
Creil | Plongée dans l’horreur de la prostitution de mineures
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 01/10/2025
- 16:26
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Trouver une relation sexuelle tarifée dans cette ville paupérisée de l’Oise ? Un jeu d’enfant à en croire cet habitant.
La pratique n’est pas nouvelle, surtout dans le quartier de la gare, véritable hub ferroviaire à 30 minutes de Paris – Nord et déjà en proie au trafic de stupéfiants et à la revente de cigarettes de contrebande.
« Quand vous voyez quelqu’un le nez sur son téléphone en train de marcher la nuit, c’est un client qui suit la géolocalisation qu’on lui a envoyée, souffle un riverain de la rue Jules-Juillet. Ici de la prostitution, vous en trouvez dans presque tous les immeubles. »
C’est dans cette rue qu’une adolescente de 14 ans a été secourue le jeudi 28 août par les fonctionnaires de police du commissariat de Creil. La victime « était contrainte de s’adonner à la prostitution dans un appartement », indique le procureur de la République de Senlis, Loïc Abrial.
L’illustration d’un phénomène d’ampleur, qui ne se cantonne pas uniquement au Bassin creillois, mais « touche l’ensemble du territoire de l’Oise », insiste Florence Theron, la directrice du pôle éducatif et judiciaire de l’association départementale pour la sauvegarde de l’enfance à l’adulte de l’Oise (Adseao).
Il y a quelques mois, l’association a lancé la plate-forme « Ado Sexo » destinée à écouter et recevoir les victimes mineures. Depuis son ouverture, 36 jeunes ont été accompagnées, avec une moyenne d’âge de 15 ans et demi. Parmi elles, douze étaient inconnues des services sociaux.
De jeunes prostituées qui deviennent proxénètes à leur tour
À Creil, le client de 30 ans a été placé en garde à vue. Inconnu de la justice, il venait « d’avoir une relation sexuelle avec la victime », précise le parquet de Senlis. L’homme a depuis été mis en examen et placé en détention provisoire pour viol avec deux circonstances aggravantes : les faits ont été commis sur une mineure de moins de 15 ans contre rémunération. Un crime passible de 20 ans de réclusion criminelle.
Ce soir-là, une autre mineure du même âge a été interpellée et placée en garde à vue pour des suspicions de proxénétisme. Elle aurait été désignée par la victime comme la bénéficiaire des transactions financières. La Division de la criminalité organisée du Service interdépartemental de police judiciaire (SIPJ) de Creil est en charge de l’enquête.
« Les jeunes filles tombent là-dedans dès 12-13 ans, s’insurge un commerçant creillois qui a vu le phénomène se décupler ces dernières années. On les voit traîner dehors la nuit. Au bout d’un moment, elles se disent que si elles le font, leurs copines aussi peuvent bien le faire. Alors elles les ramènent avec elles et deviennent des maquerelles. Mais bien sûr, il y a toujours quelqu’un derrière… »
Devenir à son tour proxénète serait « une porte de sortie de la prostitution », détaille Sylvie Taillé, administrateur Ad’Hoc, chargée de représenter ou assister des mineures victimes de faits d’exploitation sexuelle dans l’Oise.
« Passer proxénète pour changer de statut et mettre sous ses ordres d’autres filles est une des options pour elles. Ou alors tomber enceinte. »
Un environnement favorable à la « prostitution de quartier »
Dans les rues attenantes à la gare de Creil, difficile de délier les langues. « L’omerta » est de rigueur. Mais l’intervention des forces de l’ordre du 28 août ne choque personne. « On a l’habitude », souffle un passant. Et pour cause, la délinquance est déjà bien implantée dans le quartier.
« Ceux qui savent ne diront rien, mais vous pouvez trouver des machines à sous ou des filles dans les arrière-boutiques de certains commerces »
, poursuit-il.
Le Saphir Bleu, devenu le Perla, a récemment été contraint de fermer dans la rue Jean-Jaurès pour des suspicions de faits de proxénétisme.
Les forces de l’ordre sur le terrain sont pleinement mobilisées. Si le fléau de la prostitution des mineurs est national, Creil n’échappe pas à la règle, et les procédures en la matière s’accumulent. On appelle cela la « prostitution de quartier » ou le « proxénétisme de cité » dans le jargon judiciaire.
