France | Suivi des 5 jours de procès de l’affaire des enfants placés par l’ASE du Nord

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“Comment en arrive-t-on à ce qu’un adulte urine sur un enfant ?” 
Suivi affaire des enfants placés par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) du Nord

Jour 1 du procès:

« Je ne veux plus en entendre parler, des adolescents ! »

Antoine et Colette M. ont été les premiers des 18 prévenus entendus, ce lundi au procès du réseau illégal de famille d’accueil jugé à Châteauroux.

Les deux retraités ont minimisé la nature illicite de leur activité ayant rapporté 230 000 euros, non déclarés au fisc.

Les lustres en forme de cercles qui lévitent entre le parquet et le plafond de la salle d’audience, rappellent ces auréoles d’or tracées au-dessus de la tête des saints dans les églises.

Sous cette lumière innocente, à la barre ce lundi 14 octobre, Antoine M., 72 ans, n’a rien fait, ou si peu.

Son épouse Colette ? Pas plus.

Le couple de retraités est le premier à s’expliquer dans le procès du scandale des enfants placés de l’Aide sociale à l’enfance, qui se tient jusqu’à vendredi au tribunal correctionnel de Châteauroux (Indre).

Sur le banc des prévenus, bien d’autres regards ourlés de cernes attendent leur tour.

Dix-huit personnes (un dix-neuvième prévenu est décédé six mois avant le procès) sont soupçonnées d’avoir accueilli illégalement, sans déclaration, et parfois dans des conditions indignes, des adolescents adressés à eux par la protection de l’enfance du département du Nord, entre 2009 et 2017.

Ces séjours, lucratifs pour les hébergeurs, ont été émaillés de violences physiques et psychologiques aux dires des parties civiles.

« Ils n’assument pas. C’est pathétique »

L’instruction a duré et piétiné quatre ans, avant d’aboutir dans cette salle d’audience correctionnelle, où seuls certains des faits dénoncés par les enfants sont examinés.

L’affaire tout entière se résume à « un désastre », selon le mot du président du tribunal, Christophe Geoffroy.

Mathias, l’adolescent qui a dénoncé le premier des maltraitances à l’automne 2017, a passé une veste de costume couleur marine pour assister au naufrage.

C’est « fatigant, drôle et frustrant », commente-t-il depuis le banc des parties civiles.

Colette et Antoine « ont des propos tellement hors de la réalité, cingle-t-il. Ils n’assument pas. C’est pathétique. »

Le couple a empoché 230 000 euros d’argent public, en indemnités journalières.

Pas un centime n’a été déclaré au fisc. Ils concèdent cela.

Tout le reste de l’interrogatoire vogue de « non » en « peut-être ».

Antoine Martinez a-t-il signé des papiers au nom de l’association ? « Sans plus. »

Vous sentez-vous coupable de travail dissimulé ? « Oui et non. »

Les déclarations d’hébergement des jeunes n’ont jamais été faites entre 2009 et 2013 ?

« Il faut tout faire avec l’ordinateur, moi je suis nulle », répond Colette.

Elle soutient avoir signalé la présence des jeunes, mais par téléphone.

Selon leur récit, les ados profitent à fond du cadre de leur propriété cernée d’une haie de thuyas, où l’on trouve des animaux, un court de tennis, une piscine – « qui n’a pas été construite par les enfants ! » souligne la retraitée, comme pour rassurer.

Que faisait-elle avec eux ? « À manger ».

Les jeunes « aimaient bien que je leur fasse des crêpes ».

La retraitée à l’inamovible brushing blond concède des « remontées de bretelles » et des « petites tapes derrière la tête » pour les plus turbulents, de la part de son mari.

Les parties civiles emploient d’autres mots : ils évoquent du travail forcé sur le chantier de la maison de Julien M., fils des retraités et un des principaux prévenus, des clés de bras, des claques, des coups de poing dans le ventre et des insultes racistes, notamment à l’égard d’un enfant traité de « Coulibaly » et de « sale noir ».

Antoine, parce qu’il est né à Mers-el-Kebir du temps de l’Algérie française, trouve une étrange parade : « Je suis Africain. »

« Quatre jeunes font des déclarations concordantes, ils mentent tous les quatre ? » interroge Me Christel Jousse, pour les parties civiles.

« Oui » répond l’ambulancier à la retraite, en tournant son front dégarni vers la salle.

