait que la pédophilie n’est pas une maladie. C’est une structure de la personnalité qui ne se soigne pas

Hélène Romano est docteur en psychopathologie [© DR ]

Alors qu’une marche blanche a eu lieu, ce mardi 1er mai, à la mémoire d’Angélique, 13 ans, violée et tuée par un récidiviste, la psychologue et spécialiste du psychotraumatisme Hélène Romano nous livre son analyse sur ce drame et la difficile prise en charge des pédophiles.

Pourquoi ce drame nous touche-t-il autant, selon-vous ? Comment expliquez-vous la dimension universelle qu’il y a autour de l’Affaire Angélique ?

Il y a probablement un phénomène que nous autres, experts, qualifions «d’identification projective», et cela aussi bien du côté des enfants que de celui des parents.

En d’autres termes, chacun d’entre nous se dit : «Cela aurait pu m’arriver», ou «Cela aurait pu arriver à mes enfants».

La deuxième raison tient probablement au fait que l’agresseur était déjà connu et qu’il n’avait pas le visage du «monstre» qu’on peut s’imaginer. C’était un «monsieur tout le monde» qui vivait comme tel.

Il avait pourtant déjà commis des actes atroces (le suspect, David Ramault, avait été condamné en 1994 pour le viol d’une fillette de 12 ans, commis en 1994) et le fait que ce soit quelqu’un qui paraissait digne de confiance engendre une espèce de «contamination» des responsabilités.

On se demande : «Comment n’ai-je rien vu ? Ce n’est pas possible que personne n’ait rien vu». Ces deux dimensions engendrent beaucoup de colère.

Que pouvez-vous dire à tous les parents qui s’interrogent et qui sont peut-être tentés de céder à une certaine paranoïa ?

Après chaque affaire de ce type, les parents ont tendance à être plus prudents… jusqu’au drame suivant et ainsi de suite.

Leur dire de ne pas s’inquiéter serait une erreur, car, malheureusement, les pédophiles sont très nombreux. De même que les enfants victimes, qui restent d’ailleurs encore trop peu pris en compte.

Les pédophiles existent, donc, et sont souvent dans l’entourage proche des victimes. Il faut bien sûr dire aux parents d’être prudents et de faire attention mais, surtout, qu’ils donnent des repères à leurs enfants par rapport à un certain nombre de choses.

C’est à dire ?

D’abord, on remarque souvent, dans les actions de prévention à la pédophilie, que les prédateurs sont dépeints comme des personnages patibulaires. Or, la réalité démontre régulièrement – et cela est encore une nouvelle fois le cas ici avec le meurtrier présumé d’Angélique – que les pédophiles peuvent être dans la séduction.

Ils se fondent dans la masse et sont «très gentils», pour mieux approcher leur proie.

Il faut donc, d’une part, rappeler aux enfants de ne pas faire confiance à quelqu’un, même de son entourage proche, si papa et maman ne les pas autorisés à le / la suivre, par exemple, et même, j’insiste, si cette personne est quelqu’un de son entourage proche.

Encore une fois, les pédophiles prédateurs sont souvent des gens connus de l’enfant. Le but étant d’être prudent sans être paranoïaque.

Cela passe par des règles simples que les parents peuvent rappeler à leurs enfants :

«Tu ne suis pas quelqu’un, même si tu le connais, si papa / maman ne t’ont pas dit de le faire»,

ou :

«Tu ne vas pas voir qui que ce soit, sans notre autorisation».

Ensuite, il faut dire et redire à un enfant que si on lui fait des choses «embêtantes» (c’est un mot souvent employé par les enfants) ou que si un adulte a une attitude «embêtante», l’enfant peut et doit nous parler en toute confiance, sans crainte et sans honte. C’est vraiment très important de dire à ses enfants qu’ils doivent et qu’ils peuvent parler en toute confiance.

Il existe par ailleurs un numéro gratuit : le 119. Dès qu’un enfant se sent piégé par un adulte (le mot «piégé» est aussi un mot que les enfants emploient beaucoup), il peut appeler ce numéro de façon totalement anonyme et qui ne figure sur aucune facture téléphonique, même détaillée.

Le meurtrier présumé d’Angélique avait, vous l’avez rappelé, l’apparence d’un homme bien sous tous rapports, est-ce à dire qu’il n’y a pas de profil type de prédateurs sexuels ?

Pour les experts psychiatres, il existe différents types de prédateurs sexuels. Il y a par exemple celui qui est déficient intellectuellement, qui n’a pas intégré les interdits sociétaux, et qui peut donc agresser un enfant parce que c’est plus facile qu’un adulte.

