
France | Le voile se déchire lentement sur le trafic de bébés
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
non
- 07/02/2025
- 20:10
Catégories :
Mots clés :

« Indécelable »
Bébés volés, enfants vendus, mères trahies, justice bafouée… ’un trafic d’ampleur de nouveau-nés a prospéré sur le sol français pendant des dizaines d’années, probablement alimenté par des officiers de l’état civil peu regardants, des mères de couvents insoupçonnables, des notaires corrompus et des juges complaisants.
Au centre de ce scandale, qui a perduré au moins jusqu’à la fin des années 90, on trouve des associations aux doux noms comme «Berceaux de Rouen» et tant d’autres à Lille, à Paris, à Montpellier, où le journaliste a recueilli une vingtaine de témoignages décrivant des organisations aux méthodes similaires, agissant toutes sous couvert de l’intérêt de l’enfant et à la faveur d’une anomalie française née d’une bonne intention, la loi de la naissance sous X.
Au départ, une situation hélas banale avant la légalisation de l’avortement : un médecin ayant pour patients un couple bourgeois en mal d’enfants d’un côté, et une fille enceinte hors mariage de l’autre.
Il ne lui restait plus qu’à établir un faux certificat de naissance, mettant en place une fraude indécelable avec une adoption qui ne dit pas son nom et qui n’est inscrite nulle part.
Très vite, les bonnes intentions sont oubliées pour un système structuré, où des associations censées soutenir les jeunes femmes en détresse mettaient en place des adoptions faussement déclarées, où les bébés ont été subtilisés après la naissance à la suite de pressions ou mensonges.
Dans cette nébuleuse, on trouve même le nom du président Georges Pompidou, administrateur d’une mystérieuse fondation qui l’a aidé à adopter son fils Alain.
Si les pratiques illégales de l’adoption d’enfants de pays pauvres sont bien connues, celles commises sous la République et sur le sol français sont encore passées sous silence, laissant leurs victimes, enfants et mères, dans un gouffre de suppositions lancinantes que nul ne semble prêt à affronter.
“L’enfant que vous m’aviez demandé est né”
Pendant des dizaines d’années, des réseaux plus ou moins structurés se sont livrés en toute impunité à des pratiques abusives, souvent mises au jour grâce à des tests ADN.
Voici un témoignage d’enfants adoptés dans des conditions troubles et d’une mère poussée à l’abandon.
Dans la cour de récré, elle répondait gaiement :
«Ma couleur de peau, c’est parce que je vais en Espagne tout l’été. Le soleil m’adore.»
L’explication lui convenait, elle si brune et mate, et ses parents blonds comme les blés.
Mais l’année de ses 10 ans, elle surprend son grand-père évoquer son «adoption». Le sol sous ses pieds se lézarde.
L’information macère longtemps dans son ventre sans un mot –sa mère se «glace» à toute tentative de discussion, son père guère mieux.
Aujourd’hui, à 56 ans, Blandine ignore toujours les circonstances précises de sa naissance. D’autant que légalement… elle n’a pas été adoptée.
A l’état civil, elle est née des époux Vignolles le 1er novembre 1968,
«Exactement comme si ma mère adoptive m’avait accouché».
Pas de trace d’abandon ou de naissance sous X. La copie de son acte de naissance intégral ne laisse rien paraître.
«Bébé, j’étais blanche, mes origines métisses ne sont devenues visibles qu’après. Sans ça, je n’aurais peut-être jamais rien su.»
A la mort de ses parents, elle farfouille dans leurs documents et trouve une pochette cartonnée coincée dans les plans de construction de la maison. Sur cette feuille à en-tête, dactylographiée :
«Le bébé que vous m’aviez demandé et que je vous avais promis est né.»
Dans un autre, une certaine Mme Paradis leur demande le choix du prénom et les invite à préparer la layette en attendant son coup de fil.
«La jeune femme est à la maison en attendant son départ pour la clinique. Elle est très apaisée et son gros chagrin s’atténue. C’est une grande femme brune, jolie fille, intelligente.»