« Vous n’avez pas d’empathie ? » pilonne à son tour sa consœur Me Guedj-Benayoun, à l’attention de Colette.

L’exclamation fuse, la première vraiment spontanée après plus d’une heure d’interrogatoire.

« Ah non, je ne veux plus en entendre parler, des adolescents ! »

Mathias semble prêt à bondir d’indignation. Il se ravise.

Julien M. triture dans sa main droite une pierre transparente qui luit par instants sous les lustres du tribunal.

Derrière lui, un homme aux longs cheveux gris et mousseux caresse sa barbe grise au fond de son box.

Bruno C., désigné par plusieurs protagonistes comme le cerveau de la bande, sera entendu ce mardi.

Jour 2 du procès:

L’un des principaux mis en cause dans le dossier de maltraitances commises sur des jeunes de l’ASE du Nord est entendu, ce mardi 15 octobre par le tribunal de Châteauroux.

Il est l’un des 18 prévenus dans ce dossier.

Leurs explications sont particulièrement attendues, au tribunal de Châteauroux, dans l’Indre.

Les deux principaux prévenus dans le dossier de maltraitances subies par des jeunes de l’aide sociale à l’enfance (ASE) du Nord, accueillis dans l’Indre, la Creuse, et la Haute-Vienne, sont entendus ce mardi 15 octobre, et ce mercredi 16 octobre au tribunal de Châteauroux.

Ils sont poursuivis pour les avoir accueillis sans l’agrément nécessaire, mais aussi pour des violences commises sur ces jeunes, et l’administration de calmants alors que ça n’était pas indiqué, ou pas dans les dosages appliqués.

Une demande pour poursuivre l’ASE du Nord

L’aide sociale à l’enfance du Nord savait.

C’est que qu’affirment les principaux mis en cause au procès des maltraitances subies par des enfants de l’ASE.

Collette M l’a affirmé dès l’ouverture du procès, ce lundi 14 octobre.

Elle avait prévenu l’ASE du Nord du retrait de son agrément (lui permettant d’accueillir les jeunes).

Julien M, lui aussi, a assuré que l’aide sociale à l’enfance était au courant.

Élément accablant, le président a lu ce mardi un document attestant de l’alerte lancée en interne par un éducateur de l’ASE.

Ce dernier alertait sur des coups de cravache reçus par un jeune, et soulignait également l’absence d’agrément autorisant l’accueil des jeunes.

“Comment en arrive-t-on à ce qu’un adulte urine sur un enfant ?”

Julien M., poursuivi pour plusieurs faits de violence, a été questionné longuement à ce sujet ce mardi matin.

Des scènes particulièrement choquantes, difficiles à entendre, ont été évoquées.

Ainsi, cette scène de violence, en mai 2017. Julien M, fortement alcoolisé, saisit au cou Mathias, 15 ans à l’époque.

Il lui aurait baissé le pantalon, avant de lui uriner dessus.

“Ce soir là, j’avais effectivement bu. Si je l’ai saisi, je ne m’en souviens pas. Si je lui ai uriné dessus, je m’en excuse” répond le mis en cause, qui assure ne pas se souvenir de cette soirée.

L’autre principal mis en cause, Bruno C, était également présent.

“Comment on en arrive à ce qu’un adulte, même alcoolisé, urine sur un enfant ?” interroge le président.

“Ça n’est pas normal”, reconnaît Julien M.

Le prévenu est également accusé d’avoir serré les testicules d’un autre adolescent à travers son pantalon, au point que ce dernier ait du sang dans son urine.

Julien M. conteste catégoriquement.

Autres scène particulièrement humiliante : la tête d’un jeune plongée au niveau de la cuvette des toilettes et la chasse d’eau tirée, pour lui signifier le fait qu’il n’est pas assez propre.

La scène est confirmée par des témoins extérieurs, mais le prévenu rejette totalement ce qu’on lui reproche.

“Je ne suis pas un animal” se défend-il.

Julien M. ne reconnaît que des gifles, des “recadrages”, et face à l’insistance de l’avocate des parties civiles Myriam Guedj Benayoun, il finit par s’en excuser auprès des jeunes présents dans la salle d’audience.

L’un des deux principaux prévenus, pivot du réseau illégal de familles d’accueil jugé à Châteauroux, a été interrogé ce mardi sur les violences infligées aux mineurs placés. Des « recadrages », s’est défendu Julien M.

