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La Miviludes, privée du quart de ses effectifs, quittera le 1er janvier prochain le giron de Matignon pour intégrer le ministère de l’Intérieur.
Malgré le semblant de garanties données par l’exécutif, l’action anti-sectes a du plomb dans l’aile
La publication de cet article a semble-t-il fait bouger quelques lignes.
Sollicité à plusieurs reprises par Marianne, le gouvernement nous a adressé les précisions suivantes dans la soirée qui a suivi sa mise en ligne, ce vendredi : le site internet de la Miviludes fera l’objet d’une « remise à niveau technique en 2020 » qui ne remet pas en cause son existence. Dont acte.
Au centre de toutes les inquiétudes, les archives de la Mission « seront transférées en toute sécurité au SG-CIPDR [Secrétariat général du Comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation, NDLR]. »
En résumé, « il n’est évidemment pas question de détruire les archives ». Cette remarque n’avait cependant rien d’évident selon plusieurs témoins des réunions préparatoires au déménagement de la Miviludes, pendant lesquelles la « destruction des archives » a été évoquée pour pallier le manque d’espace.
Il en va de même pour les locaux exigus originellement accordés à la Miviludes : « Il n’a jamais été question de limiter à ce point l’espace dévolu à la Miviludes, assure le service communication de Matignon. Celle-ci disposera de l’espace suffisant pour que les agents puissent travailler, recevoir les personnes et entreposer les archives. L’identification des surfaces et locaux concernés est en cours et les décisions sur ce point seront prises dans les semaines à venir. » Des éléments plutôt rassurants aux airs de rétropédalage… Affaire à suivre.
Au sein de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), mais aussi dans les milieux associatifs, au Sénat et à l’Assemblée nationale, on s’interroge : pourquoi supprimer un organisme qui, en dix-huit ans d’existence, a prouvé son efficacité malgré un budget n’excédant pas les 500.000 euros ?
Pourquoi réduire son personnel déjà peu étoffé pour le faire passer de 14 à 9 membres, alors que les 3 000 signalements de mouvements sectaires recensés l’année dernière traduisent une hausse de 23 % par rapport à 2017 ? « Personne ne comprend le sens de cette dissolution de fait », glisse à Marianne un proche de la Miviludes.
« Chaque semaine, une église évangélique ouvre ses portes en France, avec des pasteurs autoproclamés qui prétendent ‘‘guérir l’homosexualité’’ ! La Scientologie vient d’investir 33 millions d’euros dans un siège social de 7.000 mètres carrés à Saint-Denis et le complotisme prolifère, porté par des mouvements sectaires très actifs sur internet », rappelle notre interlocuteur.
En bref, la Miviludes est plus indispensable que jamais. Son existence paraît néanmoins sérieusement compromise.
Ces dernières semaines, une série de réunions au ministère de l’Intérieur – où sera versée cette Miviludes diminuée, a permis d’en savoir plus sur son avenir : « Personne n’a prévu quoi que ce soit pour notre déménagement », souffle, dépité, un collaborateur qui, à l’instar de ses collègues, ne se sent pas le « bienvenu » place Beauvau.
Difficile de soutenir le contraire quand seulement deux bureaux, destinés à accueillir quatre fonctionnaires chacun, plus celui du responsable, ainsi qu’une salle de réunion, constitueront leur nouvel espace de travail. « C’est la fin de la confidentialité pour les victimes et leurs familles », constate-t-on en interne, où l’on parle volontiers de « mise au placard ». Le problème n’est pas qu’une question de superficie des locaux :
« Jusqu’ici, les victimes des sectes venaient en toute confiance, on pouvait s’isoler pour échanger, et ils n’avaient pas à remplir toutes les procédures d’identification propres au ministère de l’Intérieur. La nouvelle organisation va en décourager beaucoup. »
Site Internet bientôt supprimé
Plus étonnant encore, le site internet de la Miviludes serait également menacé. « Sans site dédié, plus de visibilité », résume un proche de cette structure. « Sur Google, la Miviludes est très bien référencée. La plupart des victimes nous contactent par ce biais », témoigne un proche de l’institution. Mais la nouvelle qui a créé le plus de remous est la destruction programmée de vingt-trois années d’archives.