Ces courriers sont tamponnés par la Poste de Rouen, et expédiés dans les Landes à l’adresse de ses parents. Qui était cette Mme Paradis ?
Blandine a toujours composé avec des vides, mais à mesure que le temps passe, ils deviennent plus lourds à porter.
Ces mêmes questions la réveillent au milieu de la nuit: «Cette femme brune, a-t-elle été forcée de m’abandonner ? Et si j’étais une enfant volée ?» Longtemps, elle a tenu cette hypothèse à distance.
«Pas possible. Pas en France quand même.» Mais à force de recherches et de témoignages plus invraisemblables les uns que les autres, ses doutes prennent forme.
Blandine Vignolles fait partie des centaines de nouveau-nés passés par les Berceaux de Rouen, une association fondée en 1941 par Edith Paradis.
Son mari, Maurice, médecin, avait sa clinique rue des Sapins, dans la préfecture de Seine-Maritime. Elle s’occupait de la compta et de la pouponnière.
Dans les statuts consultables en préfecture (l’association, en sommeil, n’a jamais été dissoute), il est indiqué que
«L’association a pour but de protéger les nourrissons de mères dans l’impossibilité de s’occuper d’enfants pour quelque raison que ce soit».
Nous sommes en 1941, Rouen est en zone occupée, le couple prend en charge les femmes tombées enceintes de relations extraconjugales, souvent de soldats. A la fin de la guerre, l’équation s’inverse.
Les Paradis ne cherchent plus des familles refuges mais… des bébés adoptables pour satisfaire la demande.
«Ça a dérapé», a pris l’habitude de simplifier Liliane Greig en joignant les mains. Quand Mme Paradis trouvait un client, elle les envoyait déclarer l’enfant directement à la mairie de leur ville. Ni vu ni connu.»
Son ton est bas et calme comme si les faits étaient une vérité établie et connue de tous. Entre les mains, elle tient une quittance.
«J’ai coûté 30’000 francs. Le prix d’un tracteur. Mais un beau.»
Pendant vingt ans, elle a enquêté quasiment à plein temps sur les circonstances de sa naissance.
Son histoire est romanesque à souhait – une mère adoptive mariée en premières noces à un gangster, quand la mère biologique, elle, était folle amoureuse en secret d’un Américain de trente-cinq ans son aîné.
Liliane Greig vient d’écrire un livre, en autoédition et sous pseudo pour respecter la mémoire de ses «quatre parents». Elle tenait à laisser une trace quelque part. Et parce qu’au cours de ses recherches, Liliane Greig a compris qu’elle n’était pas un cas isolé.
«Pensaient-ils réellement bien faire ?»
A vrai dire, de tels témoignages s’échangent depuis les débuts d’Internet, sur des forums puis dans des groupes privés Facebook, sans grand écho jusqu’ici. Quel crédit donner à ces histoires ? Comment prouver ?
Mais voilà. Ces dernières années, un nouvel élément chamboule tout : les tests ADN. Ils sont interdits en France (sauf dans des cas judiciaires et médicaux bien précis), mais de plus en plus de personnes contournent la loi dans l’espoir de tricoter les mailles manquantes de leur histoire…
Et par ricochet, mettent en lumière des pratiques longtemps tues.
Car pendant des dizaines d’années, des trafics de bébés ont prospéré sur le sol français.
Il ne s’agit pas là de dérives de l’adoption internationale, désormais documentées, mais bien de pratiques illicites sur notre territoire. L’affaire des Berceaux de Rouen est une illustration parmi d’autres.
D’autres réseaux ont existé à Lille, Paris, Montpellier… Les témoignages décrivent des organisations plus ou moins structurées mais avec des méthodes similaires. Toutes sous couvert de l’intérêt de l’enfant.
«Pensaient ils réellement bien faire ? Ou était-ce pour l’argent ?» s’interroge le Collectif des nés sous X d’ici et d’ailleurs, créé au printemps 2024 et rassemblant 1 800 personnes.