Julien M. s’est fixé une limite. Ou peut-être que la limite s’est imposée à son esprit.

Il admet avoir trompé le fisc. Il concède l’appât du gain.

Glisse sur les statuts étranges de son association où il n’apparaît nulle part.

Mais l’infamie de violenter des enfants, non.

« Je ne veux pas lâcher ça », confie l’éducateur autoproclamé.

Lui ne frappe pas. Il « recadre ».

Six heures durant ce mardi, toutes les robes noires du tribunal, président, procureure, avocats, se sont heurtées à cette barrière mentale inamovible, dressée à la barre par Julien M., l’un des principaux mis en cause dans le scandale des enfants placés du Nord.

Cet homme de 46 ans, au regard bleu assorti à sa chemise, est accusé d’avoir mis en place avec son complice Bruno C. un réseau illégal de familles d’accueil, disséminées dans les hameaux à la lisière des départements de l’Indre, la Creuse et la Haute-Vienne.

Des « séjours de rupture » propices aux violences

Plusieurs adolescents ont témoigné de violences graves, y compris sexuelles, de brimades et de conditions d’hébergement indignes durant ces « séjours de rupture », où les services de l’aide sociale à l’enfance du Nord, notamment, ont envoyé des dizaines de jeunes entre 2009 et 2017.

Les récits de scènes de violences de Julien M., désigné comme le principal tourmenteur des enfants, foisonnent.

« Le dossier est tellement clair ! Il faut baisser la garde ! » adjure Me Myriam Guedj-Benayoun, l’une des avocates des parties civiles, en vain.

La cruauté culmine ce soir de février 2017, quand Julien M. et son associé Bruno C. trinquent à l’anniversaire de leur rencontre.

Voilà un an que le duo tisse son réseau.

La maison de Bruno C. sert de gare de triage des enfants, avant l’orientation chez l’un ou l’autre des accueillants.

Les services de l’ASE du Nord payent rubis sur l’ongle de juteuses « indemnités journalières » contre l’accueil de ces jeunes, souvent réputés ingérables, et incasables.

Julien M., policier raté viré des forces de l’ordre au bout de quatre ans, s’est forgé une stature de « coordinateur général » de l’association Enfance et bien être.

C’est lui que les familles appellent quand les jeunes en crises débordent.

C’est lui aussi que les enfants craignent.

Mathias, 15 ans, vient de poser son sac pour son deuxième séjour dans la Creuse.

Le président, Christophe Geoffroy, reprend les auditions de plusieurs témoins, tous formels.

Julien M. a violenté Mathias, l’a menacé, l’a conduit dehors, l’a assis et lui a uriné dessus, au point que le garçon en pleurs est rentré dans la maison torse nu, les cheveux mouillés, son t-shirt souillé à la main, et secoué de larmes.

« Comment est-ce qu’on en arrive à ce qu’un adulte, même alcoolisé, urine sur un enfant ? » questionne le président. « C’est pas normal, si je voyais ça, je ferais tout pour que ça s’arrête », répond Julien M., voix blanche, comme s’il était devenu un autre.

Ni diplôme, ni agrément

Même défense à propos de Sofiane, qui a affirmé, ainsi que des témoins, que Julien l’a empoigné de force, et pour lui apprendre l’hygiène, lui aurait maintenu la tête dans la cuvette des toilettes.

« C’est inhumain », commente-t-il.

« Mathias, il est là… Qu’avez-vous à lui dire ? » insiste Me Myriam Guedj-Benayoun.

Le prévenu baisse la tête, il dit ne plus se souvenir. « Si je l’ai fait, pardon ».

Le prévenu, également père de deux enfants, se raccroche à ce mot de « recadrage », comme à une bouée.

Des dizaines de fois dans la salle d’audience, le mot est jeté comme un voile sur une réalité insupportable de garçons étranglés, frappés, humiliés.

Deux d’entre eux ont raconté que Julien a serré leurs testicules si fort que l’un d’eux, le lendemain, se plaignait de « faire pipi rouge ».

Le président insiste.

« C’est quoi, un recadrage ? »

« Une gifle ». Puis « des gifles ».

Pas le genre de celles qu’on donne à un adulte, précise-t-il.

Il mime. Plutôt « une tape qui disait oh, qu’est-ce qu’il se passe ? »

À plusieurs reprises, l’éducateur sans diplôme et sans agrément tente l’exercice périlleux de distinguer les bonnes et les mauvaises violences.

