Anglet | L’admirable leçon de vie d’Angélique Cauchy dans le lycée Cantau

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« Parler pour protéger » contre les viols et les abus sexuels
Victime de 400 viols et abus sexuels de son coach à l’adolescence, l’ancienne joueuse de tennis a sorti un livre sur son parcours et partage son expérience. Ses témoignages permettent une libération de la parole, comme dans ce lycée d’Anglet, dans les Pyrénées-Atlantiques.

Ce vendredi matin, Angélique Cauchy, 37 ans, fait face aux élèves de terminale HLP (humanités, littérature et philosophie) du lycée Cantau d’Anglet (Pyrénées-Atlantiques).

L’ancienne joueuse de tennis, victime de 400 viols et abus sexuels à l’adolescence par son entraîneur Andrew Geddes (condamné depuis à dix-huit ans de réclusion criminelle), est venue partager avec eux sa leçon de vie et de survie « Si un jour quelqu’un te fait du mal » (éditions Stock. 321 pages, 20,90 euros), parue il y a quelques semaines.

« Ce livre, je l’ai écrit pour vous… »

Depuis la rentrée, 41 lycéens de terminale et de première étudient l’ouvrage dans le cadre d’un cours de philosophie sur le pouvoir de la parole, sa potentielle nocivité, mais aussi sa puissance libératrice.

Ils profitent donc de la présence de l’ex-prof d’EPS (qui s’est mise en disponibilité pour s’occuper de Rebond, son association d’aide aux victimes dans le sport, et multiplier les interventions et les rapports pour alerter le public et faire bouger les politiques) pour répéter devant elle quelques passages glaçants qu’ils liront dans une soirée de restitution prévue le 26 novembre (sur la sensibilisation des violences faites aux mineurs).

« À 27 ans, j’ai fait le choix que j’aurais dû faire quinze ans plus tôt »

L’ambiance est studieuse. Pesante. À la hauteur de la gravité du sujet.

Pendant deux ans, de douze à quatorze printemps, l’espoir tricolore de la balle jaune a vécu un calvaire que même des mots ne pourront jamais résumer.

Ensuite, de très longues années de déni et cette volonté de toujours aller de l’avant pour ne pas avoir à regarder en arrière. À tenter de garde l’esprit constamment occupé pour ne pas penser.

« Je voulais m’enlever le temps de réfléchir, souffle-t-elle.

Je passais mon temps à compter tout et n’importe quoi, mes pas, le nombre de gouttes d’eau pour remplir une bouteille, pour rester à tout prix dans le présent et me rassurer.

Et à 27 ans, je me suis demandé ce que je voulais être, quelle mère je risquais de devenir parce que j’avais un désir d’enfant et j’ai fait le choix que j’aurais dû faire quinze ans plus tôt.

Parler pour protéger, notamment celles qui sont passées après moi… »

Angélique Cauchy se livre sans fard. Sans filtre.

Prête à aborder toutes les questions, même les plus intimes. Elle explique ainsi sa peur d’avoir contracté le sida, ses relations exclusivement féminines ou les séquelles intimes que les actes de son bourreau lui ont infligé à jamais.

« Je suis avec des femmes, mais je ne sais pas si c’est parce que j’aime les femmes ou si j’ai peur des hommes », lâche la maman du petit Milo, quatre ans et demi, qui a été porté par son épouse et qui est au centre de ses combats.

Elle évoque boulimie, anorexie, idées noires, choc du procès, passage de la haine à l’indifférence pour son agresseur, lois incomplètes et tourne souvent son propos autour d’un titre (si un jour quelqu’un te fait du mal) qui n’a rien d’anodin.

Quand elle était petite, son père policier lui expliquait que si quelqu’un lui faisait du mal, il irait lui-même faire justice, quitte à prendre vingt ans de prison.

Une phrase dévastatrice pour la jeune victime, tétanisée de voir sa famille exploser, son paternel incarcéré, sa mère dépressive internée et sa sœur cadette placée en foyer, si elle dénonçait les atrocités de celui qui était devenu son « Dieu ».

