Nora a l’impression de voir sa fille. Âgée de 15 ans, cette mère sait que sa fille se prostitue, sans pouvoir agir.

Tout commence lorsqu’elle a 11 ans. Elle est alors suivie par une psychologue, à la demande du collège.

“La psy m’invite à m’assoir et m’indique que ma fille a été victime de plusieurs agressions sexuelles.”

Nora et le papa sont séparés depuis que Lou a cinq ans. Le bourreau ? Le neveu de la nouvelle compagne du papa. Elle avait 9 ans, lui 13. Une plainte a donc été déposée il y a cinq ans. Depuis, silence radio.

“J’ai l’impression de l’abandonner”

Il y a trois ans, l’enfer commence. Victime de harcèlement scolaire, Lou commence à faire des tentatives de suicide aux médicaments. Au total, elle en a fait une quinzaine, en alternance avec des phases de scarification. Elle enchaîne alors les hospitalisations en psychiatrie, avec la mise en place d’un traitement pour réguler ses émotions. Jusqu’au jour où tout dégringole.

“Elle était en boucle sur la plainte, elle ressentait un ras-le-bol face à l’inaction“, se souvient Nora.

À ce moment précis, elle arrête tout. Traitement, suivi psy, école… “Elle a basculé de l’autre côté“, soupire la maman.

Démunie face au déclin de sa fille, elle demande conseil à la psychiatre du CMP, qui lui indique que le placement à l’Aide sociale à l’enfance peut être une bonne chose.

“Elle me dit que le seul moyen de la mettre à l’abri, c’est de la placer. C’est une décision dure à prendre. J’ai l’impression de l’abandonner“, confie-t-elle. Lorsqu’elle franchit le cap, sa fille a déjà commencé à découcher. “Elle a commencé à rentrer de nuit, à s’échapper… Mais je ne peux pas l’enfermer ! Je l’ai attrapé sur un parking dans une voiture avec un majeur.“

“Depuis ce jour-là, c’est la dégringolade”

Cela fait trois ans que Nora demande une mesure éducative. Sans nouvelle, elle finit par taper du poing sur la table de la Maison de la Solidarité. Un suivi en AEMO (assistance éducative en milieu ouvert) est ordonné par le juge des enfants.

“Depuis ce jour-là, c’est la dégringolade”, crache Nora, alors que l’ASE est conçue comme être un refuge. Face aux tensions qu’il y a la maison, l’éducatrice laisse Lou partir vivre “chez un pote à la Zup“. Pour ne pas perdre le lien avec sa fille, elle lui demande des nouvelles tous les jours via Snapchat.

Le 23 septembre, le juge exige le placement. Faute de place dans les établissements, elle est placée en foyer d’urgence.

Depuis, la descende aux enfers pour cette mère, prête à tout pour sauver sa fille. Elle souvient d’une soirée où son ex-mari la trouve dans Aix-en-Provence. Il appelle alors la police, et un éducateur du foyer d’urgence vient la chercher.

Arrivés à Saint-Charles, ma fille lui dit qu’elle ne veut pas y aller. Il lui dit “ok, descends alors”. Ma fille de 15 ans se retrouve dehors à 1h du matin

Des exemples comme celui-ci, Nora en a à la pelle. Une autre fois, Lou est arrêtée “en train de faire la prostitution avec ses deux proxénètes“. Placée en garde à vue, Nora n’est pas tenue au courant par l’ASE. Plus tard, Lou est retrouvée dans une gare du Tarn par les gendarmes.

À sa mère, elle raconte avoir été contrainte et forcée de se prostituer dans un appartement à Toulon, avant d’être placée dans un train. Alors placé en urgence dans un foyer à Albi, un éducateur la met dans un train pour qu’elle rentre et un autre éducateur d’un foyer du 9^ᵉ arrondissement de Marseille vient la récupérer.

Sans nouvelle, à 23 heures, Nora appelle tous les établissements du 9^e. “On me rappelle en me disant que ma fille n’a pas voulu y aller, donc on l’a laissé, dehors, seule, à 15 ans“, dénonce-t-elle.

“Je pense qu’elle gagne une misère”

Parfois, Lou passe chez sa mère. “Elle mange, se douche, dort… Elle sait qu’elle peut être à l’abri à la maison.” Pour Nora, les émotions se mélangent. La colère, la tristesse, le désespoir…

Elle tourne dans des Airbnb, tout le monde le sait, personne ne fait rien ! Si on la laisse dans la rue, elle fait des ballons de protoxyde d’azote. Je vide son sac, je vois des préservatifs, des tests de grossesse, des ballons vides…

Elle ajoute :

“elle ramène des habits qui ne viennent pas de la maison, mais qui ne sont pas de grande marque. Je pense qu’elle gagne une misère. Elle arrive ici, elle a faim“,

souligne sa mère qui pense que sa fille a perdu au moins 15 kg depuis l’AMEO. Nora a tenté d’avoir une discussion avec sa fille.

“Tu sais très bien ce que je fais” lui lâche Lou. Face à cette situation, Nora avoue qu’elle préfère que sa fille “se repose deux jours à la maison que ne pas savoir où elle est. Personne ne les cherche les gamines. Dans les foyers, ils s’en foutent des gosses.”

Si jusqu’à maintenant Nora le savait sans vouloir se l’avouer, elle a reçu une lettre qui eut l’effet d’une claque. L’expéditeur, le tribunal judiciaire de Marseille. Le motif : avis à la victime de se constituer partie civile. Cette lettre indique qu’une information judiciaire est ouverte sur deux présumés coupables, mis en examen du chef de “proxénétisme aggravé, victime mineure de 15 à 18 ans”, dans laquelle Lou est victime.

“On ne veut jamais y croire, au fait que sa fille se prostitue. Mais quand vous recevez la lettre, c’est une vraie preuve. Quand je la lis, je prends conscience que c’est réel et on est dans le dur“, témoigne Nora.

“Si j’arrête, que va-t-il se passer ?”

“Je n’arrive même pas à décrire ce que je ressens. Je vis au jour le jour“, confie Nora, qui ajoute que le seul endroit où elle arrive à décrocher, c’est au travail.

“Je suis en colère, parce qu’on me conseille de la placer pour la mettre en sécurité, mais c’est pire ! Au moins avant, elle rentrait tous les jours à la maison…”, déclare Nora

Son objectif aujourd’hui ?

“Faire du bruit pour faire bouger les choses. Pour ma fille, mais aussi pour toutes les autres.”

En France, plus 400 000 mesures étaient cours pour des mineurs ou jeunes majeurs, fin 2024. En avril dernier, Isabelle Santiago députée spécialisée dans les questions sociales, publie un rapport qui fait trembler le monde de l’Aide sociale à l’enfance.