Ile-de-France | La prostitution des mineures

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Elles ne se rendent pas compte de ce qu’elles font
Alors qu’une influenceuse a été condamnée pour avoir prostitué une ado, Christophe Molmy, patron de la brigade de protection des mineurs (BPM) de Paris, estime que l’avènement des réseaux sociaux a changé la face de la prostitution des mineures, qui explose depuis dix ans en région parisienne.

De 7 000 à 10 000 mineures se prostitueraient en France — elles seraient même 15 000 selon une récente étude — et 88 % d’entre elles ont entre 14 et 17 ans.

Christophe Molmy, trente ans de police judiciaire (PJ), est aujourd’hui à la tête de la brigade de protection des mineurs (BPM) de la PJ de Paris.

Face à la recrudescence des cas de proxénétisme des mineurs, il a lancé en 2021 le groupe « prox », spécialisé dans les enquêtes sur le proxénétisme des mineures.

Une première en France.

Pourquoi avoir créé un groupe spécialisé dans le proxénétisme des mineurs ?

CHRISTOPHE MOLMY :

En 2013, le service a été saisi d’une quinzaine d’affaires de proxénétisme des mineurs environ.

En 2022, nous en avons pris… 122. Ces affaires se sont multipliées par dix en dix ans, sachant que nous ne sommes saisis que des seuls dossiers dans Paris intra-muros et en petite couronne, et quand les victimes ont moins de 15 ans.

On estime qu’il y a aujourd’hui entre 7 000 et 10 000 jeunes filles qui se prostituent en France, dont une grosse partie en région parisienne.

Mais c’est probablement sous-estimé. Il nous est paru évident de confier ces dossiers à des spécialistes.

Comment expliquer une telle explosion ?

Il y a les explications contextuelles, d’abord.

La consommation du porno sur Internet s’est banalisée.

La génération actuelle s’y plonge dès 8 ans.

À 13/14 ans, quasiment tous les garçons et une grande partie des filles y ont eu accès.

L’ambiance générale est à l’hypersexualisation des relations entre ados.

Les jeunes se filment souvent pendant les actes sexuels

Le fait d’envoyer des nudes (photos dénudées), c’est devenu un mode de séduction tout à fait banal.

On voit poindre des comportements sadomasos à 14 ou 15 ans, alors que c’était jusque-là plutôt le fait d’hommes et de femmes plus matures.

Le passage à l’acte sexuel s’est aussi rajeuni : il est aux alentours de 12 à 13 ans aujourd’hui.

Tout cela crée un contexte qui surmultiplie le risque de prostitution.

La prostitution ne fait plus peur ?

Aujourd’hui, des femmes comme Nabilla (qui conteste s’être prostituée) ou Zahia sont devenues des icônes.

Certaines jeunes filles se leurrent en estimant que ces femmes ont réussi leur vie.

Qu’elles ne sont pas des prostituées, mais des escorts.

La prostitution s’est glamourisée.

Il y a de surcroît une forme d’ubérisation du sexe, qui s’explique notamment par l’arrivée des applications de rencontre.

On consomme du sexe plus facilement.

Dans ma génération — j’ai plus de 50 ans —, les garçons qui allaient voir les prostituées rasaient les murs.

C’était un peu tabou.

Maintenant, les gamins ne cachent pas qu’ils vont voir des escorts.

À cela, s’ajoute une forme de promotion de la prostitution sur les réseaux sociaux.

Les jeunes escorts étalent des billets et des accessoires de marque, pour montrer qu’elles ont gagné beaucoup d’argent, en très peu de temps.

Elles aiguisent les appétits de certaines jeunes filles.

La prostitution est dédramatisée.

L’image de soi est préservée.

Elles ne travaillent pas au bois de Boulogne ou dans un Formule 1 miteux, mais dans des chambres d’hôte ou des Airbnb.

Quelle influence les réseaux sociaux jouent sur le proxénétisme ?

Les invitations à se prostituer se multiplient sur les réseaux sociaux.

Soit de la part de jeunes filles qui — au-delà de faire la promotion de ce qu’elles gagnent — vont proposer à d’autres gamines de le faire.

Soit de la part d’hommes qui envoient des annonces, proposant des « packs » aux jeunes candidates à la prostitution.

Ces petits proxénètes — ce sont à 99 % des gamins aussi — proposent aux jeunes filles de bosser avec eux.

En contrepartie, ils trouvent les chambres, les clients, préservatifs, assurent la sécurité, et prennent 50 % des recettes.

Mais la plupart des jeunes filles travaillent sans proxénète.

Car les réseaux sociaux leur permettent de travailler toute seule.

Elles passent leur annonce, et vont chez le client, ou louent une chambre dans un coin.

Dans quel état sont ces jeunes prostituées quand vous les interrogez ?

Les jeunes proxénètes expliquent qu’ils n’ont pas besoin de forcer ces jeunes filles, car il y en a énormément sur les réseaux sociaux qui n’attendent que ça.

Et c’est plutôt vrai : des jeunes filles vraiment forcées, frappées, torturées, il y en a très peu.

Ça peut arriver, mais c’est rare, avec des profils de jeunes filles particulièrement vulnérables, et des garçons — ou des jeunes filles — qui profitent d’elles.

La plupart des jeunes filles qui se prostituent savent ce qu’elles font.

C’est un choix.

La majorité de ces jeunes filles ne comprennent pas pourquoi on les ennuie, elles disent : Je fais ce que je veux de mon corps.

Et elles sont plutôt rétives.

Beaucoup d’entre elles ont déposé plainte, non pas parce qu’elles reprochent aux garçons de les avoir forcées à se prostituer, mais parce qu’on leur a piqué du fric ou un portable…

Une partie de cette génération va le payer.

Elles ne se rendent pas compte de ce qu’elles font.

Vous avez des jeunes filles qui font une ou deux passes par semaine ou même par mois, et d’autres qui font jusqu’à 30 clients par jour.

Quel est le profil de ces jeunes prostituées et des proxénètes ?

On parle souvent de proxénétisme de cités.

Mais c’est un terme que je réfute.

Certes, les proxénètes sont essentiellement des garçons de cités, connus pour des petits délits.

Mais les jeunes filles ne sont pas toutes forcément issues de cités.

Il y en a aussi beaucoup qui viennent du fin fond de la France ou des beaux quartiers parisiens, et qui vont très bien, mais qui ont fait une mauvaise rencontre.

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