« Je n’ai jamais été un animal avec ces jeunes », ajoute le quadragénaire, épinglé dans l’expertise psychiatrique comme un homme très sûr de lui, narcissique et manquant d’empathie.

Angélina, 19 ans, sur le banc des parties civiles, fulmine.

« Mytho ! Mytho ! » répète-t-elle pour elle-même et pour le public derrière elle.

L’audience est suspendue.

Julien M. se laisse tomber, épaules basses, invisible sur un banc de la salle des pas perdus.

Une des avocates, plus loin, soupire :

« il ne peut pas admettre être ce salaud-là. Sinon il s’effondre. »

Jour 3 du procès:

“Je n’attends pas de la pitié, mais un résultat”

Les victimes et un ancien éducateur de l’ASE du Nord témoignaient ce mercredi à la barre.

“Il n’y avait aucun amour, aucune affection”

Les mots résonnent dans la salle d’audience du tribunal de Châteauroux, ce mercredi 16 octobre.

Ils sont prononcés par Mickaël, l’une des victimes venues témoigner au procès du scandale de l’Aide sociale à l’enfance.

Ils concernent Colette M., l’une des principales mises en cause dans le dossier.

“Étranglé jusqu’à ce que je devienne bleu”

À la barre, Mickaël témoigne des différentes violences qu’il raconte avoir subies de la part de Julien M. et Antoine M.

Des tapes, des insultes, des moqueries pour le rabaisser, mais aussi une scène d’étranglement particulièrement violente, “jusqu’à ce que je devienne bleu, que je tombe au sol” raconte Mickaël.

C’est lui qui organise sa fugue, son grand frère et un autre jeune partent avec lui.

“On travaille, je suis exploité (…) On est dans un cadre qui ne me garantit pas un avenir, un travail sur moi-même” explique le jeune homme lorsque le président lui demande pourquoi il a fugué.

Parmi les jeunes fugueurs, Jean K. J. témoigne également à la barre.

Il relate ainsi les insultes racistes qu’auraient proféré très régulièrement Collette M. à son encontre, mais aussi le travail forcé.

“On retapait la maison” décrit le jeune homme de 21 ans, qui évoque par exemple des travaux de maçonnerie.

Lorsqu’on lui fait remarquer que les prévenus ne sont pas poursuivis pour ce motif-là il réagit : “c’est incompréhensible”.

Lui aussi parle de violences de la part de Julien et Antoine M.

“Je n’attends pas de la pitié, mais un résultat”

Questionné par le président sur ces attentes concernant le procès en cours, Mickaël répond de manière claire :

“Je n’attends pas de la pitié, mais un résultat par rapport à cette famille. L’ASE on en parlera plus tard”

En effet, l’Aide sociale à l’enfance n’est pas poursuivie dans ce dossier, ce qui a été critiqué abondamment depuis le début du procès par les avocats des parties civiles, comme ceux de la défense.

Seul un ancien éducateur de l’ASE du Nord au moment des faits (il a depuis changé de métier) est venu témoigner devant le tribunal de Châteauroux.

Il a été entendu en tant que témoin dans le cadre de ce procès pour maltraitance commises sur des enfants placés dans des familles d’accueil de l’Indre, de Haute-Vienne et de la Creuse.

C’est possiblement le seul membre de cette institution à l’époque des faits qui sera entendu dans le cadre de ce procès.

En 2017, il accompagne notamment le jeune Mathias, à l’origine des révélations dans ce dossier.

“Vous ne parlez pas entre collègues ?”

Cet ancien éducateur, qui a quitté l’ASE en 2018, assure que jamais Mathias ne lui a jamais confié avoir subi des violences et de mauvais traitements.

Il affirme aussi n’avoir reçu d’alerte en interne.

Pourtant une éducatrice avait signalé des coups de cravache sur un jeune – c’est d’ailleurs le père de ce jeune qui a alerté à l’époque l’ASE – et l’absence d’agrément permettant d’accueillir les jeunes.

“Vous ne communiquiez pas entre éducateurs ?” l’interroge maître Jean Sannier, avocat des parties civiles et de l’association Innocence en danger.

