Livre | Les enfants de l’Île du Levant par Claude Gritti
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
- 07/11/2020
- 23:00
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Ils seront les premiers pensionnaires de la “colonie agricole” de Saint-Anne dont le propriétaire est le comte de Pourtalès.
En autorisant les bagnes privés pour mineurs, l’empereur Napoléon III entend débarrasser les villes et les campagnes des innombrables gavroches, vagabonds et orphelins qui les peuplent.
Il y a là Jean Devillaz, un solide savoyard qui a fui les sévices de son oncle ; Théo Gruner, matelot depuis l’âge de huit ans et arrêté à l’occasion d’une bagarre sur le port de Marseille ; Roncelin, apprenti forgeron ;
Beaumais, un jeune aventurier belge …
Ensemble, ils vont constituer la bande des “Vulnérables” qui défendra les plus jeunes et les plus fragiles.
Ensemble, ils vont survivre aux brimades, privations, mutineries et évasions qui se succéderont jusqu’à leur libération.
En s’appuyant sur les archives de l’époque et à travers un récit plein de rebondissements, Claude Gritti a reconstitué l’histoire du plus terrible et du plus émouvant des bagnes, celui pour enfants de l’île du Levant.
Fils d’un marchand de bois et charbon de Lavandou, Claude Gritti est passionné par la pêche et par les îles d’Or.
Un jour, au Levant, il découvre le cimetière du bagne.
Une centaine de jeunes forçats y reposent.
Tout comme la stèle qu’il leur a érigée, ce livre leur rend hommage.
l’Ile du Levant et les bagnes pour enfants
Le pénitencier de l’île du levant a connu une brève et tragique existence, et constitue une tâche indélébile dans l’histoire de France et son traitement de l’enfance défavorisée. Au milieu du 19ème siècle, la misère pullule dans les rues des villes, et la justice du second empire n’a pas de considération particulière pour les mineurs, quel que soit leur âge.
Le 5 août 1850, Louis Napoléon Bonaparte promulgue une loi visant à instaurer des Centres d’Education et de Patronage pour jeunes détenus.
L’empereur a pour objectif de rééduquer les enfants par le travail et de nettoyer les villes des délinquants.
Comme on envoie les adultes dans des bagnes pour exécuter des travaux forcés, les petits délinquants iront travailler pour se rendre utile au lieu d’aller en prison.
En autorisant les bagnes privés pour mineurs, l’empereur Napoléon III entend débarrasser les villes et les campagnes des innombrables vagabonds et orphelins qui les peuplent.
En 1850, le comte Balahu de Noiron, qui vient d’acquéreur l’île du Levant tente sa mise en cultures.
Il lui faut défricher 300 à 400 hectares de terres.
Manquant de main d’œuvre, il demande l’autorisation d’y instituer un pénitencier agricole.
Le 17 février 1858, le comte Henri de Pourtalès achète un domaine sur l’île du Levant.
En 1860, la colonie pénitentiaire du Levant est autorisée et fonctionnera pendant 27 ans.
Les premiers bagnards arrivent en 1861. Ils viennent de la prison de la roquette parisienne et de la colonie agricole de Sainte-Anne.
Ce sont pour la plupart des voleurs, des mendiants délaissés par leur famille, qui volent pour manger.
Dans ce premier convoi, il y a Jean Devillaz, savoyard, recueilli à la mort accidentelle de ses parents par un oncle commissaire de police dont il fuit les sévices, Théo Gruner, matelot depuis l’âge de 8 ans, arrêté lors d’une bagarre sur le port de Marseille, Roncelain, apprenti forgeron et Baumais, venu de Belgique.
La colonie peut accueillir 200 à 300 jeunes détenus.
Outre l’agriculture, les enfants exploitent les richesses naturelles de l’île.
Les fruits des arbousiers sont récoltés pour être distillés, les souches de bruyère servent à la fabrication des pipes, on y pratique l’apiculture, et la colonie compte un four à chaux et un four à briques.
Le comte de Pourtales pensait qu’il réussirait à aider et sauver ces pauvres enfants de la misère en leur offrant une solide éducation et un bon métier.