Une documentation ô combien précieuse, ultra-sensible et utile par exemple aux policiers spécialisés dans la lutte antisecte : « Pour nous, c’est une source irremplaçable qui concentre un nombre colossal d’informations », témoigne l’un d’eux. « Quand je suis amené à enquêter sur un individu ou une organisation, je commence par examiner les archives de la Miviludes. On perd des décennies de travail, c’est tout simplement honteux. »
À l’heure où l’Église de scientologie s’implante de plus en plus fortement en France, il est en effet nécessaire de plonger dans ces archives : « Nous avons les premiers textes de Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie, qui disent en substance que ‘‘les handicapés sont un poids pour la société’’ et qu’‘‘ils ne sont pas indispensables’’. Nous avons aussi les questionnaires autrefois soumis aux nouveaux adeptes, leur demandant s’ils avaient ‘‘fréquenté quelqu’un d’une autre race ou d’une race inférieure’’ ! Ce sont les racines de la Scientologie. Mais on efface l’histoire », s’indigne un proche de la Miviludes. « On a un savoir-faire, mais pas de faire-savoir », regrette-t-il.
S’il est en effet fréquent que le ministère de l’Intérieur communique sur les attentats terroristes déjoués grâce à l’action de ses services, rien n’est dit sur les massacres évités grâce à la Miviludes. « En 2012, on avait repéré un certain nombre de mouvements apocalyptiques, convaincus de l’imminence de la fin du monde, prêts à perpétrer des crimes similaires aux suicides collectifs de l’ordre du Temple solaire, entre 1994 et 1997 », affirme notre source.
Le drame du Vercors -ces seize Français immolés par le feu, en 1995, sur un total de 74 victimes dénombrées en Suisse et au Canada, avait poussé le gouvernement à créer en 1997 la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, devenue Miviludes en 2002.
“Infiltration au sein de l’Etat”
Chez les acteurs de ce combat, la question revient avec insistance : « Pourquoi dissoudre la Miviludes ? » Selon un policier qui travaille sur le sujet, « il y a probablement une infiltration au sein de l’État. » L’anthroposophie est par exemple présentée comme bien introduite. Né au début du XXe siècle et riche à milliards, ce mouvement international aux relents mystico-scientifiques était mentionné en 1999 dans un rapport parlementaire sur « les sectes et l’argent. »
Fin connaisseur de cette mouvance à laquelle l’émission Complément d’Enquête vient de consacrer un reportage, le journaliste Olivier Hertel explique à Marianne :
« L’anthroposophie dispose de moyens importants et de relais bien placés. Elle est présente dans l’éducation avec ses écoles et dans de nombreux secteurs de l’économie, y compris la santé, où il vend un médicament à base de gui dans le traitement du cancer. »
Bien qu’aucune étude scientifique sérieuse n’ait jamais prouvé l’efficacité du produit, la Miviludes avait été condamnée en avril 2018 par le tribunal administratif de Paris pour avoir mentionné dans son guide « santé et risques sectaires » la « médecine anthroposophique », évoquant sa « dangerosité potentielle » et des docteurs qui engrangent des « revenus très confortables. » Si la Miviludes entendait faire appel, celle-ci avait été stoppée dans son élan.
En février dernier, Serge Blisko, ex-président de la Miviludes, admettait dans un courrier électronique : « Sur les conseils du cabinet du Premier ministre [Édouard Philippe, NDLR], nous devons rester en stand-by sur cette question. »
Seule certitude : alors que les associations antisectes voient leurs subventions rognées, voire supprimées, force est de constater que cette problématique ne fait plus partie des priorités gouvernementales. « Réduire le nombre de fonctionnaires » est ainsi la seule raison brandie par le service de communication de Matignon, qui n’a pas répondu aux questions de Marianne.
Source : marianne.net
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