L’ancien éducateur explique le fonctionnement cloisonné de l’ASE du Nord à l’époque : malgré une direction centrale, les huit territoires fonctionnent de manière plutôt autonome, il y a de nombreux dossiers dans le département – lui suit 80 “situations” à l’époque des faits.

D’ailleurs, s’il a changé de métier et quitté l’Aide sociale à l’enfance c’est, dit-il, parce qu’il a fini par comprendre qu’il n’était pas possible d’accompagner les jeunes correctement.

“Les murs de l’ASE du Nord sont-ils tellement épais qu’on n’entend pas les cris des enfants ?” le relance l’avocat.

“Je ne sais pas” répond le témoin.

Le directeur de l’époque dénonce une “omerta”

Maître Myriam Guedj Benayoun, autre avocate des parties civiles, interroge l’ancien éducateur au sujet de déclarations faites par l’ancien président du Conseil Départemental du Nord.

Cet ancien responsable le met en cause, lui et d’autres, dénonçant une omerta dans certains services de la part d’éducateurs.

“C’est de la diffamation” estime l’ancien éducateur.

Complément Jour 3 du procès:77

NDLR: vous noterez la très nette différence de narratif eu égard à l’article de France Bleu. Les journalistes de France Bleu et du Parisien ont-ils assistés au même procès ?

Au procès de Châteauroux, « l’ogre » et le fantôme de l’Aide sociale à l’enfance.

Au troisième jour d’audience, ce sont les auteurs principaux des violences et des brimades faites aux enfants placés qui ont été interrogés.

Bruno C., 61 ans, a la barbe et les cheveux hirsutes du « Saturne dévorant ses enfants » du peintre Goya.

Cet homme de 60 ans, qui purge une peine de 20 ans de réclusion pour avoir violé de manière répétée sa fille cadette à partir de l’âge de 10 ans, partage avec le personnage du tableau l’aura inquiétante des ogres.

Depuis deux jours, il faisait tapisserie dans un coin de la salle d’audience correctionnelle du tribunal de Châteauroux (Indre).

Ce mercredi, c’est son tour de parler. Il se lève, tout heureux.

Dix-neuf personnes, dont lui, venant de l’Indre, la Haute-Vienne et la Creuse, sont soupçonnées d’avoir participé, à des degrés divers, entre 2010 et 2017, à un réseau d’accueil lucratif et illégal d’enfants dépendant de l’Aide sociale à l’enfance (ex Ddass).

Au cours de leurs séjours, de nombreux jeunes ont témoigné de violences et de brimades de la part des instigateurs présumés de ce système : Julien M, ses parents Antoine et Colette, et l’associé de Julien, Bruno C.

Le prévenu qui se présente volontiers comme « un salaud » annonce la couleur par un sourire satisfait :

« À mon avis, ça va vous plaire ! »

Il va tout dire, et plus encore, sur la famille M. dont il charge la barque déjà lourde, et sur le grand absent du procès : l’Aide sociale à l’enfance.

Son ombre a envahi la salle, aussi pesante que la moiteur orageuse qui entre par les fenêtres ouvertes de la salle d’audience.

Aucun représentant de cette institution, chargée de protéger dans chaque département les jeunes en difficulté ou en danger dans leurs familles, n’est cité à comparaître.

Pourtant, les ASE du Nord et de plusieurs autres départements ont envoyé pendant plusieurs années des dizaines d’enfants aux bons soins de la famille M., sans vérifications suffisantes sur leurs agréments (absents ou retirés), et sans tenir compte des signaux d’alarme tirés à plusieurs reprises, par les jeunes eux-mêmes.

« L’ASE nous a envoyés là-bas, elle aurait dû vérifier »

« J’ai signalé plus d’une fois, l’ASE a fait que dalle », résume Mickaël, partie civile au long visage émacié, avec ce léger accent saccadé qui signe son origine : la banlieue parisienne.

Comme son ami Jean-K, il a été envoyé à 14 ans, avec « trois têtes de moins, 20 kg de moins », dans ce bout de campagne par l’ASE du Val-d’Oise.

Il raconte avoir subi étranglements et coups de la part de Julien et Antoine M., point d’orgue d’un chemin de croix dans les foyers de la protection de l’enfance.

L’institution, explique-t-il, l’a laissé à 18 ans « sans diplôme, sans formation, sans logement, sans avenir ».

