Vizille | Des peines bien légères pour proxénétisme aggravé

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“C’est à la limite de la traite d’être humain”
Jeudi 6 novembre, deux hommes et une femme, âgés respectivement de 22, 24 et 26 ans, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Grenoble pour des faits de proxénétisme aggravé sur mineure. Ils ont écopé de peines allant de 6 mois à 6 ans de prison ferme.

Une adolescente dans un état de maigreur alarmante, en état de dénutrition, présentant des maladies sexuelles transmissibles et un état psychique préoccupant.

Voilà l’état dans lequel se trouve Fleur* lorsque les forces de l’ordre la rencontrent pour la première fois en juillet 2022.

Ce sont ses éducateurs du foyer de Vizille (Isère), auprès desquels elle s’est confiée après d’énièmes violences, qui l’ont convaincu de témoigner auprès des forces de l’ordre.

Âgée de 17 ans, la mineure déclare se prostituer depuis février 2022 pour le compte de trois personnes : son petit ami de l’époque âgé de 21 ans au moment des faits Wail A., d’un autre homme âgé de 19 ans, Bilel A. qu’elle présente comme le meneur, et d’une mineure de 16 ans.

Cette dernière, petite amie du chef de bande, se prostitue tout comme Fleur mais endosse également un rôle d’organisatrice de passes, échangeant régulièrement avec les clients et mettant en ligne les annonces dans lesquelles Fleur apparaît.

Après plusieurs mois d’investigation, mêlant contrôle de comptes bancaires, écoutes téléphoniques, captations et surveillances, le dossier constitué par les enquêteurs est particulièrement fourni et les éléments recueillis sont criants.

Le procès de trois Isérois impliqués dans cette affaire de proxénétisme aggravé sur mineure avait lieu jeudi 6 novembre devant le tribunal correctionnel de Grenoble.

Jusqu’à 30 clients par jour

“Est-ce que tu sais qu’avec une grande tarte je peux t’envoyer dans le coma ?”,

“Tu fermes ta gueule, le job c’est 10 heures – minuit”, “l’argent, ça tombe des chattes”,

voilà quelques messages que Fleur pouvait recevoir du leader lorsque celle-ci refusait de “travailler”.

“Elle n’avait droit à rien, si ce n’est des fois 30 euros pour s’acheter des vêtements. […] Il fallait faire au minimum 1 000 euros par jour, elle travaillait de 10 heures du matin à minuit et n’avait pas le droit de dire ‘non’”, a exposé lors de l’audience l’avocat de la victime, Me Thierry Gauthier. “C’est à la limite de la traite d’être humain”.

Pendant onze mois, la mineure vulnérable est au cœur d’un système bien rodé.

Tout commence lorsqu’elle rencontre son petit ami Wail A., qui l’incite à se prostituer.

C’est le “lover boy“, celui qui, dans le milieu du proxénétisme, se joue des sentiments de la victime pour la pousser à livrer son corps aux plaisirs sexuels d’autrui pour de l’argent.

Les deux autres membres de la bande et notamment Bilel A. vont ensuite commencer à exercer des pressions sur la victime pour l’entraîner à poursuivre.

Des annonces aux photos suggestives sont postées sur des sites sous des appellations du type : “Ines la chaude”, ou encore “Meilleure suceuse”.

Des appartements sont loués via Airbnb ou Booking aux quatre coins de la France.

Les clients se pressent. Entre 20 et 30 hommes par jour se déclarent intéressés. La mineure n’a aucun droit de regard sur ce qu’elle peut ou ne peut pas faire.

“Des fellations avec finition ou non, des faciales, des rapports vaginaux protégés ou non”, a détaillé Me Gauthier. “On ne lui demande même pas son avis pour coucher ou non avec un homme séropositif”.

Ces passes sont surveillées par Wail A. ou Bilel A. depuis la salle de bains ou le bas de l’immeuble. Fleur ne récupère rien de l’argent des passes, celui-ci est partagé entre les deux hommes à l’issue de ses rendez-vous.

Il finance un train de vie confortable à base de paris sportifs, de déplacements en taxi, de nombreux restaurants et de stupéfiants.

La victime, elle, est à peine nourrie. Ses bourreaux lui refuseront même un test de dépistage.

“Ils n’étaient pas là pour la protéger, mais pour la faire taffer. Quand je l’ai rencontrée, elle avait des IST en pagaille, des toxiques en pagaille, des carences dans tous les domaines. […] Elle était juste bonne à manger des pâtes et de la sauce tomate”, a déploré l’avocat de la partie civile.

