Haïti – Témoignage | Faisons parler le silence…

Quand l’innocence d’un enfant explose en miettes suite à une agression sexuelle c’est la société qui est éclaboussée.

Le spectre de l’affaire J.B.A. Dumont ne serait que la pointe de l’iceberg cachant ce drame méconnu.

Dans une série de trois articles, je tenterai de briser le secret appelé PÉDOPHILIE.

Comme un coup de tonnerre dans un ciel clair, la nouvelle retentit.

Un ancien député accusé de PÉDOPHILIE.

Cet acte abominable qui met en cause un adulte face à une enfant impubère.

Ici, l’émoi est double selon les canons de la mentalité haïtienne: l’âge de l’enfant (11 ans) et de l’accusé (60).

L’origine sociale du député.

Il est de “bonne famille” prétendument, comme s’il pouvait exister de “mauvaises familles”.

 

Quel est le statut des enfants dans la société haïtienne?

Souvent, nous entendons des parents imposer la discipline et leurs restrictions par l’argument totalitaire: “se ti moun ou ye, pe bouch ou”.

Les besoins, la volonté et même les arguments de l’enfant sont souvent absents, sous le gîte familial.

L’enfant est un être en devenir.

Il n’existera que dans le futur, selon la force sociale et financière qu’il représentera à l’âge adulte.

Et dans les foyers où les enfants sont molestés sexuellement, il deviendra encore plus difficile de passer à la dénonciation.

L’affaire Dumont aura été le déclencheur d’un déluge d’aveux.

Sur Facebook, des dizaines de femmes adultes ont rompu le silence.

J’ai pu interroger sept d’entre elles.

Elles sont unanimes à reprocher l’absence de relation de confiance avec leurs parents, condition préalable à la confidence.

Certaines, qui ont osé avouer, se sont butées à l’incrédulité des adultes.

Pire, dans deux cas (Judith et Joan), elles ont avoué s’être senties délaisser.

On avait choisi de sauvegarder “l’honneur de la famille” au détriment de leur innocence à jamais perdue.

L’enfant n’étant alors que le corps du délit.

Notre société est à ses balbutiements dans le long parcours vers la démocratie.

Le traitement réservé à nos enfants peut nous servir de boussole afin de trouver la voie d’accès.

 

Pourquoi ressasser un passé douloureux?

Joan, Judith, Julie, Jasmine, Jina, Jerthie et Jane (sept noms d’emprunt) croient que la parole a une vertu curative et libératrice.

“Le traumatisme, expliquent-elles, s’installe en elles comme un corps étranger…

Une bombe à retardement…

Une puissance destructrice tant qu’elle n’est pas évacuée, par la parole”.

Brisons l’Omerta, faisons parler le silence…

Enfant, elles se sont tues.

D’abord, parce qu’à cet âge on ne comprend pas qu’on est violé.

On se sent mal, sans savoir pourquoi.

Elles avaient toutes moins de 10 ans, la première fois, dont une, Jasmine (5 ans).

En Haïti, en l’absence d’éducation sexuelle formelle, à l’école ou à la maison, les enfants sont encore plus empêtrées dans leur rapport avec leur corps et leur intimité sexuelle.

Donc encore plus à la merci des abuseurs.

Or, la meilleure façon, selon elles, de protéger un enfant des pédophiles est l’ implication entière de ses parents dans sa vie.

Savoir manifester de l’intérêt à ce qu’il fait , pense et dit. Judith en a voulu longtemps à sa mère.

Des années après son viol, sa mère découvrant, lors d’un examen gynécologique, qu’elle n’était pas vierge la traita de tous les noms.

La victime devenant subitement accusée.

Une injuste revirement de situation.

Le second drame est tout autant traumatisant.

Ce sentiment de rejet et d’abandon explique trois des sept (Jina, Jane et Jasmine) se transforme en haine et répugnance envers les parents.

Mauvaise estime de soi, difficultés dans les relations interpersonnelles les pousseront vers de nombreuses relations de couple où le sexe occupera toute la place.

Il s’en est suivi un état d’engourdissement sensoriel et d’anesthésie affective.

Jerthie parle :

“de plaisir inaccessible par l’absence d’abandon…

Comment savoir se donner quand son corps a été pris d’assaut? …

On dresse les remparts, on bat en retraite et on se défend contre tous, y compris contre soi-même.”

Les psychologues recommandent d’observer les enfants, dans leurs réactions et les changements d’attitude.

Les conséquences de l’abus sexuel seront moins néfastes, dans la mesure où votre attitude sera compréhensive et souple, face à ses confidences.

Surtout croyez-le, un enfant ment rarement dans le cas d’abus sexuel.

 

L’éducation sexuelle, un outil pour protéger nos enfants…

Apprendre aux petits enfants, dès le préscolaire, dans un langage simple mais direct à prendre conscience de leurs corps et de leurs parties intimes.

Jina parle d’apprendre aux enfants à distinguer “les mauvais gestes et les gestes secrets” proposés par un adulte ou à travers un plus âgé.

Tout enfant de tout milieu social peut en être victime.

Les conséquences sont trop graves et des fois irréversibles, pour traiter ce fléau, avec désinvolture.

L’enfant est persuadé , à travers l’image d’autorité des adultes, qu’ils ont tous les droits sur leur corps.

Très tôt, il faut donc lui donner des repères et des limites.

De plus, les 7 dames croient qu’il faut bannir dans notre culture cette manie développée chez certains adultes à appeler les enfants “fiancés, menaj, boubout”, etc.

Elles insistent également pour dire que, sans encourager l’impertinence, l’enfant doit apprendre à dire non aux adultes.

Et à informer si des gestes le mettant mal à l’aise sont posés à son égard.

Le silence est un piège, reconnaissent unanimement ces 7 dames.

D’ailleurs, c’est la principale raison de leur témoignage des années plus tard.

Également parler pour briser l’isolement entre les victimes, parler pour les autres qui souffrent en silence.

“J’avais honte, je ne sentais pas la force, mais aujourd’hui, je parle pour que ça cesse.”

 

Cynthia Verna et notre mauvaise conscience!!!

Il est désormais difficile de parler sérieusement d’enfants abusés sans évoquer le nom de Cynthia Verna.

Ce n’est pas un nom d’emprunt.

Elle parle à visière levée.

Elle est crue, violente, agressive, sans borne dans cette vidéo , d’une demi-heure, sortie moins de 24 heures, après l’affaire de l’ex-député Dumont…

Elle est à l’image du viol qu’elle a subi , il y a des années, mais avec la gueule de bois du lendemain.

En effet, c’est comme si c’était hier.

Au fait, c’était hier, puisque le temps semble s’être arrêté pour elle.

Je ne sais pas comment j’aurais réagi à sa place.

Je ne veux pas être à sa place et c’est pour cela que je me garde de la juger, puisque je n’ai même pas le courage de vivre, ne serait- ce qu’en imaginant son cauchemar.

Elle crie sa douleur d’avoir subi l’indicible.

Elle crie sa folle douleur d’avoir subi la folie humaine à un âge où est censée triompher l’innocence.

Elle nous dérange, et nous fait sortir de notre zone de confort.

On aurait tellement aimé, ne pas savoir.

Il est tellement plus rassurant de croire que ça n’arrivera pas chez nous.

Des milliers de femmes, comme Cynthia et ces sept dames vous crient d’être à l’écoute.

Trop souvent, l’enfant dit mais n’est pas cru!

 

Prochain Texte : “Le pédophile aussi croit en Dieu”…

Auteur : Aly Acacia

Source : Le Nouvelliste

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