Le président s’avance au-dessus de son pupitre :

« À qui en voulez-vous le plus ? »

« À l’ASE. Ce sont ces personnes-là qui nous ont envoyés là-bas, qui auraient dû vérifier. »

Il regarde le président :

« Vous avez des enfants ? Vous n’auriez pas vérifié ? »

Une heure plus tard, Bruno C. s’engouffre dans la brèche.

Il en a vu, clame-t-il des huiles supposées de la protection de l’enfance « en Dior et en Chanel » descendre au resto routier de Mouhet près de chez lui dans des berlines estampillées avec des « macarons du département » sur le pare-brise.

Sa logorrhée n’est corroborée ni par le dossier, ni par les témoins, et encore moins par la réalité quotidienne des travailleurs sociaux, mais qu’importe.

« Vous me croyez, vous ne me croyez pas… Moi je n’ai rien à perdre, je suis déjà en taule », balaye le prévenu, qui en remet une louche.

« Tout le monde appelait chez les M. du Nord-Pas-de-Calais ! Comme si c’était un numéro vert. »

La formule décroche quelques sourires dans la salle.

Jean-K. sur le banc des parties civiles mobilise toute son énergie pour contenir sa fureur.

« Violeur de m… Il est dangereux, regarde comme il est en train de les avoir… » s’inquiète-t-il, à mi-voix.

Le jeune homme de 21 ans est descendu de Cergy pour voir trancher la justice, après les dizaines de « tartes dans la gueule » qu’il a encaissées, ou vu encaisser.

Il observe, inquiet, les cartes se brouiller.

« Je me suis laissé entraîner »

Le procès fantôme de l’ASE, entretenu par une partie des parties civiles désireuses de mettre sur la place publique le sujet des manquements de la protection de l’enfance, est soudain pris en otage par l’ogre au fond du box.

Plus tôt lors de son interrogatoire, Bruno C. avait livré les clés de son savoir-faire, face aux contrôleurs du fisc ou de la protection sociale :

« Je les noie sous ma bêtise à moi, la Commedia dell’arte je sais faire. »

Debout devant le micro, il se tourne vers le banc des victimes, se pose en arbitre des témoignages, mais glisse rapidement sur ses propres violences.

Il a maintenu la tête du jeune Mathias pendant que Julien M le frappait et lui urinait dessus ?

« Je me suis laissé entraîner » évacue-t-il.

« Vous êtes en train de distiller des informations destinées à détourner l’attention », s’agace Me Cathy Bouchentouf, l’avocate de l’auteur présumé de la majorité des violences, Julien M.

« Regardez moi », recadre le président.

« Vous vous écoutez parler mais vous ne répondez à rien. »

Bruno C., à entendre son récit, n’était qu’une « petite main », un exécutant, assez stupide pour administrer sans discuter des doses de neuroleptiques deux fois supérieures à la prescription, à des adolescents en souffrance.

L’enquête a aussi démontré qu’il a obtenu de la part de son médecin de famille des ordonnances d’antipsychotiques, pour des enfants que le généraliste n’a jamais ausculté.

Ce dernier, absent pour cause de « vacances à Marrakech » ne s’expliquera jamais à la barre.

Il faut se contenter du haussement d’épaules de Bruno C. :

« Je n’aime pas les médicaments, je n’aime pas les malades, je n’aime pas les maladies. »

Jean-K. fait partie des jeunes intoxiqués par ces médicaments aux effets secondaires lourds, qui ne lui avaient jamais été administrés auparavant.

« Incompréhensible », soupire le jeune homme à la chemise blanche.

Le président lui demande à son tour à qui il en veut le plus, ses tourmenteurs ou à l’ASE.

« À eux ! » se dresse-t-il en pointant du menton les prévenus.

Les pouvoirs publics, pense-t-il, « ont fait une erreur ».

Il grince :

« Mais eux, ce n’était pas une erreur. Eux, c’était gratuit. »

Jour 4 du procès:

“J’étais paralysé, vide” les témoignages poignants des victimes du Nord – Ils attendent de ce procès d’être entendus et reconnus.

Six jeunes passés par l’ASE du Nord ont pris la parole au procès qui se déroule à Châteauroux, ce jeudi 17 octobre.

Ils se sont succédé à la barre, avec une fleur blanche à la main, “pour symboliser l’abandon de l’aide sociale à l’enfance” explique Mathias, premier à témoigner dans l’enceinte de la salle d’audience du tribunal de Châteauroux.