Les auteurs minimisent leur implication

Le regard baissé, Bilel A. a contesté à la barre être à la tête du réseau.

“Il n’y avait pas d’organisateur, chacun donnait son avis. […] Je ne suis pas le donneur d’ordre”, a-t-il déclaré, assurant seulement “faire la sécurité”.

“Je regrette tout ça, j’ai grandi. C’est une dinguerie ce que j’ai fait”,

A ajouté celui qui, à l’âge de 22 ans, compte déjà 13 inscriptions au casier judiciaire, principalement pour des affaires de stupéfiants et de violences avec arme.

“On lui reproche d’avoir eu ce rôle de leader, il le conteste. Ils ont à peu près tous gagné de l’argent sur cette situation. Il est difficile d’imputer un rôle différent”,

A affirmé son avocat Me Grégoire de Petiville.

L’ex-petit ami de Fleur s’avance à son tour à la barre.

Peu bavard, Wail A. donne peu d’informations et répond de façon nébulaire aux questions de la présidente Béatrice Nicollet.

Il affirme avoir ressenti des sentiments pour la jeune adolescente, qui d’après lui “se prostituait déjà” avant de le rencontrer et n’avoir joué qu’un rôle de chauffeur dans cette affaire.

“Quand on est amoureux d’une jeune fille, comment on explique qu’on se mette à l’aider dans cette activité de prostitution ?”,

A questionné la présidente. “J’ai essayé de lui dire à des moments… Je pense que je n’ai pas été assez convaincant”, a assuré l’homme âgé désormais de 24 ans.

“Elle s’est peut-être fait un film dans sa tête, peut-être qu’elle s’est dit que je n’allais plus l’aimer si elle ne le faisait pas”,

A ajouté celui qui dit avoir été sous influence et avoir fait “tout ça pour des soirées”.

“C’est la première fois qu’il est confronté à la justice pénale”, a défendu Me Arnaud Levy-Soussan.

“Lorsqu’on est chauffeur, est-ce qu’on a la même responsabilité que lorsqu’on est organisateur ? Vous ne devez pas le considérer comme le délinquant qu’il n’est pas”, a déclaré l’avocat, détaillant la situation professionnelle et personnelle de son client, désormais en CDI et dont la compagne attend un enfant.

Troisième prévenue à la barre, Aicha A., demi-sœur de la petite amie de Bilel A., laquelle a été condamnée par le tribunal pour enfants.

La mère de famille de 26 ans est accusée d’avoir facilité la prostitution de sa sœur et de Fleur en prêtant sa carte bancaire et des comptes PCS à partir desquels étaient réalisés des réservations d’hôtel.

Elle a aussi à plusieurs reprises conduit les jeunes adolescentes sur place.

“J’ai uniquement amené ma sœur”, a soutenu la jeune femme, visiblement émue. “C’était pour avoir un œil sur là où elle allait. Je pensais que c’était la seule solution pour la protéger”.

“Savoir qu’une personne se prostitue, ça ne fait pas de vous un proxénète. Moralement, elle se sent coupable. Cette culpabilité, elle n’a pas besoin de condamnation judiciaire”, a défendu Me Alice Berthet.

De 6 mois à 6 ans de prison

Dans un réquisitoire fleuve de plus de 40 minutes, la procureure de la République Clélia Marbouty a chargé les trois prévenus :

“De la jeunesse à vendre, c’est un peu ce qu’on a à juger aujourd’hui. […] À Noël, quand eux fêtent en famille, Fleur est dans les voitures des clients en train de faire des prestations. […] Combien de viols a subi cette fille ? La prostitution à 17 ans, ce n’est pas une liberté”.

Entre 1 an et 8 ans de prison ferme ont été requis par le parquet.

Finalement, après une audience de près de 7 heures, le jugement tombe : Bilel A., qui a quitté le tribunal pendant la suspension d’audience, écope de 6 ans de prison ferme pour “proxénétisme aggravé commis en bande organisée avec victime mineure“, “violence sur une personne se livrant à la prostitution” et “participation à association de malfaiteurs” en état de récidive légale.

Un mandat d’arrêt a été émis à son encontre.

Wail A. est condamné à 4 ans de prison avec mandat de dépôt pour “proxénétisme aggravé commis en bande organisée avec victime mineure” et “participation à association de malfaiteurs”.

Aicha A. est condamnée à 18 mois d’emprisonnement, dont 12 mois avec sursis simple pour “proxénétisme aggravé avec victime mineure“. 30 000 euros de dommages et intérêts devront également être versés à la victime.

* Prénom d’emprunt pour assurer l’anonymat de la victime.

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