Dans la réalité, la colonie n’est qu’un bagne.
Les enfants de 6 à 20 ans travaillent toute la journée, sont exploités, et mal nourris.
Près d’un enfant sur dix mourra avant la fin de sa peine.
Les jeunes enfants, âgés de treize à vingt ans, se plaignent du manque de nourriture.
Le 28 septembre 1866, 65 enfants provenant de la colonie horticole de Saint Antoine de Castelluccio à Ajaccio débarquent sur l’île du Levant.
Cette colonie venait de fermer ses portes et le pouvoir avait décidé de déporter certains des jeunes enfants sur le continent.
Leur arrivée, portant l’effectif de 223 à 288 détenus, avait été précédée d’une réputation que les faits n’allaient pas tarder à confirmer.
Dès les premiers jours, ces nouveaux arrivants se révèlent plus revendicatifs et se plaignent de la nourriture et des horaires de travail trop longs.
Le 2 octobre, à la tombée de la nuit, des chants montent des cellules et appellent à la révolte.
Les insurgés abattent les cloisons du dortoir et entreprennent d’aller piller la demeure du Comte, absent ce soir là.
Armés de haches et autres outils, les révoltés défoncent neuf cachots.
Les neuf gardiens, le Directeur, sa famille et l’aumônier fuient sur un bateau.
Sous l’effet de l’alcool, chauffés à blanc, ils décident de s’en prendre aux “espions”, une quinzaine d’enfants, parmi les plus jeunes et les plus fragiles, qui survivent en collaborant avec les gardiens et en les informant de ce qui se passe dans la colonie.
Un des meneurs met le feu au bâtiment où ils sont réfugiés.
L’incendie se propage dans le pénitencier et dure jusqu’à l’arrivée des militaires et de deux brigades de gendarmerie, le 4 octobre au matin.
37 jeunes sont arrêtés, embarqués sur le vapeur “Hector” et évacués vers la maison d’arrêt de Toulon.
Les médecins légistes eurent du mal à dénombrer les victimes.
On ne sut jamais si 13 ou 14 enfants périrent dans cet incendie.
Le procès dura du 2 au 6 janvier 1867.
Les 16 accusés, âgés de treize à dix-neuf ans, furent condamnés à des peines diverses, dont quatre d’entre-eux aux travaux forcés à perpétuité.
Sous la Troisième République, l’appréhension juridique de l’enfance rompt avec celle, tout-répressive, du Second Empire.
Les mineurs de moins de 13 ans sont déclarés irresponsables pénalement.
Ce n’est pourtant pas la fin des bagnes pour enfants.
Parmi les plus connus, ceux de Bretagne, et notamment sur l’île de Belle-Ile, créé en 1902.
Des mineurs ayant commis des délits, jugés coupables et condamnés à des peines ne dépassant pas deux ans.
Les condamnés à des peines supérieures vont dans les centrales et les quartiers correctionnels créés à la fin des années 1860.
On y dirige aussi des jeunes gens qui ont été acquittés pour “avoir agi sans discernement ” afin de les ” rééduquer “.
Les peines s’échelonnent entre quatre et huit ans.
A ces deux catégories de “condamnés“, il faut ajouter les corrections paternelles.
Le père ne pouvant plus tenir son rejeton adresse une demande d’internement au juge de première instance.
Celui-ci, sans enquête complémentaire, évalue le degré de gravité de la faute commise et détermine le lieu d’enfermement ainsi que la durée de la peine.
Le vol est l’un des délits les plus courants commis par des jeunes issus de milieux défavorisés.
Sont enfermés aussi les enfants errants, les mendiants et les petites filles – parfois âgées de 10 ans – qui se prostituent.
La Solitude-de-Nazareth, maison de correction pour filles, reçoit en grand nombre des fillettes prostituées syphilitiques, alcooliques ou tuberculeuses.
Le plus souvent, les gamins se retrouvent en maison de correction après qu’un particulier a porté plainte.
