Montargis | Un père saute du 10 ème étage avec son fils de 21 mois
- La Prison avec sursis... C'est quoi ?
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- 25/11/2024
- 19:08
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Ce matin-là, Marina a d’abord ressenti « un peu d’angoisse ».
Simon, 21 mois, aurait dû se réveiller à côté d’elle, et non avec son père, Haja, qui avait prétexté la veille ne pas pouvoir ramener le garçonnet déjà endormi.
« Ça m’avait agacée mais j’ai pris mon mal en patience. Je leur ai dit de passer une dernière soirée ensemble tranquille et que je le récupérerais le lendemain matin. »
Mais ce 11 mars 2021, Haja R. décale à nouveau le rendez-vous. Cet habitant de Gex (Ain) dit devoir amener le bambin chez le médecin en Suisse.
La veille, une juge des enfants de Bourg-en-Bresse avait confié à sa mère la garde de Simon, enlevé par son père.
Haja R. avait fait mine de l’accepter. Il n’empêche, ce énième contretemps ne rassure pas Marina.
Elle connaît le caractère versatile de son ex, instable psychologiquement et prompt à des délires mystiques.
« Je sentais que quelque chose n’allait pas », souffle-t-elle aujourd’hui.
Le choc se produit à 13h41 et tient en trois mots :
« Adieu. Pardon. Merci. »
Soit le titre du courriel envoyé par Haja R. à la mère de son fils et plusieurs membres de sa famille.
Dans ce message rédigé auparavant, cet enseignant en histoire dans un établissement privé helvétique s’en prend à Marina qu’il accable dans un argumentaire complotiste. Puis il enchaîne :
« Parfois dans les cirques, les lions, les tigres, mettent fin aux jours de leurs progénitures pour leur épargner la souffrance de vivre dans des cages, fussent-elles dorées. (…) Aujourd’hui, nous allons éteindre la lumière (sortir de ce passage illusoire qu’est cette terre) pour nous ouvrir sur l’Essentiel, l’Éternité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. (…) Faites au moins cher pour les obsèques. »
Marina comprend immédiatement l’effroyable signification de ce message :
« Je l’ai presque ressenti dans ma chair. »
Il a prit la route avec Simon en direction de Montargis (Loiret), où sa famille s’est installée en provenance de Madagascar lorsqu’il était enfant et où son père est enterré.
Quelques jours plus tôt, il avait effectué des recherches sur des ponts, avant de se rabattre sur l’immeuble où il a grandi.
La locataire d’un appartement du 10e étage se souvient d’une frappe énergique à sa porte.
« J’ai vu un homme, il avait son bébé sur le devant dans le porte-bébé. (…) Il était très aimable et très souriant, agréable », raconte cette dame de 78 ans.
La retraitée offre un petit-beurre à Simon. Le visiteur demande à faire des photos de la vue, converse quelques minutes au téléphone avec son frère puis se dirige à nouveau vers le balcon.
« Il a enjambé la balustrade et a sauté. (…) Le bébé était toujours dans le porte-bébé. J’ai hurlé », confie la septuagénaire à un policier.
Haja R. et Simon ne survivent pas à cette chute.
Marina ressent un « vide total ». Avec le suicide de l’assassin, elle n’a aucun recours, personne à qui demander des explications, même si une enquête est ouverte.
Le choc est même insupportable lorsque, dix jours après la mort de son fils, elle reçoit du parquet de Bourg-en-Bresse un rappel à la loi pour diffamation, après une action intentée plusieurs semaines auparavant par son ex.
Depuis, l’enquête a connu un improbable rebondissement.
En exploitant le téléphone d’Haja R., les policiers découvrent que, tout au long de son périple meurtrier, il n’a cessé d’être en contact avec sa nouvelle compagne, Stéphanie L., qu’il informe au fur et à mesure de l’avancée de son effroyable projet.
Arrêtée en Argentine le 6 mars 2024 à sa descente d’avion, cette hôtesse de l’air de nationalité suisse a été extradée vers la France où elle a été mise en examen le 3 mai pour complicité d’assassinat et placée en détention provisoire.
Cette femme qui a donné une autre dimension à ce drame, la voici qui s’avance timidement à la barre de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Orléans en ce 31 octobre.