Après les deux victimes venues de région parisienne, six jeunes de l’ASE du Nord ont témoigné dans le cadre du procès du scandale de l’ASE.

Ils sont là depuis lundi, et on assisté à l’ensemble des déclarations des mis en cause.

Des jeunes qui attendent d’être écoutés et compris

Mathias attend de ce procès une forme de reconnaissance, être écouté et compris.

Il témoigne aussi pour que les choses changent pour les autres jeunes placés.

Il revient à la demande du président sur l’une des scènes de violence les plus choquantes évoquées lors de ce procès : cette soirée alcoolisée au cours de laquelle il s’est fait uriner dessus.

“J’étais paralysé, vide, c’était le néant” se rappelle-t-il, en dénonçant les mensonges de Julien M., qui à la barre a contesté une grande partie des violences qui lui sont reprochées.

“Vous avez un mot, un sentiment pour qualifier toutes les horreurs que vous avez vécues là-bas ?” l’interroge l’une de ses avocates, Myriam Guedj Benayoun.

Un long silence suit.

“Je pense que je dirais dégoût” finit par répondre Mathias.

Maeva lui succède. Elle se rappelle, en larmes, de son séjour chez Bruno C.

De cette caravane dans laquelle elle dormait seule, et dans laquelle elle avait peur.

Un jour, elle est giflée violement par Bruno C., au point de chuter.

Sa tête heurte le rebord de la piscine.

Les gendarmes interviennent, et l’emmènent dans un foyer.

“Mon calvaire s’arrête enfin, mais personne ne m’a écoutée là-bas” dit-elle.

Face aux actes de violence récurrents de Julien M., Damien s’interroge :

“Je pense que c’était un besoin. Je me suis même demandé s’il avait lui-même subi des violences, et qu’il se vengeait”.

Angelina, elle, livre un témoignage difficile et déchirant.

Elle se souvient que chez Bruno C., les filles avaient interdiction de porter des sous-vêtements.

“Non pas parce qu’ils étaient sales, comme il l’a dit [c’est en effet ce qu’a affirmé le mis en cause la veille au tribunal] Il a tout retiré, il a tout jeté” affirme la jeune femme.

Bruno C. serait allé jusqu’à vérifier que les filles ne portaient pas de culottes.

Si elles dit ne pas avoir subies de violences physiques de la part de Julien M., elle a été témoin de celles-ci sur d’autres enfants :

“On étaient petits nous, c’était impossible de se débattre”

Elle se rappelle aussi des insultes de Bruno C. adressées aux filles, il les traitaient par exemple de “grosses”.

Des jeunes qui subissent encore aujourd’hui les conséquences de ce qu’ils ont vécu

Aujourd’hui, Angelina est anorexique; “je n’ai aucune confiance en moi” ajoute la jeune femme, qui détaille les multiples conséquences de ces événements sur sa vie personnelle, encore aujourd’hui : elle ne met plus de robe, ne peut se déshabiller que dans le noir, n’accepte pas son corps.

Les autres jeunes qui sont venus témoigner eux aussi portent encore les stigmates de ces séjours violents dans l’Indre et la Creuse.

Ainsi, Damien a du mal avec les relations sociales, et du mal à sortir de chez lui, même s’il travaille sur lui-même pour son fils de 17 mois.

Maeva, elle aussi, vit reclue chez elle, a beaucoup de mal à dormir tous les soirs, évoque les “cauchemars”, les “sursauts”.

Mathias évoque ses problèmes de mémoire, ses absences; “les relations sociales, c’est devenu tellement dur (…) j’ai un mal-être profond” décrit le jeune homme.

Ses relations avec ses parents, aujourd’hui, se sont apaisées, mais il sait qu’il a besoin d’aide, et a entamé un suivi psychologique très récemment.

Depuis le début du procès, ce lundi 14 octobre, ces jeunes venus du Nord se soutiennent les uns les autres, se prennent dans les bras, s’encouragent à parler.

Après avoir témoigné devant le tribunal, ils se rassemblent pour parler aux journalistes présents.

“Ça fait du bien” répond Angelina lorsqu’on lui demande ce qu’elle ressent après avoir pris la parole et avoir été écoutée.

Le fait de ne pas être seule, d’être entouré d’autres jeunes qui ont vécu la même chose, c’est pour elle très important.

