Viols d’enfants en ligne : « L’homme derrière l’écran était dégoûtant »

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« À chaque fois que je vois des étrangers, j’ai le cœur qui bat fort et qui s’emballe »
Illustration |©CAMELEON - Plusieurs milliers d’enfants philippins sont exploités par leurs parents pour assouvir les pulsions criminelles de pédophiles occidentaux, en échange de transactions financières. Jona a été agressée et violée jusqu’à ses 11 ans.
ÉPISODE 2 : Les enfants philippins sont les premières victimes de pédocriminels qui commandent des violences sexuelles en échange d’argent. Témoignage d’une de ces victimes.

Le tourisme sexuel impliquant des enfants se fait principalement en ligne dorénavant. La pandémie de Covid-19 a accéléré cette cyber-pédocriminalité. Les commandes de viols d’enfants et d’agressions sexuelles sur mineurs en direct par internet se sont développées de manière inquiétante, d’après les constations des autorités judiciaires du monde entier et des associations.

Le premier volet de notre enquête au sujet de ces viols en streaming était consacré aux 300 Français suspectés par la justice de commander ces shows criminels, avec la complicité des familles de ces enfants.

« Il s’allongeait et jouait avec son sexe »

Dans son prolongement, nous vous dévoilons le sort qui était réservé à Jona*, jeune fille de 14 ans ayant subi des violences sexuelles durant quatre ans, jusqu’à ses 11 ans. « À chaque fois que je parlais à des étrangers, j’étais nue, je ne sais pas pourquoi », rapporte-t-elle par l’intermédiaire d’une psychologue et d’une assistante sociale de l’association Caméléon, qui lutte depuis 25 ans contre l’exploitation sexuelle des enfants philippins.

« Très souvent » elle était obligée par sa mère de s’exhiber devant la webcam. « Des fois, j’essayais de me couvrir avec mon drap, mais ma maman me tapait et l’enlevait. Alors je me cachais les yeux pour ne pas voir ce qu’il faisait », relate l’adolescente.

L’homme derrière l’écran me disait de retirer mon short et mon tee-shirt. Il était dégoûtant, il s’allongeait et jouait avec son sexe. Je l’ai vu plusieurs fois. Je me souviens que l’homme devant l’écran a dit ‘waouh !’

–  Jona, Philippine, victime de violences sexuelles.
Jona se souvient qu’il s’agissait d’étrangers, parce qu’« ils étaient blancs et grands ». Avant la pandémie de coronavirus, ces « hommes blancs » venaient au domicile de cette enfant. À trois reprises, « ma mère m’a demandé d’aller dans ma chambre avec les étrangers ; ils me donnaient à manger puis je m’endormais ». Jona a vraisemblablement été droguée.
Aux Philippines, ce sont des milliers d’enfants pauvres qui seraient abusés pour satisfaire les pulsions sexuelles de quelques criminels, souvent violés par leurs propres parents, en échange de transactions financières.

« On peut imaginer que ce sont des milliers d’enfants concernés. Parce que si pour la toute petite province de Bulacain [au nord de Manille, NDLR] dans laquelle nous avons enquêté, la fondation Preda a recensé 112 enfants en deux ans, on imagine que le multiplicateur est supérieur à 10 pour l’ensemble du pays »

, explique Jean-Baptiste Renaud, réalisateur du film diffusé sur Arte.fr Viols d’enfants en ligne, l’enfer derrière l’écran.

Il n’existe aucune statistique officielle de la part du gouvernement sur ce phénomène de viol en streaming. Pour ce journaliste, « tout chiffre serait forcément sous-estimé ».

35 à 100 dollars le quart d’heure

Les actes de tortures sont facturés 35 à 100 dollars le quart d’heure. Parfois bien plus. Les prix varient en fonction des atrocités demandées par le client. Cela peut aller jusqu’à la mise à mort de l’enfant qui « coûte entre 5 000 et 9 000 dollars », selon Laurence Ligier, directrice et fondatrice de l’association Caméléon.