Erik Pilardeau, l’un des initiateurs, multiplie les rendez-vous auprès de parlementaires et institutions.
«Les autorités doivent arrêter d’enfouir la tête dans le sable, et aller au coeur du problème. Que tout sorte enfin et qu’on avance.»
Les fraudes prenaient plusieurs formes, et se cumulaient parfois.
La première, radicale: la reconnaissance mensongère, consistant à déclarer le bébé d’une autre comme le sien. Quand le gynécologue avait d’un côté une fille enceinte hors mariage et de l’autre, un couple en mal d’enfant… Ce fut le cas aux Berceaux de Rouen : tout laisse penser que le médecin, complice, établissait un faux certificat de naissance. Sans test ADN, la fraude est compliquée à établir.
La deuxième magouille est plus sinueuse: l’adoption existe bel et bien, mais le consentement d’abandon est tronqué. Plusieurs femmes racontent avoir subi des pressions pour abandonner leur bébé, et ne pas avoir été informées de leur droit de rétractation de deux mois.
Religieuses, avocats, notaires…
Susana Da Silva Oliveira s’apprêtait à fêter ses 18 ans quand elle a découvert sa grossesse. Sa famille, pieuse, vit au Portugal.
«Ma mère m’avait prévenue qu’elle me mettrait dehors si ça arrivait. Alors j’ai quitté mon pays, sans rien dire. J’ai trouvé un travail à Paris.»
A la maternité, l’assistante sociale lui explique que vu sa situation, le seul moyen de ne pas payer l’accouchement est de laisser le nourrisson à l’hôpital.
«Je ne comprenais rien, je craignais qu’ils appellent ma famille.»
Elle assure n’avoir rien signé, ni avoir compris que son bébé était déclaré né sous X.
«J’appelais sans arrêt, je pleurais. Un jour, l’assistante sociale a été hyper sèche: “C’est terminé. Il a été confié. N’appelez plus.”»
C’était en 1992.
D’après les témoignages que nous avons recueillis, on retrouve aussi, dans les intermédiaires, des congrégations religieuses, des couvents et des prêtres.
Dans ces circuits, il y a également tous les invisibles, dont il est très difficile de prouver l’implication, que l’on devine pourtant centrale.
Ces avocats ficelant des dossiers d’adoption bancals. Ces juges prononçant des adoptions plénières sans déclaration d’abandon en bonne et due forme. Ou encore ces notaires légitimant une filiation après coup et sans vérifier le certificat d’accouchement.
Des officiers d’état civil aussi : combien sont-ils à avoir fermé les yeux lors des déclarations en mairie suspectes ?
«Ou à avoir été poussés vers la sortie par leur responsable quand ils commençaient à comprendre…»
Avance Myriam Ganty, une Belge installée depuis dix ans à Marseille et présidente du groupe Facebook Retrouvons-nous.
Elle se dit mécontente du traitement journalistique des trafics entre la France et la Belgique :
«Il faut une commission d’enquête parlementaire avant de crier au scandale. Accabler les bonnes soeurs, c’est se tromper de cible. Les vraies responsables, ce sont les familles qui voulaient préserver leur honneur et cacher la grossesse de leur fille. Ce sont elles, les coupables. Et tous ces hommes de droit qui savaient parfaitement ce qu’ils faisaient.»
«A partir du moment où il y a fraude, il y a une chaîne de responsabilité, expose Yves Denéchère, historien à Angers. La question ensuite est d’établir qui savait quoi.»
Il est l’un des rares spécialistes de l’histoire de l’adoption, étonnamment peu étudiée. Les pratiques illicites, assure-t-il, ont toujours existé. Fabio Macedo, historien lui aussi, présente les choses ainsi :
«Dès que l’on gratte un peu, on trouve. On s’interroge donc sur le caractère systémique. C’est ce qui ressort de nos premières recherches.» Autre élément sur lequel le chercheur insiste :
«Les bébés étaient triés, des documents l’attestent, pour donner des garanties de santé et juridiques aux familles adoptantes.»