Sweat beige assorti à ses bottines, pantalon noir, cheveux blond cendré ramassés en chignon, Stéphanie L. est une élégante femme de 56 ans.
Après cinq mois derrière les barreaux, la juge d’instruction a ordonné le 22 octobre sa remise en liberté, mise à exécution dès le lendemain mais contre laquelle le parquet a fait appel, objet de cette audience dans une salle bien trop grande.
Stéphanie L. fait la connaissance d’Haja R. en avril 2020 par le biais d’une application de rencontres.
En janvier 2021, l’homme « solaire, séduisant, exalté, grandiloquent, très théâtral », dont elle est tombée amoureuse, lui présente son fils.
À son amante, il raconte que Marina est une mère défaillante et que la justice lui a confié la garde de l’enfant. Un mensonge, un de plus.
L’histoire n’est pas celle-ci.
Lorsqu’elle rencontre Haja R., Marina tombe sous le charme de cet homme charismatique avec lequel elle projette rapidement une vie de famille, concrétisée par la naissance de Simon en juin 2019. Mais déjà la grossesse n’a pas été simple. Haja R. se révèle excessif.
« Il s’est focalisé sur la religion et le Christ. J’étais disposée à accueillir sa croyance mais il m’a très vite reproché de ne pas le rejoindre dans celle-ci », raconte Marina.
Les choses semblent s’arranger à la naissance du bébé et durant ses premiers mois.
Mais, lorsqu’elle reprend le travail, cette cadre à Genève constate que son compagnon met de la distance entre leur enfant et elle, qu’il en fait progressivement une extension de lui-même.
Son obsession pour le Christ s’invite à nouveau dans les conversations. Cette dérive se concrétise le 18 décembre 2020 lorsque Haja R. enlève le garçonnet.
« C’était très soudain mais j’ai réalisé ensuite qu’il avait tout prémédité. Il a emporté toutes les affaires de Simon : ses habits, ses jouets, ses biberons, relate Marina. Il ne me restait plus aucune trace de mon fils. »
C’est dans ce contexte que Stéphanie L. entre dans la vie d’Haja R. qu’elle soutient dans son combat pour la garde de son fils, convaincue par ses arguments fallacieux.
Elle est à ses côtés le 10 mars 2021 lorsqu’il apprend la décision du juge des enfants. Elle aussi a cru à son acceptation. Mais le jour fatidique, à 5 heures du matin, Haja R. est très agité.
« Il était dans une espèce de révolte, presque d’incohérence, sur le fait qu’il voulait s’enfuir avec Simon, mettre fin à ses jours, aller voir la tombe de son père. (…) Il parlait de vouloir sauter », développe Stéphanie L. face à la juge d’instruction qui l’interroge longuement le 1er juillet.
« Je lui ai dit que c’était complètement fou et que je désapprouvais totalement. J’ai essayé de le dissuader, poursuit-elle. J’ai voulu le contrer et là ça s’est très mal passé. Il s’est mis dans une colère noire et m’a dit :
Maintenant tu es avec moi ou contre moi. (…) J’ai abondé dans son sens, en faisant ce que je sais faire, car c’est un peu mon métier de désescalader une situation, en écoutant, accueillant, pour éviter la réaction forte en face. »
Stéphanie L. va alors accompagner Haja R. dans toutes les étapes de son odieux projet et suivre ses consignes : choisir les habits que Simon portera pour son enterrement et préparer la voiture.
« J’étais aspirée dans une spirale. J’ai coopéré », regrette-t-elle.
L’hôtesse de l’air ne cessera d’être en lien avec lui pendant tout son trajet vers Montargis. Elle valide le message vocal qu’Haja R. adresse à Marina pour justifier le retard. Elle réfléchit avec lui à la réaction qu’elle devra adopter si cette dernière se présente à l’appartement. Elle envoie un message à la mère de son compagnon afin de gagner du temps.
« Je n’ai jamais envisagé qu’il irait au bout. (…) Je m’en veux à chaque minute aujourd’hui de ne pas avoir su analyser la situation », livre-t-elle en pleurs trois ans plus tard.
Pendant ce temps-là, Marina prépare le plat préféré de Simon en attendant son retour de ce pseudo-examen médical. Haja R. lui a envoyé des photos de leur enfant dans son siège auto.