« Ce phénomène s’appuie sur un cumul de conditions favorisant son expansion : la paupérisation observée dans certains secteurs sensibles, l’explosion de l’usage des réseaux sociaux chez les plus jeunes sans réel contrôle parental, le développement de nouvelles offres de logements de type Airbnb, énumère le commissaire de Creil, Sébastien Chalvet. Le quartier cette gare, terminus nord du RER D, cumule ces conditions. » Et de nuancer : « La réalité est éloignée du tableau cataclysmique évoqué par les riverains. »
L’argent facile et les promesses affectives comme appâts
S’il n’existe pas vraiment de profil type, les mineures qui s’adonnent à la prostitution sont souvent des jeunes filles en déshérence sociale, avec de grandes difficultés éducatives, voire en décrochage scolaire. Beaucoup sont placées en foyer de l’aide sociale à l’enfance (ASE) d’où elles fuguent régulièrement, devenant des proies faciles pour les auteurs malveillants qui les contactent via les réseaux sociaux, ou par le biais de connaissances communes.
« Ce sont des mineures en grande vulnérabilité et qui cumulent plusieurs carences affectives depuis leur petite enfance »
, décrypte Florence Theron, la directrice du pôle éducatif et judiciaire de l’Adseao. La faille toute trouvée pour le proxénète.
D’autres en revanche sont bien insérées socialement mais se laissent tout de même happer par la prostitution, motivées par l’appât du gain.
« Elles rencontrent d’autres jeunes filles qui sont déjà prostituées, sont devenues des proxénètes, ou des jeunes hommes qui leur promettent protection et argent facile, poursuit le chef de la police de Creil. Elles ne se considèrent pas, dans un premier temps, comme des victimes avant de se faire piéger et de ne plus pouvoir en sortir, à cause de l’emprise physique et psychologique. »
Le piège de la relation
Parfois, elles sont entraînées dans ce système par des petits amis sans scrupule. Dans le jargon, on parle de « lover boy », « le garçon amoureux ». Généralement, « il s’agit d’un homme un peu plus âgé ou mineur lui aussi », explique Florence Theron. Sylvie Taillé abonde :
« Ce sont des jeunes filles qui ont eu des traumas en termes de maltraitance ou d’abandon et qui n’ont plus de repères. Elles vont s’accrocher à des personnes qui vont s’intéresser au départ à elles, qui les valorisent. Et après, le piège se referme… »
Elles ont alors les yeux qui brillent et « plongent ».
« Ils leur font croire qu’elles pourront avoir une vie de couple épanouie avec eux, promettent une maison, des enfants. Mais c’est de la poudre aux yeux, ils disent ça à d’autres filles »
, ajoute Me Delphine Le Gac, avocate au barreau de Senlis, confrontée à plusieurs affaires de ce type, notamment sur le secteur de la gare de Creil ces derniers mois.
Le « lover boy » leur demande ensuite d’avoir des relations sexuelles avec ses copains.
« C’est toujours un peu insidieux, le sentiment amoureux est mis en avant, et si après elles ne veulent pas, les coups de pression commencent, poursuit l’avocate. Il y a de la séquestration, des représailles auprès des proches. »
Les réseaux sociaux comme terrain de chasse
Du côté des auteurs aussi les profils varient. Il y a les délinquants chevronnés cherchant à élargir leur palette de criminalité ou à diversifier leurs rentrées d’argent. Mais on trouve également des primo-délinquants, parfois déjà connus des services de police uniquement pour des petits délits.
Ceux-là profitent des occasions qui se présentent et maîtrisent bien les réseaux sociaux. Ils ont compris qu’en quelques clics, il est possible d’inscrire les victimes sur des sites spécialisés, de poster des annonces pour attirer les clients et de réserver des appartements où se feront les passes. Le tout caché derrière un écran d’ordinateur, à distance.
En avril, un étudiant de 21 ans originaire de Creil a été condamné à 18 mois de prison ferme par le tribunal de Senlis pour avoir prostitué deux jeunes mineures qu’il avait rencontrées sur les réseaux sociaux dans l’Oise. Son profil déroutait : il agissait seul et son casier judiciaire était vierge.