« Ce sont souvent des familles pauvres qui trouvent plus facile de mettre un enfant devant une webcam que d’aller se courber le dos à planter du riz ou de travailler dans les champs de canne à sucre », explique Laurence Ligier. Le salaire moyen de ce pays d’Asie n’excède pas les 300 dollars par mois.

Le réalisateur Jean-Baptiste Renaud a pu constater qu’il s’agissait de « petits réseaux familiaux, impliquant parfois les voisins. Ce ne sont pas de grands syndicats du crime organisé qui sont derrière tout cela ».

D’après le journaliste, « ces réseaux sont plutôt urbains, parce que pour récupérer l’argent avec Western union, ça se fait plus facilement en ville ».

Pour « agrandir leur maison »

L’équipe de Jean-Baptiste Renaud a pu recueillir le témoignage notamment d’une jeune fille de 11 ans. Ses parents lui imposaient ces crimes pour « agrandir leur maison », d’après les témoignages du voisinage et du maire de la ville. « Quand ils sont arrivés de Manille, ils vivaient dans une cabane et puis ils ont pu s’acheter cette maison. Quand on est devant, on pense immédiatement au nombre de lives shows que les enfants ont dû faire pour que la famille arrive à se la payer. Cette famille semble s’être enrichie rapidement », rapporte le réalisateur.

Jona quant à elle, ne sait pas combien d’argent touchait sa mère, ni comment, mais elle sait que ses « prestations » étaient rémunérées. Pour certaines victimes, le nombre de transactions financières glace le sang.

« Sur plusieurs années, on a plusieurs centaines de virements, avec un seul commanditaire », confie Ludivine Piron membre d’Ecpat France, association qui milite contre l’exploitation sexuelle des enfants. Et il y a généralement plusieurs clients pour un seul enfant.

« Les filles ont l’impression d’aider la famille. Elles sont manipulées par leurs proches qui leur disent : ‘Tu peux bien le faire, c’est pour notre maison’. C’est quelque chose qui revient tout le temps »

, assure Laurence Ligier.

Illustration | ©Slugnews – Jean-Baptiste Renaud – Cette maison aux Philippines a pu être embellie grâce à l’argent tiré de l’exploitation sexuelle d’une enfant des propriétaires

 

Les Philippines sont devenues l’épicentre mondial du commerce de pornographie infantile. D’après le Centre de ressource des femmes (CWR), environ sept millions d’enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année dans ce pays de 114 millions d’habitants. Une femme ou un enfant sont violés toutes les 53 minutes.

Jona a aussi été victime d’inceste par son demi-frère de 20 ans, et de maltraitance physique par sa mère et sa grand-mère. La jeune fille a déposé plainte et est maintenant menacée de mort par ces dernières.

« Elle était bonne élève petite, mais sa mère l’a forcée à travailler dans les champs et à arrêter l’école pendant un certain temps », confie Laurence Ligier de Caméléon.

Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), on dénombre aux Philippines près de trois millions d’enfants âgés de 5 à 15 ans qui ne sont pas scolarisés. « Il est d’autant plus urgent d’agir pour protéger et respecter les enfants que 31% de la population est âgée de moins de 14 ans », alerte l’association Caméléon.

Jona est depuis 2019 prise en charge par cette association dans le centre de Silay, dans la province de Negros, accueillie dans l’une des trois maisons d’accueil construites pour protéger ces enfants. « Nous l’aidons comme toutes les autres petites et jeunes filles âgées de 5 à 21 ans, à soigner ses traumatismes et à se reconstruire », explique Laurence Ligier.

La jeune fille bénéficie d’un suivi psychologique pour soigner ses traumatismes. « À chaque fois que je vois des étrangers, j’ai le cœur qui bat fort et qui s’emballe », confie l’adolescente qui souffre de stress post-traumatique.

Jona a repris le chemin de l’école et devrait pouvoir suivre des études supérieures pour un jour, elle espère, devenir policière et aider les enfants victimes comme elle.

*Le prénom a été modifié

Signez le manifeste de Caméléon pour protéger les enfants contre la cyberpédocriminalité

 

ENQUÊTE | Épisode 1 : 

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