Il raconte ses découvertes, presque à ses dépens, au cours de sa thèse en 2020 puis à l’occasion d’un rapport sur l’adoption internationale.
«Très vite, je suis tombé sur des archives montrant aussi des irrégularités sur le sol français. Les acteurs étaient en réalité les mêmes : les organismes privés de l’adoption (les OAA) ont d’abord organisé des adoptions en France avant de se tourner vers l’international dans les années 80» après la légalisation de l’avortement, il y a cinquante ans.
Longtemps sage-femme à Nancy, Françoise Kriguer a elle aussi enquêté. Ces histoires de trafic de bébés ont été le fil conducteur de toute sa vie: son mari a également été adopté dans des conditions troubles, «un petit arrangement entre amis».
A sa retraite en 2007, elle s’est isolée devant son ordinateur. Dans un mémoire d’une quarantaine de pages, elle dépiaute chaque organisme privé d’adoption, à partir de témoignages et d’archives. Un travail minutieux, base potentielle à une inspection des autorités.
«C’est ce que l’on espérait. Mais je n’ai jamais reçu la moindre réponse. Rien.»
Avec son mari, elle attendait beaucoup du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop), mis sur pied en 2002. Il y a siégé de 2009 à 2011, avant de partir fâché. Ce n’est pas le seul. Jean-Marie Coupleux, également né sous X et militant, a tenu six mois :
«On avait plus de chances de retrouver notre histoire avant que le Cnaop n’existe ! Il sert de filtre supplémentaire et a vite fait de clore votre dossier, sans chercher bien loin.»
Depuis sa création, 13 129 dossiers ont été ouverts : 3 988 d’entre eux ont obtenu l’identité de leurs parents de naissance.
Sollicitée à plusieurs reprises, l’institution publique, regroupée dans la même entité que l’Agence française de l’adoption, a refusé tout entretien, et renvoyé vers «l’Etat» pour évoquer les pratiques anciennes.
«L’assistante sociale avait tout organisé»
Avec son chien plus grand qu’elle, dans sa maison dans la métropole nancéienne, Françoise Kriguer réactive des pans de sa mémoire :
«La fraude est plutôt facile, en réalité. La vraie difficulté, c’est de vivre ensuite avec ça sur la conscience.»
Elle repense à ce couple d’un certain âge venant du Nord pour récupérer, un jour à la maternité, un bébé d’une jeune Indienne.
«L’assistante sociale avait tout organisé. C’était louche, mais comment le prouver ?»
La première à avoir réuni suffisamment de preuves devant la justice, c’est Rozenn Monereau. Elle a été reconnue comme une enfant volée. Le procès remonte à 2011, passé quasi inaperçu à l’époque en dépit d’une condamnation de l’AP-HP (hôpitaux de Paris).
Se livrer lui demande un immense effort, de peur d’une énième déconvenue.
«J’ai appris à me taire. Les faits ont beau être établis, on ne me croit pas.»
Son récit est à peine croyable. Rozenn naît à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, en 1960. Sa mère se trouve alors dans une situation compliquée: elle souffre de tuberculose, son médecin prescrit un séjour en sanatorium.
En instance de divorce, elle ne sait à qui confier son bébé et accepte le placement chez une «marraine» que lui présente une religieuse auprès des malades. De sa chambre d’hôpital, elle écrit au père du bébé pour l’en informer.
Il ne recevra jamais la lettre. Et pour cause : elle ne sera jamais postée.
Pendant ce temps, l’assistante sociale déclare la petite née sous X, et la remet à une communauté de soeurs franciscaines.
«Elle devait imaginer que ma mère ne sortirait jamais vivante du sanatorium et que personne n’en saurait rien… J’ai été donnée à une “bonne chrétienne” voulant un enfant.»