Rongée par une responsabilité et une culpabilité qui n’avaient pas lieu d’être sur de si frêles épaules.

Les témoignages poignants des élèves

« Si jamais quelqu’un vous fait du mal, il faut que les adultes vous écoutent, vous croient et vous protègent et c’est une chance que je n’ai pas eue », lance-t-elle.

Et d’exhorter chacun(e) à veiller sur l’autre en guettant des signaux de changement de comportement, d’habitudes alimentaires, de chute de niveau scolaire ou d’addiction.

Les questions s’enchaînent.

Angélique Cauchy détaille le mécanisme de l’emprise d’un homme qui savait parfaitement exploiter la moindre de ses failles personnelles et les carences familiales (affectives, matérielles ou culturelles) pour en faire son esclave. Avec une sorte de détachement qui contraste avec la lourdeur du propos.

« Il y a un an et demi, j’aurais été incapable de vous parler, avance celle qui a commencé à voir un psy début 2023.

Le livre équivaut à dix ans de thérapie. Sur lui, son mode opératoire mais aussi la culpabilité de mes parents.

Je leur ai pardonné de ne pas avoir été en capacité de me soutenir. »

Au dernier rang, Yohan, 17 ans, lève le doigt. Et explique avec calme et courage devant son professeur et certains de ses camarades médusés qu’il a connu l’inceste mais qu’il a eu la force de le dire assez vite (six mois plus tard) à sa mère, puis sur les réseaux.

Quelques paires d’yeux s’embuent et les ventres se nouent lorsqu’il explique posément à quel point il est important de parler.

Quelques minutes plus tard, cette fois chez les premières, un adolescent témoigne du viol subi par sa grand-mère. Puis une camarade éclate en sanglots pour révéler elle aussi des traumatismes.

« Merci, lâche la jeune fille. J’ai toujours essayé d’écouter les autres mais il n’y avait personne pour m’écouter moi… »

À la fin des deux interventions, huit élèves ont confié à Angélique Cauchy qu’ils avaient subi des abus.

D’autres n’ont sans doute pas (encore) osé franchir le pas.

Le chiffre fait froid dans le dos mais il est tristement conforme aux statistiques. Un mineur sur sept est touché par les violences sexuelles (et un mineur sportif de haut niveau sur trois).

« Je savais que ce serait nécessairement bouleversant, glisse Christophe Puyou, le professeur de philosophie.

Je connaissais les données, donc il y avait de fortes chances que des élèves soient concernés directement dans leur chair par ce fléau.

Mais je ne pensais pas qu’il y aurait cette ampleur. Je savais qu’une jeune fille était touchée mais je n’avais pas connaissance de ces cas-là. »

La nouvelle génération peut faire évoluer les choses

Un travail en amont avait en effet été effectué de manière préventive avec le centre de victimologie de l’hôpital local pour voir si des étudiants pouvaient être concernés.

« On a pris des précautions, mais certain(e) s ont attendu la rencontre avec Angélique pour délivrer tout ça, poursuit l’enseignant.

Nous avions travaillé des extraits de son passage à l’Assemblée (audition effarante devant une commission d’enquête sur les défaillances dans les fédérations sportives en septembre 2023) pour aller progressivement vers le témoignage final et faire entrer l’émotion par degré parce que c’est très, très puissant.

C’est heureux que certains aient pu s’ouvrir dans ce lieu. Visiblement, ils n’avaient jamais été entendus ou écoutés et c’est tout le propos de ce livre. »

Parler, parler encore. Secouer l’univers du sport ou celui de l’Éducation nationale.

La tâche est colossale mais Angélique Cauchy en a fait sa raison d’être. Et compte sur la nouvelle génération post #MeToo pour faire avancer les choses.

« Je pensais que la vie ne valait rien, leur répète-t-elle. Alors que rien ne vaut la vie… »

« Si un jour quelqu’un te fait du mal », éditions Stock. 321 pages. Prix conseillé : 20,90 euros.

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