Ce « mac 2.0 » leur fournissait des produits stupéfiants, dont des bonbonnes de protoxyde d’azote, plus connu sous le nom de gaz hilarant, mais dont l’inhalation répétée peut entraîner de graves séquelles neurologiques. L’une des deux victimes s’était retrouvée paralysée à la suite d’une consommation excessive.
« C’est malheureusement un combo parfait avec l’exploitation sexuelle. Ils en laissent un peu pour qu’elles s’anesthésient »
, pointe Florence Theron.
Des enquêteurs spécialisés repèrent les victimes
Le parquet de Senlis reçoit « quasiment chaque semaine un signalement pour un mineur ou une mineure en danger, du fait qu’il s’adonne à la prostitution, souligne Loïc Abrial. Ces mineurs, issus de l’Oise, se prostituent fréquemment aussi hors département, en particulier en région parisienne. » Selon le secteur de domiciliation des protagonistes et l’étendue du territoire où les faits se produisent, plusieurs services de police et tribunaux peuvent être saisis.
Dans l’Oise, les plus grosses affaires sont suivies par le « pôle criminalité organisée » du tribunal judiciaire de Senlis, créé en septembre 2024 à effectif constant de magistrats. Mais ces procédures restent complexes car, en plus de la loi du silence et de la peur des représailles, les victimes elles-mêmes ne se considèrent pas toujours comme telles.
« Généralement, ces faits ne sont portés à la connaissance des services de police qu’à l’occasion de découverte de mineurs en fugue ou de contrôles aléatoires (de voie publique, dans des débits de boissons, des contrôles routiers, etc.), reprend le commissaire Chalvet. Rares sont les cas dans lesquels les victimes elles-mêmes appellent à l’aide. »
Certaines finissent toutefois par se rendre compte de la situation. L’élément déclencheur ?
« La violence qu’elles peuvent subir, le risque de les envoyer à l’étranger alors qu’elles ne veulent pas »
, liste Florence Theron.
« Parfois lorsqu’elles retournent dans la famille, elles voient que leurs parents souffrent. »
Les enquêteurs chargés de faire la lumière sur les faits de prostitution et de proxénétisme des mineurs sont issus des groupes de lutte contre les atteintes aux personnes. Les agents qui les composent ont l’habitude d’être confrontés à toutes les formes de violences et possèdent des compétences en victimologie. Ils sont notamment formés à recueillir la parole des jeunes victimes lors des auditions.
« Ces groupes étant également chargés des thématiques sensibles liées aux violences intrafamiliales et aux mineurs délinquants ou en fugue, ils peuvent réaliser des liens et des rapprochements afin d’identifier des parcours prostitutionnels, précise encore le patron de la police creilloise. Ces groupes sont aussi en lien avec l’intégralité des acteurs du tissu social, permettant un échange d’informations et une prise en charge complète des victimes (services judiciaires, préfecture, services sociaux, mairies, associations). »
« On repère mieux ces situations »
À chaque fois, les victimes sont prises en charge physiquement, psychologiquement et accompagnées par les services sociaux ou les associations locales. Afin d’assurer leur sécurité, il est parfois nécessaire de les reloger pour éviter que leur proxénète ne les retrouve.
« Aujourd’hui, on repère mieux ces situations et on a des réponses beaucoup plus adaptées », explique Florence Theron, la directrice du pôle éducatif et judiciaire de l’Adseao. Ces dernières années, de nombreux dispositifs ont ainsi vu le jour, notamment pour prévenir et sensibiliser les professionnels, comme les établissements scolaires, afin de mieux repérer les signaux d’alerte : fugues à répétition, achat soudain de marque de luxe, renfermement sur soi, utilisation de plusieurs téléphones, etc.
Conformément aux orientations du plan national de lutte contre la prostitution de mai 2024, une commission départementale de lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle a d’ailleurs été créée au mois de juin dernier dans l’Oise.
Rassemblant acteurs institutionnels et associatifs du département, elle entend notamment coordonner la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineures et améliorer la prise en charge des jeunes victimes. Ce 18 septembre, une grande campagne de communication à destination du grand public a été lancée, notamment pour faire connaître le numéro de la plate-forme d’écoute « Ado Sexo ».
