Les enfants de Villefontaine réclament justice

PÉDOPHILIE

Les enfants de Villefontaine réclament justice

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Dans sa chambre, vendredi 3 avril avec sa mère, Cédric* lit un livre sur le foot, sa passion. Il fait partie des victimes de Romain Farina. © Philippe Petit Le 10 avril 2015 | Mise à jour le 08 avril 2015 PAR EMILIE BLACHÈRE @EmilieBlachere 

 

Toute une classe entre les mains d’un pervers. Romain Farina, instituteur et directeur, avait inventé un « jeu » pour abuser de ses élèves. Des petits de CP. En quatorze ans de carrière, cet homme a encadré quelque 400 mineurs. Aujourd’hui, une trentaine d’entre eux se plaignent de pratiques semblables dans d’autres établissements de la région : Vénissieux, Saint-Clair-de-la-Tour…

En septembre 2012, à peine nommé directeur de l’école élémentaire Le Ruisseau, à Villefontaine, Romain Farina prend une mesure qui lui ressemble : il fait condamner deux des trois entrées de l’établissement. « C’était une décision excessive par rapport à l’environnement calme de notre commune, reconnaît Raymond Feyssaguet, maire depuis vingt ans. Mais M. Farina évoquait la sécurité des enfants… Un argument difficilement contestable. » Romain Farina est un enseignant strict. Son manque de jovialité déplaît aux instituteurs, qui ne sont plus autorisés à s’appeler par leur prénom. Le vouvoiement devient obligatoire. Mais les parents lui reconnaissent une grande disponibilité, et même une passion pour son travail. Alors, austère ou pas, on lui fait confiance. Il n’est pas le premier directeur d’école rendu impopulaire par son sens de la discipline. C’est même rassurant, d’une certaine façon.

Romain Farina, 45 ans, marié et père de deux enfants. DR
Romain Farina, 45 ans, marié et père de deux enfants. DR

A la rentrée 2014, au Mas-de-la-Raz, à Villefontaine, dans un quartier tout aussi paisible, il impose également des règles inflexibles. A la sortie, à 16 h 30, il surveille lui-même ses CP et exige de les remettre en mains propres à leurs parents. Il veut absolument les protéger de l’extérieur. Sa classe est au rez-de-chaussée, côté parc, avec vue sur la nature et surtout hors de celle des autres adultes. Les murs sont décorés avec des posters pédagogiques, des dessins, des photos d’animaux. Ce qui est plus inattendu, c’est le paravent au fond. Il est réservé à des animations organisées entre les leçons, notamment un « atelier du goût » instauré certains jeudis après-midi, depuis décembre. Les élèves y participent par petits groupes. Le directeur bande les yeux des enfants et ils doivent reconnaître les goûts, à l’aveugle : pâte à tartiner, miel, yaourt, confiture de fraises… Sans le savoir, ils répondent à des devinettes obscènes et sont même photographiés en secret. La scène va se reproduire pendant trois mois, jusqu’à ce que, le jeudi 19 mars, une petite fille soulève son bandeau. « Elle s’est levée, raconte Raymond Feyssaguet, et elle est allée voir par curiosité derrière le paravent. » Le soir, elle a raconté, avec ses mots à elle, l’agression d’une de ses camarades. Le lendemain matin, à 7 h 30, les deux premières victimes étaient à la gendarmerie pour déposer plainte.

A 18 ANS, UNE ANCIENNE ÉCOLIÈRE SE SOUVIENT ENCORE DES “ATELIERS DE GOÛT”

« Ce n’est qu’à partir de 9 ans qu’un gosse peut s’extraire de l’autorité d’un adulte, explique Agathe Lemoine, psychologue au sein de l’association L’Enfant bleu. Avant, il n’a pas la force psychologique de refuser si l’on insiste. » « J’ai cru que Cédric*, mon petit frère, allait mourir à cause de ce que M. Farina lui avait fait. » Damien, 9 ans, sanglote et ne comprend pas tous les mots qu’il entend dans la bouche de sa mère. Mais il ressent son angoisse. Elle ne dort plus depuis lundi. Trop de rage, de culpabilité. De dégoût. Cédric a 7 ans, c’est un petit garçon plein d’énergie, accro aux dessins animés. Ces derniers mois, il est devenu irascible. « En décembre, il s’est remis à faire pipi au lit. Ce n’était pas normal. »

Romain Farina change d’établissement à chaque rentrée. A Saint-Clair-de-la-Tour, en septembre 2011, il est nommé directeur, responsable d’une classe à double niveau CP-CE1. Au bout d’un an, il quitte l’établissement pour le groupe scolaire du Ruisseau, à Villefontaine, à 30 kilomètres. Chaque fois, son épouse Muriel et ses deux fils suivent. La famille s’installe à Saint-Georges-d’Espéranche. Muriel adhère à une association qui organise des manifestations enfantines ; Romain préfère la pêche, la politique et les conseils municipaux. Syndicaliste, engagé à gauche, il est inscrit sur une liste électorale pour les municipales de 2014. Ils sont très appréciés. Le directeur a fêté ses 45 ans avec les voisins, le 16 mars dernier. Ce qui s’est passé avant, tout le monde, même Muriel, l’a oublié.

La cour de récréation de l'école du Mas-de-la-Raz, à Villefontaine, que Romain Farina dirigeait depuis la rentrée 2014.© Philippe Petit
La cour de récréation de l’école du Mas-de-la-Raz, à Villefontaine, que Romain Farina dirigeait depuis la rentrée 2014.© Philippe Petit

Début juillet 2005 et fin juillet 2006, Farina a consulté sur son ordinateur, à trois reprises, un site pédopornographique contenant des « images de personnes asiatiques prépubères », des mineurs coréens. A cette époque, il enseignait dans la banlieue lyonnaise. Placé une première fois en garde à vue en septembre 2007, il nie, arguë que son compte Internet a été piraté. Il est de nouveau entendu en avril 2008 et reconnaît les faits. Devant les gendarmes, il se défend d’être jamais passé à l’acte. Il explique ne pas pouvoir « [se] l’imaginer » mais admet « le craindre »… Outre six mois de prison avec sursis, il écope en juin 2008 d’une obligation de soins de deux ans, l’expert psychiatrique indiquant qu’il n’y a pas de « dangerosité particulière ». « Il m’a raconté que ce n’était pas lui qui avait consulté les photos, jure Muriel, mais d’autres internautes, en m’assurant que la connexion WiFi de la maison n’était pas sécurisée. » Muriel veut le croire. Elle est fragile, désespérée : le couple vient de perdre une fille, une grande prématurée. Après sa condamnation, Farina souffrira d’« épisodes dépressifs » qui ne vont pas l’empêcher de continuer à exercer, entre deux arrêts maladie, à Avenières, dans son village…

Romain Farina n’est pas révoqué, l’académie n’est pas prévenue de sa condamnation. Personne ne s’étonne de ses changements de poste. Seuls les délégués des parents d’élèves font part de leurs inquiétudes. Pas de retour… Il faudra cette deuxième arrestation pour que sa photo soit publiée dans la presse. A Lyon, une femme le reconnaît. En 2004, Farina était l’instituteur de sa fille, à Vénissieux. Aujourd’hui, l’ancienne écolière a 18 ans. Elle se souvient encore des « ateliers du goût »…

*Tous les prénoms ont été changés.

Source: http://www.parismatch.com/

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