Une fois rétablie, la mère tambourine à toutes les portes, puis dépose plainte. L’assignation en justice date de 1964… Mais rien derrière. Elle finit par abandonner.
Rozenn parvient à la retrouver quarante-et-un ans après, quelques mois avant sa mort. Elle porte alors l’affaire en justice : le tribunal de grande instance de Paris reconnaît les faits de simulation d’enfant, un délit consistant à prêter à une femme un accouchement qui n’a pas eu lieu. Et la responsabilité, en partie, de l’AP-HP.
Odile Roy, maître de conférences en droit privé à Nanterre, l’a accompagnée et beaucoup soutenue.
«Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’histoire de Rozenn n’est pas un cas isolé. Jamais la religieuse n’aurait fait toutes ces démarches, avec une telle prise de risque, sans la complicité de l’hôpital derrière. Elle avait l’habitude de ces pratiques. C’était un système.»
Odile Roy est inarrêtable, elle déroule ces nombreux témoignages recueillis tout au long de sa carrière. Elle a plongé dans ces histoires de trafic d’enfants après l’inscription dans le code civil de l’accouchement sous le secret, en 1993.
Plusieurs alertes et un lourd tabou
La disposition n’avait à l’époque pas soulevé beaucoup de débats dans l’hémicycle, présentée comme un droit pour la femme.
«C’est encore perçu ainsi par certains. Or sur le plan juridique, c’est la porte ouverte aux dérives. Comment s’assurer du consentement de la mère quand l’identité n’est pas recueillie ? Le droit fait comme si elle n’avait jamais accouché, comment peut-elle prouver l’absence de consentement ?»
La France est l’un des rares pays à autoriser l’accouchement sous le secret: 434 naissances en 2023, contre 2 000 dans les années 1960, avant la pilule et la légalisation de l’avortement.
Maria-Pia Briffaut, présidente de l’association Adonx, est convaincue que des pressions existent encore sur des femmes vulnérables, immigrées notamment :
«Ces femmes ont été piétinées et ont souffert toute leur vie, comme ma mère. C’est pour elles que je me bats.»
Elle réclame elle aussi une commission d’enquête et attend que la justice se prononce sur son histoire.
«Les sous X sont la crème de la crème pour les adoptants. Des enfants sans passé, ni moyen de retrouver leurs racines…» interprète Patricia Fagué.
Au début des années 90, elle commence sa carrière comme journaliste à Perdu de vue, l’émission parfois raillée présentée par Jacques Pradel. A l’époque, raconte-t-elle, le téléphone sonnait beaucoup pour des histoires d’adoptions troubles. «Mais la consigne de TF1 était claire : interdiction formelle de toucher à ces sujets.» A l’arrêt brutal de l’émission en 1997, Patricia Fagué continue d’être sollicitée au point de lancer son site et de s’y consacrer à plein temps.
A la fin des années 90, le patron d’une grande marque de vêtements la contacte: il a été adopté, ses papiers mentionnent la Fondation d’Heucqueville, dans le chic XVIe arrondissement parisien. L’enquête est laborieuse: la Fondation d’Heucqueville n’apparaît nulle part dans les registres de la préfecture.
«J’ai fouillé pendant quatre ans, jusqu’à remonter au président Georges Pompidou. Il était l’un des administrateurs de la Fondation. C’est comme ça qu’il a adopté son fils Alain.»
Les révélations de Patricia Fagué, dans son livre paru en 2004 Né sous X, enquête sur l’abandon, tombent dans un trou.
Elle le réédite quinze ans après, avec de nouveaux éléments, et notamment cette lettre troublante du ministère de l’Intérieur de 1946. Tout y est.
«Une enquête de l’inspection de l’assistance publique a révélé que le fonctionnement de la fondation donnait lieu à des faits graves et que le placement des enfants, en particulier, s’accompagnait de véritables trafics.»
