Patrick Marcelli et la terrible blessure du meurtre non résolu de sa fille Anaïs
Patrick Marcelli se souvient encore de ce 14 janvier 1991, lorsque son ex compagne l’a appelé, en début de soirée pour lui annoncer que leur fille de 10 ans n’était pas rentrée de l’école.
Après deux non-lieux, l’enquête a été rouverte au printemps 2015. L’enquête s’oriente aujourd’hui vers un proche de la petite victime.
Source Article : Slate
«Chaque jour, j’y pense. Un crime d’enfant, à plus forte raison le sien, est un crime qui ne doit pas rester impuni»
déclarait Patrick Marcelli. Sa fille, Anaïs Marcelli, a disparu à Mulhouse un soir de janvier 1991. Son corps a été retrouvé au Col de Bussang quatre mois plus tard.
Aujourd’hui, l’auteur de l’enlèvement et du crime de sa fille de 10 ans n’a jamais été retrouvé mais l’enquête a été rouverte en 2015, après deux non-lieux, grâce à sa ténacité et au soutien de son avocat, Me Thierry Moser.
«Anaïs, si tu peux me voir et si tu m’entends, essaye de prendre contact avec nous. Il ne te sera fait aucun reproche. On t’attend.»
Le regard embué, Patrick Marcelli s’adresse à sa fille, Anaïs, au journal télévisé. Voilà vingt-quatre heures que la fillette de 10 ans est portée disparue. Depuis la rentrée des classes, c’est une année un peu spéciale pour Anaïs. Jusqu’à lors, elle vivait chez son père, mais depuis septembre 1990, elle est retournée vivre chez sa mère, Martine Mercklen, dans l’appartement qu’elle occupe, rue de Zurich à Mulhouse, avec son compagnon, Jean-Luc Blum. Depuis le mois de janvier, la petite a décrété qu’elle rentrerait désormais seule de l’école qui se trouve à 300 m de son domicile.
Recherches en vain
Le 14 janvier 1991, comme chaque soir, elle s’est rendue à l’étude pour y faire ses devoirs. Vers 18h, elle a quitté l’école primaire du Nordfeld, rue de Battenheim, a emprunté la rue de Nordfeld, la rue courte, la place du Printemps, en longeant l’Eglise Sainte-Geneviève, la rue de Stalingrad et la rue de Bâle depuis laquelle elle aurait dû déboucher sur la rue de Zurich. Ce soir-là, elle portait une jupe plissée bleu marine, un pull-over rouge avec des motifs noirs, des collants rouges, des bottes fourrées en daim un anorak et un sac d’école aux couleurs fluorescentes.
Anaïs, sa mère et son compagnon habitent au 2e et dernier étage de l’immeuble. Au rez-de-chaussée se trouvent les bureau du grand-père d’Anaïs, le père adoptif de Martine Mercklen, qui bien qu’étant employé chez EDF-GDF, y a installé les locaux de deux compagnies d’assurances. Nicole Spannagel et sa société de bureautique, occupe, avec trois employés, les locaux du premier étage. Les porte de ses bureaux donnant sur le palier sont toujours ouvertes.
Ce soir-là, Martine est rentrée à la maison vers 18h. Son compagnon, boucher en Suisse, est déjà là. Anaïs a pour habitude d’être rentrée pour 18h20. Comme ce n’est pas le cas, sa mère part à sa rencontre avec la chienne, Belle. Ne trouvant pas sa fille sur le trajet qu’elle emprunte habituellement, elle rebrousse chemin et rentre à son domicile. Elle contacte alors les parents d’une amie d’Anaïs chez lesquels la fillette a passé une partie du week-end. Jean-Luc Blum part lui aussi à la recherche d’Anaïs, en vain.