La journée commence à 6 heures du matin par des exercices d’hygiène rudimentaires (plusieurs pénitenciers ne disposent même pas de point d’eau).
Les enfants au crâne rasé (pour éviter les poux) sont affreusement sales.
Le temps consacré à la prière dans la chapelle est assez long.
En guise de petit déjeuner : un morceau de pain.
Puis, ils vont aux ateliers agricoles ou dans leur salle de cours.
Les plus jeunes ou les plus méritants sont affectés aux tâches les moins éprouvantes (épierrage des champs, sandalerie, cordonnerie, charronnage, fromagerie, aide aux cuisines, service à la table du directeur, de l’économe et de l’aumônier).
Les jeunes travailleurs se rendent aux champs en marchant au pas et en rang serré derrière leur moniteur.
Ils n’ont pas le droit de se parler durant leurs travaux quotidiens.
Le déjeuner, pris vers les 13 heures, est exclusivement constitué de pain trempé dans du bouillon de légumes et d’un plat de légumes.
Le soir, à nouveau de la soupe.
Le dimanche est chômé.
Le matin est consacré à la prière et à des exercices à caractère militaire.
Les petits délinquants paradent en uniforme dans les villages voisins.
Le but de ces défilés est de rassurer les populations en leur montrant combien cette “mauvaise graine” est devenue disciplinée et docile.
C’est en voyant passer ces enfants au crâne rasé, en treillis et en sabots, que la population les a appelés les “petits bagnards“.
Les punitions sont diverses : régime pain sec, piquet dans la position à genoux pendant les récréations, manège (on fait tourner le détenu autour de la cour pour une période indéfinie), cachot.
En théorie, les coups sont strictement interdits, ce qui n’empêche pas leur pratique.
Les mauvais traitements (coups de ceinture, coups de trousseau de clefs, sévices sexuels) sont extrêmement répandus.
L’administration en prend ” officiellement ” connaissance à l’occasion des révoltes de détenus, notamment dans les années 1930.
Le bagne de Belle-Ile va lui aussi connaître une révolte restée dans l’histoire en août 1934.
Un des enfants, avant de manger sa soupe dans le silence absolu, a osé mordre dans un morceau de fromage.
Les surveillants l’ont alors rossé de coups.
A la suite de ces mauvais traitements administrés à leur camarade, une émeute éclate qui provoque l’évasion massive de 55 enfants.
Ce fait divers est suivi d’une campagne de presse très virulente, et va inspirer des intellectuels comme Jacques Prévert, qui écrit son célèbre poème “La Chasse à l’enfant“.
Il y dénonce la “battue” organisée sur l’île, avec prime de 20 francs offerte aux touristes et aux habitants de Belle-île, pour chaque garçon capturé.
A cela s’ajoute la campagne de presse contre la maison d’éducation surveillée d’Eysses orchestrée notamment par Alexis Danan.
La campagne qu’il mène dans Paris-soir à la suite de “l’affaire d’Eysses” d’avril 1937, sert de détonateur, dans un contexte idéologique occupé par des partisans de la défense sociale qui font du traitement des mineurs un préalable à la mise en œuvre des réformes pénales.
L’année 1940 marque la fin dans les textes de ce que l’on appelait les bagnes d’enfants.
La colonie de Belle-Ile devient “institut public d’éducation surveillée” (IPES) fonctionnera encore quatre ans.
En 1945, l’institut est évacué, puis reprend du service en accueillant des mineurs coupables d’avoir appartenu à la Milice installée en France par les nazis pendant l’Occupation.
Fin 1947, l’IPES rouvre ses portes, avec un régime assoupli, plus “éducatif” que “répressif”.
En effet, après 1945, une ordonnance sur la protection judiciaire de la jeunesse considère le jeune délinquant comme un individu digne de ce nom.
L’enfant est autorisé à sortir le dimanche.
L’accent est mis davantage sur l’éducation au détriment de l’apprentissage, lequel a montré ses limites.
Des efforts sont fait en matière d’hygiène et d’activités sportives.
L’institution de Belle-île ferme définitivement ses portes en 1977.
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