Ce n’est pas la seule alerte officielle. Des années plus tard, en 1980, le Conseil supérieur de l’adoption montait un groupe de travail intitulé «lutte contre les trafics d’enfants», s’inquiétant de «l’accroissement du nombre d’adoptions sauvages (qu’elles aient donné lieu ou non à un échange d’argent)».
Et en 1984, le député Pierre Weisenhorn interpellait dans une question écrite : «L’Ordre des médecins, l’épiscopat français et le ministre de la Justice ont été alertés à plusieurs reprises sur cette question [des recueils illicites d’enfants, ndlr].»
Patricia Fagué s’étonne : «Pourquoi en a-t-on si peu parlé ? Après mes révélations sur la Fondation d’Heucqueville, seule France 2 a fait un sujet pour le JT de 13 heures. Mais c’est tout.» Comment l’expliquer ?
L’universitaire Fabio Macedo y voit le poids du tabou, compliqué à dynamiter. Pour Yves Denéchère, ce serait même plus sournois : les pratiques illégales en France ont été décrites très tôt, mais elles n’étaient pas perçues comme scandaleuses. Parce qu’au fond, cela arrangeait tout le monde. Les services de l’Etat pour commencer.
«Les associations de familles adoptives aussi, très puissantes. Elles ont des relais dans l’administration et politiques, rapidement mobilisables», assure Yves Denéchère. L’historien vient de déposer un projet de recherche, avec l’ambition de documenter ces pratiques et d’évaluer le nombre d’enfants concernés. Il en est convaincu: «La société est mûre aujourd’hui. Il y a une prise en compte de tous les abus qui ont pu être faits aux enfants. Ça sort enfin.»
«Comment lui dire que je suis sa fille ?» Liliane GREIG, 71 ans
“Toute ma vie a été marquée par ce vide. J’ai su enfant que j’avais été adoptée, mais c’était tabou. Et puis, à la mort de mes parents, un cousin est venu me dire que mon père était mon vrai père. J’ai retrouvé dans les papiers l’acte de naissance, il m’avait effectivement reconnue… Alors pourquoi avoir menti ?”
Dans la pochette, un autre document datait du même jour : une quittance de 30 000 francs. Pendant des années, j’ai cherché sans comprendre. «Quand les tests ADN sont arrivés, on a tenté le coup avec mon cousin.
Résultat : aucun ADN commun avec mon père. On a recommencé avec un autre labo. Pareil.
En revanche, j’avais une correspondance avec une Néo-Zélandaise… aux origines écossaises. Après un long travail, une généalogiste a identifié des neveux aux Etats-Unis. L’un d’eux avait un vague souvenir d’être allé en France, enfant, voir le grand-père David, qui vivait avec une femme très jeune : “Elle s’appelait Thérèse et elle vendait des vêtements.”
Les indices étaient faibles mais à force, j’ai identifié une adresse : une orthophoniste y avait son cabinet. Je laisse un message, elle me rappelle plusieurs semaines après : “Thérèse est en Ehpad et a perdu la tête.” Me voilà devant toutes ces dames et leur déambulateur. Je me présente comme la fille de David.
“J’aime bien ce prénom, je ne sais plus pourquoi.” Je lui parle de ses parents, de ce que je savais de sa vie.
«Peu à peu, sa mémoire revient, comme des lumières qui s’allument. “Oh, David, c’était le grand amour de ma vie. Racontez-moi encore.”
Comment lui dire que je suis sa fille ? Comment ne pas lui dire ? J’essaie d’être légère, mais je suis plombante. “Vous savez, je ne suis pas seulement la fille de David.”
Elle me montre son pouce en l’air, elle a compris. Elle est en larmes. “Oh mon Dieu, il ne faut pas que j’oublie. Pourvu que je n’oublie pas.”
Le lendemain, son état s’était dégradé, elle ne me reconnaissait plus. Je me suis promis de ne plus l’emmener sur ce chemin. Elle aura gardé le secret toute sa vie. Sa mère est morte un an après ma naissance. Elle s’appelait Amélie, c’est mon deuxième prénom.»
