Belgique | Inquiétude face à la montée en puissance de l’exploitation sexuelle des mineurs

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Le covid a précipité les jeunes vers la prostitution
Le covid a précipité les jeunes vers la prostitution : inquiétude en Belgique où l’exploitation sexuelle des mineurs monte en puissance. “On risque de créer des bombes à retardement”, le commissaire Eric Garbar appelle à une meilleure prise en charge des victimes mineures d’exploitation sexuelle.
Le témoignage glaçant d’une mère de famille nous est récemment parvenu.
Sa jeune fille, a été embrigadée, à Bruxelles, par des jeunes de son âge rencontrés en rue, dans un réseau qui s’apparente à un réseau de prostitution.
Après des nuits d’angoisse et des jours sans nouvelles, la jeune ado s’en est finalement sortie.

Pour éviter de trop remuer ces douloureux évènements et d’exposer sa famille à des représailles, la mère de famille préfère ne pas dévoiler publiquement les détails de cette histoire qui s’étale sur plusieurs semaines. Mais ce témoignage nous a interrogé. Est-ce un cas isolé ?

Le commissaire Eric Garbar, chef de service de la cellule de lutte contre la traite des êtres humains, nous décrypte le fonctionnement des réseaux qui exploitent les mineurs en Belgique :

“Ça monte en puissance depuis 2020. Le covid a précipité les jeunes vers la prostitution, volontaire ou subie”, et les réseaux criminels en profitent.

“Nous n’avons pas de base de données qui centralise les victimes en Belgique mais pour l’exploitation sexuelle des mineurs en Belgique nous avons 112 cas signalés en 2022 et 312 en 2023. C’est une hausse 180 % là ou l’exploitation sexuelle de personnes majeures a augmenté de 35 % sur la période, preuve que les mineurs sont de plus en plus ciblés. Pour le seul mois de janvier 2024, nous étions déjà à 29 cas.”

Le recrutement se fait avant tout en ligne.
“Les prédateurs repèrent leur cible sur Tik Tok, Instagram ou Snapchat prioritairement.” Le profile type ? “Des jeunes filles ou jeunes garçons désociabilisés, en décrochage et avec des difficultés à la maison.”
Il y a plusieurs méthodes :
“La séduction peut en être une. Une fois la victime attachée émotionnellement, on lui demande ou impose alors de se prostituer et elle accepte pour ne pas décevoir le “loverboy” qui a une emprise sur elle.”
D’autres groupes passent par la confiance et l’amitié pour faire entrer les victimes sous leurs emprises.
“De la drogue est souvent fournie aux victimes pour les rendre plus dociles mais aussi pour les désinhiber. Pour nous, cette criminalité est très digitalisée, il est difficile de l’enrailler.”
La police fait face à plusieurs types de groupes criminels.
“Les bandes urbaines, comme on en connaît partout à Bruxelles, Anvers Liège Gand ou Charleroi, sont actives dans les stupéfiants. Elles cherchent à diversifier leurs activités notamment avec la prostitution. Dans ces cas, les réseaux de clients sont souvent assez fermés et les victimes de l’exploitation sexuelle sont gardées sous emprise moins de temps.”
Le fait d’avoir peu de clients entraine, pour ces réseaux, une nécessité de renouveler plus souvent les victimes qu’ils leur proposent.
“Il y a aussi les grands réseaux structurés et internationaux qui contrôlent leurs victimes sur de plus longues périodes pouvant aller jusqu’à quelques années, reprend le commissaire. Il y a les réseaux de résidents belges qui exploitent des victimes belges mais aussi des réseaux qui exploitent les mineurs étrangers non accompagnés (Mena). Par exemple, dans le milieu afghan, nous avons des cas de viols collectifs sur des mineurs, surtout des jeunes garçons au sein de leur propre communauté. Des mineurs marocains sont aussi souvent exploités pour la drogue mais les plus frêles peuvent aussi être prostitués, ici aussi, au sein de la communauté.”
Dans les cas des Mena, il est encore plus compliqué de détecter les réseaux.

“D’autant plus que l’organisation pyramidale de la criminalité, s’estompe. On passe à des cellules interdépendantes mais interconnectées. Les groupes criminels organisés se structurent de plus en plus de façon horizontale.”

Et passer par la punition des clients n’est pas si simple selon Eric Garbar :

“Il faut démontrer que le client savait ou avait moyen de savoir que la personne était mineure. À la fin, c’est aux tribunaux de se prononcer.”