Ces derniers ont assez rares mais ils existent. Il y a également le schizophrène délirant qui, souvent au moment de son crime, peut avoir en parallèle un délire «d’agression mystique», qui le conduit à attaquer de façon extrêmement sauvage le corps de sa victime. Ils sont heureusement rarissimes.

Il y a aussi les prédateurs très violents, qui peuvent menacer avec un couteau par exemple, qui vont menacer l’enfant en lui disant :

«si tu parles, je tue ta mère»

ou encore

«si tu parles, le cancer de ta mère va revenir».

De la sorte, ils peuvent donc jouer de la violence psychologique.

Et il y a donc le prédateur sexuel, qui connaît aussi l’enfant, mais qui va agir de façon beaucoup plus subtile, dans la séduction.

Il peut piéger petit à petit l’enfant en lui faisant croire, par exemple, qu’il a un statut privilégié, qu’il va le protéger, qu’il l’aime, et ce pour mieux abuser de lui sans qu’il en ait vraiment la notion. Il n’est pas violent pour l’enfant et cela crée une confusion dans sa tête, qui fait qu’il n’ose pas parler.

Ce sont souvent des «Monsieur»- ou parfois des «Madame» – «tout le monde» car ils sont très bien intégrés socialement, ont souvent des postes à responsabilité auprès d’enfants et ont une force de persuasion très forte pour piéger les enfants, mais aussi les adultes.

Pour en revenir à Angélique, ce serait très surprenant, vu le profil de l’individu, qu’il n’ait agressé «qu’une» enfant avant de tuer Angélique. Il en a probablement agressé d’autres dans le quartier qui ne l’ont pas dit. Ce serait vraiment très étonnant que pendant treize ans, il n’ait agressé personne et qu’il ait subitement une pulsion qui a mené au drame que l’on sait.

Est-ce que cela veut dire que, selon vous, d’autres victimes pourraient se manifester à l’avenir ?

C’est très possible en effet. Ce ne serait pas surprenant en tout cas. Pourquoi ? Parce que la pédophilie ne se soigne pas. Ce n’est pas une maladie qui, avec une pilule, permettrait d’empêcher le passage à l’acte.

Des médicaments peuvent certes empêcher les érections, mais pas forcément des fantasmes ou les pulsions qui peuvent être insupportables. J’ai souvenir du cas d’un homme aux Etats-Unis qui a demandé la chaise électrique car ses pulsions étaient incontrôlables.

Mais, même en étant traité par médicaments de façon à ne pas avoir d’érection, un individu peut très bien violer un enfant par d’autres moyens, avec les doigts ou à l’aide d’objets par exemple, et bien sûr le tuer.

J’insiste sur le fait que la pédophilie n’est pas une maladie. C’est une structure de la personnalité qui ne se soigne pas. Donc, soit on interne les pédophiles à vie, soit on accepte un risque de récidive.

Et le cas de l’agresseur d’Angélique, n’est qu’un cas parmi d’autres de pédophiles qui ont récidivé. Encore une fois, ce serait vraiment surprenant qu’en treize ans, il n’ait pas récidivé.

A part l’enfermement à vie, il n’existe donc aucune autre solution ?

Il y a des thérapies comportementales, notamment au Canada, qui peuvent être relativement efficaces à partir du moment où elles sont extrêmement encadrées et suivies, et surtout si la personne la suit de façon totalement volontaire.

Au Canada, vous avez ainsi des hôpitaux de jour, où les pédophiles – ou des gens qui craignent de passer à l’acte – peuvent se faire hospitaliser afin de bénéficier de thérapies pour travailler sur leur comportement.

On leur donne des outils pour répondre à des questions du type :

«J’ai une pulsion, qu’est-ce que je peux faire pour la contrôler dans ma tête, là maintenant, tout de suite, pour en être dégoûté».

A partir de là, il y a tout un travail qui est mis en œuvre.

Ce sont des thérapies assez longues, qui peuvent parfois fonctionner, mais uniquement si la personne est d’accord. Autrement dit, cela peut marcher si la personne est consciente qu’elle a un problème.

Le problème, c’est que la majorité des pédophiles ne veulent pas reconnaître que ce sont eux le problème. Ils disent souvent que le problème, c’est la société, les enfants, mais en aucun cas eux. Il arrive même que, lorsqu’ils reconnaissent que c’est eux le problème, ils n’ont pas envie de changer ou disent le contraire par stratégie.

Quand ils sont soumis à une injonction de soins par la justice, bien souvent ils se rendent aux consultations mais ne disent rien. Ils refusent donc de faire un travail thérapeutique pour savoir d’où viennent leurs pulsions, ce qui les déclenche et, lorsqu’ils les ont, ce qu’ils peuvent faire pour ne pas y céder. On ne peut donc pas «soigner» un pédophile contre son gré.

Source : cnews

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