Jour 5 du procès, ne manque plus que les verdicts:

Dans le procès des jeunes de l’ASE du Nord maltraités dans l’Indre, la Creuse et la Haute-Vienne, la procureure de Châteauroux vient de faire ses réquisitions, ce vendredi 18 octobre.

Elle a requis sept ans d’emprisonnement pour les deux principaux mis en cause dans cette affaire.

Les verdicts seront prononcés le 18 décembre,

On peut regretter beaucoup de choses à l’issue d’une procédure judiciaire (…)

On met le projecteur sur la Justice, sur l’Aide sociale à l’enfance (…) il y a des dysfonctionnements qui soulèvent des interrogations que je partage.

C’est ainsi que la procureure de la République de Châteauroux a entamé son réquisitoire, ce vendredi matin, après une semaine de débats dans l’affaire du scandale de l’ASE du Nord.

Dix-huit personnes sont jugées pour avoir accueilli sans agréments des jeunes de l’ASE, et pour ne pas avoir déclaré les revenus issus de cet accueil.

Certains prévenus sont également poursuivis pour des violences, et l’administration de médicaments alors que ça n’était pas indiqué, ou alors pas dans les dosages recommandés.

“Il y a une crise systémique de la protection de l’enfance, mais ça n’est pas le procès de l’Aide sociale à l’enfance, et les dysfonctionnements ne doivent en aucun cas diluer la responsabilité pénale des 18 prévenus” a poursuivi la représentante du ministère public.

Sept ans de prison et 20.000 euros d’amende demandés

La procureure a requis ce vendredi les mêmes peines pour les deux principaux accusés, Bruno C. et Julien M., en estimant que ce dernier a joué un rôle central dans le réseau mis en place pour accueillir les enfants.

Elle a demandé sept ans de prison, avec mandat de dépôt, 20.000 euros d’amende, l’interdiction définitive d’exercer une activité en lien avec des mineurs ou des personnes vulnérables, ainsi que cinq ans d’inéligibilité.

Il s’agit là de réquisitions, et non du jugement, qui devrait être mis en délibéré à l’issue de cette semaine de procès.

Maître Jean Sannier, avocat des parties civiles, est satisfait des demandes formulées par la procureur de la République.

“Il y a plusieurs choses qui sont importantes à mon sens, la première c’est qu’il y ait un mandat de dépôt contre Julien M. et Bruno C.; ça me paraît extrêmement important parce que c’est sept années d’attente pour les enfants, et c’est précisément sept années qui ont été requises contre chacun d’entre eux (…) Ce sont des réquisitions qui sont à la hauteur de ce qui s’est passé” estime l’avocat.

Du côté de la défense, Alban Briziou, avocat de Bruno C., n’est pas d’accord avec ces réquisitions :

“Je pense qu’elles sont un peu sévères. Les faits eux-mêmes sont sévères, mais il reconnaissait les faits, je pense qu’il était sincère. Ce qui, aujourd’hui, pèse, c’est son profil. C’est sa personnalité. C’est quelqu’un qui est déjà en prison pour d’autres peines, et c’est son casier judiciaire, malheureusement, qui va faire la différence. Moi j’aurai pense, logiquement, qu’il soit en-deçà des sept ans. Une réquisition autour de cinq ans me semblait juste”. Alban Briziou prévient : en cas de peine prononcée au dessus de cinq ans, il pense faire appel.

Concernant les autres mis en cause, un an de prison et 50.000 euros d’amende ont été requis contre les parents de Julien M., Colette et Antoine, présentés eux aussi comme des têtes pensantes dans ce réseaux.  Pour les familles d’accueil recrutées, qui ne déclaraient pas l’argent, et qui n’avaient pas d’agrément pour accueillir les jeunes, les peines demandées varient en fonction de leur situation.

Cela va de 4 mois à deux ans de prison (avec sursis simple la plupart du temps), et de 750 euros à 8.000 euros d’amende.

Un médecin témoin absent au procès…car en vacances à Marrakech

La procureur de la République a par ailleurs demandé une amende de 3.700 euros à l’encontre d’une médecin de l’Indre, témoin dans ce dossier, qui ne s’est pas présenté au tribunal.

Il a indiqué au tribunal préférer partir en vacances à Marrakech.

Ce médecin aurait délivré des médicaments placés sur liste rouge sans même avoir vu les enfants.

La décision du tribunal a été mise en délibéré, elle sera rendue en 18 décembre.

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