L’approche des victimes est très complexe il faut une prise en charge spécialiser.
“Un policier de première ligne qui enchaîne les interventions, a un profil plutôt généraliste. Les mineurs, surtout lorsqu’ils ont été victimes d’intimidations et de violences aussi bien psychologiques que physiques doivent être pris en charge de façon appropriée. Lors du premier contact policier, les réactions peuvent être un repli sur soi, un mutisme ou une envie d’oublier. Les conséquences psychologiques peuvent alors être graves, même plusieurs années après les faits. C’est pourquoi les victimes doivent être prises en charge par des policiers spécialisés en vue d’instaurer un climat de confiance propice au recueil d’éléments probants en vue d’arrêter les auteurs. Cette approche policière doit être couplée à une prise en charge psycho-médicosociale des victimes par des services et/ou ONG spécialisés.” Mais cette forme de criminalité “est moins visible que d’autres comme la drogue ou le terrorisme. Elle mérite pourtant une attention particulière.”
Le commissaire lance donc un appel à la prise de conscience.
Que faire alors ?
“Nous prônons une approche multidisciplinaire. C’est pourquoi la Police doit développer et entretenir des contacts étroits avec les ONG spécialisées, les travailleurs sociaux, les associations, le milieu médical, etc. Si on veut donner une chance aux victimes d’être reconnues comme telles, c’est la seule façon d’y arriver.”
Pour le commissaire, le constat ne se cantonne pas qu’à la Belgique.

“Dans tout l’Europe l’exploitation des mineurs est sous-analysée, sous-documentée et sous-investiguée. À côté de l’exploitation sexuelle il y a aussi la criminalité forcée. Il y a des cas d’exploitation par des réseaux de trafiquants de drogue ou de vols organisés. Tant que l’on considérera ces mineurs uniquement comme des délinquants, et pas comme des victimes, on renforcera leur rejet de notre société et on créera des bombes à retardement pour quand ils grandiront. Une fois à l’âge adulte, faute d’avoir été pris en charge et d’avoir bénéficié d’une réelle protection, ces jeunes risquent d’être récupérés par des groupes criminels violents ou attirés par des fondamentalistes religieux. Ceux qui les exploitent, quant à eux, restent hors des radars de la chaîne pénale. C’est pourquoi il est urgent d’agir sur ceux qui exploitent ces jeunes.”

Comme le commissaire Eric Garbar, Child focus, association qui lutte notamment contre l’exploitation sexuelle des mineurs, note plusieurs profils de victimes.
Il y a les mineurs étrangers non accompagnés et les jeunes souvent placés en institution.

“Les réseaux n’hésitent pas à regarder aux sorties des institutions spécialisées pour mineurs afin de repérer des proies puis à les joindre sur les réseaux sociaux,”

développe Stephan Smets, Directeur de communication chez Child Focus. Mais plus récemment, les réseaux de proxénètes ont élargi leurs cibles.

“On a des jeunes, parfois même issus de milieux bourgeois, un peu délaissé, en quête d’attention, et qui la trouve auprès de ses réseaux, souvent via la figure d’un “amoureux.” Il est alors très difficile pour les proches d’agir. Le jeune n’est pas conscient d’être victime et exploité. Elle obtient l’attention qu’elle cherche avec son “amoureux” en échange de quelques services. Les réseaux ont souvent un jeune homme dans les 17 -18 ans qui est chargé de séduire des filles de 11 à 16 ans.”

Et les “services” peuvent rapporter gros aux réseaux de proxénètes :

“ils font facilement 10 000 euros par mois avec une victime. On peut parler de 10, 15 voire 20 passes par jour.”

Prévention par l’ONG Child Focus

Les victimes sont souvent jeunes (entre 12 et 18 ans).

Elles ont généralement rencontré très soudainement de nouveaux “amis” voire “un amoureux” qui prend beaucoup de place dans leurs vies et adopte un comportement possessif lors d’échanges téléphoniques ou sur les réseaux sociaux.

La situation peut alors déteindre sur le comportement de la victime : elle peut s’emporter plus rapidement, se mettre à se disputer avec ses parents, consommer de la drogue ou de l’alcool, se renfermer.

Les victimes ont aussi tendance à fuguer.

L’apparence physique peut aussi changer avec un style vestimentaire plus “provocateur” ou avec des pièces d’habillement onéreuses.

Le témoignage que nous avons recueilli et qui est à l’origine de ce dossier coche pratiquement toutes ces cases.

Toutefois Child Focus met en garde.
Certains de ces comportements peuvent simplement être liés à l’adolescence.

“Ce n’est pas parce que vous reconnaissez l’un de ces signaux que votre ami(e) est forcément la victime d’un proxénète d’adolescents ! L’inverse est également possible : parfois, la victime ne présente pas une seule de ces caractéristiques. En cas de doute, la meilleure chose à faire c’est de nous contacter. On peut faire un accompagnement très poussé. Il y a même la possibilité d’écarter complètement le jeune du réseau grâce à des institutions qui le coupent de tout contact avec eux. Il y a trois grosses institutions de la sorte en Belgique.”

À noter que l’immense majorité des victimes sont des filles et que dans 30 % des dossiers, le mineur séjournait dans une institution pour jeunes.

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