France | L’inquiétante banalisation de la prostitution des mineurs

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Sortir de cette exploitation sexuelle est extrêmement difficile
Une note de police confidentielle analyse l’essor sur tout le territoire du « proxénétisme de proximité », dont la moitié des victimes sont mineures et les auteurs de plus en plus organisés.

C’est une note confidentielle du Sirasco (Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée) et de l’OCRTEH (office central de répression de la traite des êtres humains) dont les constats sont glaçants.

Consacré à la prostitution des mineurs, ce document de trois pages, que le Parisien a pu consulter, décrypte le phénomène croissant du « proxénétisme de proximité ».

Plus de la moitié de ses victimes sont mineures ; les autres « de très jeunes majeures » et « les auteurs et les victimes sont quasi exclusivement français », indique-t-il, en expliquant qu’il touche désormais « l’ensemble du territoire national ».

« L’exploitation sexuelle de ces profils est favorisée par la précarisation, la digitalisation et l’attrait que peut représenter l’activité de prostitution », est-il analysé.

La note rappelle que le chiffre précis des mineurs victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle (TEHES), et plus largement de mineurs en situation de prostitution en France, « est inconnu ».

Il est estimé à 15 000 par les associations ; à 20 000 par les auteurs d’un récent livre d’enquête très fouillé sur le sujet qui appelle à « un sursaut de la société » face à ce fléau (« À cœurs perdus. Enquête sur la prostitution des mineures », Nadège Hubert et Claude Ardid. Mareuil Éditions. Mars 2025).

Vu de l’OCRTEH, qui recense les données des services d’enquête de police et de gendarmerie sur tout le territoire, celles-ci attestent d’une montée en flèche des affaires de proxénétisme de proximité – qualifiées au début des années 2010 de « proxénétisme de cité ».

Elles sont passées de 21 en 2015 à 226 en 2024, où elles ont concerné 272 victimes mineures et 189 victimes majeures.

L’exploitation sexuelle des mineurs par des « petits réseaux ancrés localement » tend donc à supplanter celle opérée par des réseaux criminels internationaux.

Des victimes « issues de tous les milieux sociaux »

S’appuyant sur l’analyse de ces affaires, le document dépeint « un phénomène majoritairement français ».

87 % des victimes mineures sont de nationalité française et elles sont « de plus en plus jeunes, certaines étant âgées de 12 ans, même si la majorité a plus de 15 ans ».

« Souvent victimes de violences dans l’enfance non judiciarisées, en rupture familiale, déscolarisées, en fugue ou placées en foyer, ces victimes perçoivent l’argent gagné par la prostitution comme un moyen de subsistance, d’indépendance ou de réussite sociale », décrit-il.

Elles sont cependant « issues de tous les milieux sociaux », est-il souligné.

Du côté des auteurs, la majorité des proxénètes sont « de jeunes hommes, parfois mineurs, déjà connus des services de police, notamment pour des faits de trafic de stupéfiants. »

Ils perçoivent le proxénétisme comme « un moyen de diversifier leur activité criminelle » et se lancent « sans méthode ni logistique définie ». La note relève toutefois une féminisation des profils, « d’anciennes victimes devenant proxénètes ou recruteuses, souvent en vue de sortir de l’exploitation ».

L’aspect d’opportunité et improvisé cède cependant le pas à une organisation croissante, analyse le document, qui souligne que « ces réseaux évoluent sans cesse » et que « certains cherchent à se professionnaliser, en se rapprochant du mode de fonctionnement des réseaux internationaux ».

Ces petites structures qui agissent sur tout le territoire, y compris en zones rurales, utilisent par exemple le mode opératoire du sexe tour, « qui consiste à déplacer très souvent les victimes de ville en ville ».

Les proxénètes s’associent parfois ponctuellement avec d’autres ou certains se spécialisent (réservation de lieux de prostitution, mise en ligne des annonces, sécurité).

Les proxénètes utilisent des outils numériques de plus en plus nombreux

Si l’essor des réseaux sociaux joue un rôle clé, en permettant notamment la prise de contact en ligne entre victimes et proxénètes, « une grande partie des recrutements se fait par le biais de proches, de groupes d’amis, dans des foyers ou au sein des quartiers », souligne la note.

Quant aux clients, « leur recherche est principalement organisée par des annonces diffusées sur des sites qui, sous couvert d’escorting, proposent en réalité des prestations prostitutionnelles. » Sites de chat en ligne, applications de rencontre, réseaux sociaux…

La liste des outils numériques utilisés par les proxénètes pour gérer annonces, tarifs et emplois du temps « ne cesse de se renouveler ».

L’aspect protéiforme, « mobile et flexible » de ce phénomène rend certaines situations « particulièrement difficiles à détecter » par les services d’enquête, admet la note.

L’identification des victimes et l’obtention de témoignages s’avèrent complexes puisque beaucoup ne se considèrent pas comme telles. Beaucoup refusent le terme de « prostituée » et « se présentent plutôt comme escort, michetonneuse ou encore sugar baby (une jeune fille accepte des relations sexuelles avec un homme plus âgé contre des biens matériels).

La note souligne « la forte emprise des proxénètes », dont les comportements fluctuants vont de marques d’affection à la violence extrême. « Des violences (physiques, psychologiques, sexuelles) sont quasi systématiquement rapportées par les victimes mineures », expose-t-elle.

Elle évoque des cas de séquestration, de « tests sexuels », soit en réalité des viols, parfois collectifs, infligés avant la prostitution. Elle évoque aussi l’usage de drogues et l’impact de la pression exercée par le groupe.

Elle cite la technique des loverboys, qui « s’appuient sur des sentiments amoureux (réels ou simulés) pour, petit à petit, entraîner leurs proies vers la prostitution. »

Sortir de cette exploitation sexuelle est extrêmement difficile pour ces jeunes victimes, insiste enfin ce document.

« Les traumatismes physiques et psychologiques (dissociation) sont particulièrement marqués chez des jeunes encore en construction.

La sortie de l’emprise des proxénètes, parfois seuls points de repère affectifs de la victime, est particulièrement complexe. »

Il parle de victimes « invisibilisées et traumatisées ».

 

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