Les messages que le père adresse à sa nouvelle compagne sont pourtant explicites :
« Si j’arrive vers 13 heures sur place je pense que je pourrai être sur le balcon vers 13h15 » ;
« En fait nous on a réussi à rentrer dans l’immeuble, on a essayé au 12e étage y’a personne, on a essayé au 11e étage y’a personne »…
« Vous ne pouvez pas ne pas comprendre que ça se concrétise, insiste la juge le 1er juillet 2024. Vous exprimez de la tristesse mais à aucun moment vous lui dites de ne pas le faire. »
« Je suis toujours dans l’espoir qu’il ne passera pas à l’acte », répond inlassablement Stéphanie L., qui explique n’avoir osé prévenir personne de peur qu’Haja R. ne provoque délibérément un accident.
« Je suis terriblement désolée pour toute la souffrance que ça a causé », conclut-elle cet interrogatoire éprouvant.
En prenant connaissance de cet échange avec une femme dont elle ignorait jusque-là l’existence, Marina est prise de vertige.
« Elle sait en temps réel où ils se trouvent. C’est la seule à pouvoir intervenir mais elle ne fait rien hormis le conforter dans son acte ! » s’offusque-t-elle.
Tout juste se retrouve-t-elle dans sa description du caractère « imprévisible, puissant et très autoritaire » d’Haja R. Marina elle-même a mis du temps à réaliser la duplicité de cet homme.
« Après l’enlèvement, j’ai découvert qu’il avait dragué et même harcelé plusieurs voisines en se servant de Simon.
À l’une il avait écrit : Simon et moi te trouvons très attirante », raconte cette femme solide.
Marina suit à distance l’instruction en voie d’achèvement. Mais cette femme de 45 ans d’une grande dignité dans le récit de son calvaire demeure persuadée que ce drame aurait pu être évité si ses alertes avaient été prises en compte.
« Lorsque Haja a enlevé Simon, je me suis battue. J’ai porté plainte en rappelant les mains courantes déposées par nos voisines qu’il avait importunées. J’ai sollicité des mesures d’urgence. Les gendarmes m’ont dit que Simon était en sécurité chez son père, que c’était une banale histoire de couple et qu’il fallait qu’on s’arrange », détaille-t-elle, accablée.
Ses efforts aboutiront à ce jugement en assistance éducative du 10 mars rendu par un juge des enfants de Bourg-en-Bresse qui lui confie la garde de Simon en prévoyant un droit de visite à son père.
Lequel passera à l’acte le lendemain.
« Si cette procédure n’effacera jamais son chagrin et sa douleur, au moins oblige-t-elle la justice à regarder ses erreurs en face en espérant qu’elle en tire des leçons », avance Me Romain Boulet, qui assiste Marina avec sa consœur Me Géraldine Azoulay.
Lors de l’audience du 31 octobre, Me Thierry Marembert, l’un des avocats de Stéphanie L., a rappelé que sa cliente n’avait jamais voulu se soustraire à la justice et encore moins souhaité une issue aussi tragique, et que plus rien ne justifiait son maintien derrière les barreaux.
« Une requalification est manifestement envisagée », avance le pénaliste, qui espère une correctionnalisation des faits en non-assistance à personne en danger.
« Je n’ai jamais fui mes responsabilités », a soutenu, émue, la mise en cause.
Le parquet général ayant revu sa position et ne s’opposant plus à sa remise en liberté, la chambre de l’instruction a confirmé l’élargissement de l’hôtesse de l’air, placée sous contrôle judiciaire.
Marina attend une décision forte de la justice.
Deux mois après avoir enterré Simon, elle a accouché d’un deuxième petit garçon, fils d’Haja R. dont elle était enceinte. Il a aujourd’hui 3 ans et demi.
« Ça ajoute au vertige global, admet cette femme d’une incroyable force. Mais ça ne me perturbe pas et j’arrive à trouver un équilibre.
Mon fils connaît l’histoire de son frère et de son papa. Il prend beaucoup de place mais je ne veux pas qu’on oublie la vie de Simon, même si elle a été courte. L’action judiciaire en cours le replace en tant que victime. »
La quadragénaire parvient à mener de front une vie professionnelle intense et une vie de mère solo investie :
« En accomplissant sa vengeance, Haja voulait me détruire. Il n’a pas réussi et j’en suis très fière. »
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