Une politique pénale ferme à l’encontre des clients
Les auteurs, eux, sont systématiquement poursuivis.
« Ma politique pénale est très claire à l’égard des clients qui, en toute connaissance de cause, vont accepter une prestation tarifée avec une mineure »
, développe le procureur de la République de Senlis.
Ils feront l’objet de poursuites chaque fois que l’infraction sera caractérisée. En l’occurrence, « la qualification de viol sera appliquée à ces situations », martèle Loïc Abrial. Tout rapport avec un mineur de moins de 15 ans, âge de la majorité sexuelle en France, est en effet considéré comme un viol aux yeux de la loi. (ndlr : hélas, il semble que pour l’heure peu de procureurs agissent de la sorte)
Cette tolérance zéro parfaitement assumée découle d’un simple constat :
« S’il n’y avait aucune demande pour des prestations sexuelles fournies par de jeunes adolescentes, le phénomène ne se développerait pas ainsi »
, constate le magistrat.
Reste que, pour éviter que la prostitution de quartier ne prenne encore plus d’ampleur à Creil, encore faut-il les moyens suffisants pour y faire face.
« La principale difficulté dans le traitement de ces dossiers vient d’une insuffisance criante des moyens de la police nationale dans l’Oise, conclut le magistrat. Le sous-effectif permanent, en particulier en matière de traitement des affaires judiciaires, empêche une lutte suffisamment dimensionnée et efficace contre ce phénomène en croissance. »
Plate-forme téléphonique « Ado Sexo », du lundi au vendredi de 9 heures à 12 heures et de 13 heures à 17 heures. Numéro : 03.10.45.56.61.
Voici de la documentation pour lutter contre ce fléau, accessible sur le site ACPE Asso
Le Michetomètre de l’ACPE
Le Michetomètre est un outil de prévention créé pour venir en aide aux jeunes victimes et leur permettre de prendre conscience des dangers encourus dans le milieu de la prostitution.
Il est à utiliser par le professionnel, lors d’un échange avec le jeune pour une bonne compréhension de l’outil.
Michetomètre 2025 (version digitale)
Le Vademecum
Le Vademecum (ou guide) est le fruit d’un travail conjoint de l’ACPE et du 116 000 Enfants Disparus à destination des professionnels pour répondre à leurs besoins.
Ce manuel technique contient de nombreuses informations pratiques sur le profil des victimes, les signes de repérage, les différents aspects de la prostitution, les mesures de protection, les démarches judiciaires…
Ce document n’est pas exhaustif. Nos équipes du siège et du terrain restent à votre disposition pour répondre à vos questions et pour vous apporter un accompagnement plus global.
Michetomètre 2025 (version digitale) Guide à destination des parents acpe_vademecum_sp
Le Guide Parents
Parce que les parents peuvent aussi se retrouver démunis face à la découverte de la prostitution de leur enfant, l’ACPE a élaboré un guide pratique qui a pour but de les accompagner et de les aider à mieux appréhender cette situation.
Ce guide recense les signaux d’alerte, présente les différentes procédures à engager auprès de la police, de la justice ou de la protection de l’enfance. Il fournit des conseils éducatifs permettant de savoir comment agir et se comporter avec le mineur.
Guide à destination des parents
L’étude sur l’exploitation et les agressions sexuelles des mineurs en France
Forte de 30 ans d’expérience, l’ACPE délivre un état des lieux des exploitations et agressions sexuelles des mineurs en France dans cette étude.
À la première édition parue en 2018, a succédé une seconde édition 2020/2021.
Une actualisation de l’étude, au regard des nouvelles dispositions en vigueur portant sur les infractions sexuelles sur mineurs, est prévue prochainement.
Comme dans la précédente édition, ce volume est divisé en trois parties :
1° La description des différentes formes d’exploitation sexuelle, les facteurs à risque, le profil des victimes, les signes de repérage et le rôle d’Internet.
2° La présentation factuelle du système de protection de l’enfance, de la procédure pénale et des infractions à caractère sexuel.
3° Une analyse critique des lacunes législatives et des carences dans l’application de la loi, ainsi que des recommandations à destination des responsables politiques et des professionnels de terrain.
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