«Ma colère n’est jamais partie» Susana Da Silva Oliveira, 51 ans
«Cet enfant, je voulais le garder. L’assistante sociale m’a fait croire que vu que je n’avais pas d’argent pour la facture de l’hôpital, le seul moyen, c’était de laisser le bébé. A la naissance, j’ai dû hurler pour le voir, le personnel ne voulait pas. L’assistante sociale était plutôt à l’écoute au début, mais elle répétait que j’allais m’en remettre, en refaire d’autres. Personne ne m’avait informée de l’accouchement sous X, j’ignorais ce que c’était. Je n’ai signé aucun papier. J’ai écrit une lettre pour qu’elle soit versée à son dossier, consultable à sa majorité… J’ai fini par découvrir qu’elle n’y était pas, certainement parce que je dénonçais l’attitude de la psychologue et de l’assistance sociale.»
«Je n’ai pas eu la force d’intenter un procès mais je ne m’en suis jamais remise. Je m’en voudrai toute ma vie. Cette rage que vous ressentez quand on vous vole ce que vous avez de plus cher…
Cette colère n’est jamais partie, elle m’a transformée. J’en ai pourtant toujours parlé. A mon mari, nos trois garçons… Avec le recul, je crois que c’est ce qui m’a sauvée.
Il y a sept ans, j’ai engagé un détective privé. Il l’a vite retrouvé. Quentin avait 25 ans. On a commencé à s’écrire, puis à s’appeler plusieurs fois par jour. On a communiqué à distance pendant un an et demi, avant qu’il veuille me voir. C’est très difficile pour lui. On est restés dans les bras l’un de l’autre longtemps. C’était très émouvant et étrange. Je me souviens de ses mots :
“C’est la première fois que je ressemble à quelqu’un.”
Mais en même temps, qui suis-je pour lui ? J’aimerais rencontrer ses parents. J’imagine combien c’était difficile aussi pour eux d’apprendre cette histoire. Je ne trouve pas les mots pour leur écrire. Je ne sais même pas comment me présenter.»
«J’ai découvert un frère américain, même père, même mère» Erik Pilardeau, 68 ans
«Quand j’ai découvert mon adoption à 18 ans, j’ai fait une demande pour consulter mon dossier aux services sociaux. Il était quasi vide. C’est resté dans un coin de ma tête. A la retraite, c’est ma fille qui m’a poussé à me lancer. Nous avons entrepris les démarches officielles devant le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles.
Neuf mois après, un courrier m’indiquait que ma demande avait été… enregistrée ! Depuis, pas de nouvelles.
En attendant, j’ai mené ma propre enquête. Et là, chose improbable : avec les tests ADN, j’ai découvert un frère américain, Eddie. Nous avons deux ans d’écart. Même père, même mère.
Pourquoi deux abandons ? Comment s’est-il retrouvé aux Etats-Unis ?
«Nous avons beaucoup cherché, un généalogiste bénévole nous a été d’une aide précieuse.
Notre mère était fille de propriétaires terriens d’origine flamande. Elle vivait dans l’Oise. Notre père était ouvrier polonais. Dans ces milieux, à cette époque, les hectares passaient avant le reste… A-t-elle été forcée de nous abandonner ? Seul notre père biologique est encore vivant mais il ne veut pas nous voir.
Alors avec Eddie, on s’imagine qu’ils se sont aimés. Notre mère a été conduite à Dreux, près de la base militaire de l’Otan, pour accoucher d’Eddie.
Il y avait visiblement des arrangements pour que les familles de soldats américains adoptent des enfants. Il n’est pas le seul.»
Source(s):
Les articles en liens


Louplande | Deux ans de prison pour ses 238 vidéos à la piscine de La Suze

Bourgoin-Jallieu | Condamné à de la prison avec sursis pour détention et diffusion d’images pédopornographiques

Sigean | La gendarmerie lance un appel à témoin après la tentative d’enlèvement d’une petite fille