«Je sortais de l’école et Anaïs était derrière moi. Il y avait Simon, l’un de mes copains qui était près du parc et qui marchait un peu plus vite que nous. Anaïs l’a croisé, elle a traversé, elle nous a croisés, puis je ne sais pas si elle a tourné ou si elle a continué sur la rue de Bâle. Elle court tout le temps, tout le temps»
se souvient Nicolas, un camarade de classe d’Anaïs, l’une des dernières personnes à avoir croisé la fillette, le 14 janvier 1991, rue de Stalingrad, peu après 18h.
La mère prévient Patrick Marcelli, le père de l’enfant, ainsi que Bernard Riedweg, son père adoptif, qui se trouve, à ce moment-là, dans ses bureaux du rez de chaussée. La première hypothèse envisagée est celle de la fugue. La fillette, décrite comme changeante, a très mal vécu la séparation de ses parents. Sa mère est de personnalité fragile. Elle a rencontré son actuel compagnon alors qu’elle se faisait soigner, tout comme lui, après une tentative de suicide. La ville de sa disparition, Anaïs s’est fait sévèrement réprimandée par sa mère car elle avait oublié ses devoirs à l’école. Aussi le beau-père, le grand-père, le père d’une amie d’Anaïs ainsi que les policiers passent-ils le quartier au crible jusqu’à près de 2h du matin.
«L’enlèvement s’est bien passé. Mon objectif, c’est de la mettre enceinte, le plus jeune possible»
Tous les moyens sont mis en œuvre les jours suivants: fouille du quartier, chiens pisteurs, sollicitation des médias, plongeurs dans le canal … «Tous les jours, nous étions baignés dans cette recherche. Nous avons fouillé les caves abandonnées près du zoo, exploité la moindre piste», se souvient Patrick Marcelli. En vain. Le 19 janvier, une information judiciaire contre X est ouverte pour enlèvement.
Le 24 février, un message anonyme est laissé sur le répondeur du téléphone de la mère et du beau-père d’Anaïs. Un individu demande une rançon. Le 27 mars 1991, une lettre anonyme, tapée à la machine à écrire, est adressée «aux élèves de CM2» de l’école du Nordfeld:
«Je vous adresse cette lettre pour vous donner des nouvelles de votre petite camarade Anaïs. Elle est en parfaite santé. Elle est très douce et soumise. Elle me plaît beaucoup et je passe des instants merveilleux en sa compagnie. L’enlèvement s’est bien passé, peut-on lire. Mon objectif, c’est de la mettre enceinte, le plus jeune possible. Si j’y arrive assez vite, c’est-à-dire pour qu’elle soit à terme avant 12 ans et demi, je la rendrai peut-être.»
«Les mois ont passé, on ne faisait plus la une des journaux, mais c’était un bonne chose. Et puis il y a eu la découverte du corps au col de Bussang. J’aurais voulu disparaître. J’étais anéanti. Je fuyais les objectifs et les caméras»
raconte Patrick Marcelli. Le 21 avril, un randonneur découvre le corps d’Anaïs au bord de la RN66, sur le versant vosgien du col. La dépouille est étendue sur un mur de soutènement, partiellement recouverte de pierres. La fillette est vêtue mais ne porte ni son anorak, ni ses bottes, ni son cartable. Selon l’autopsie, elle est morte par asphyxie mais son cadavre ne porte de trace ni de viol ni de sévices sexuels.
L’enquête de voisinage dans le secteur de la découverte du corps ne donne rien. Le fait que la petit fille soit déchaussée et sans manteau peut laisser croire qu’elle a finalement regagné son domicile le soir de sa disparition. L’enquête s’oriente donc à présent vers son entourage. De plus, ses proches savent que la fillette avait l’habitude d’enlever son anorak dès qu’elle montait dans le véhicule de quelqu’un qui lui était familier.
Un suspect, deux enlèvements?
Le 15 octobre, une reconstitution est organisée. De troublantes contradictions au niveau de l’emploi du temps du grand-père en ressortent. Personne, pas même lui, n’est en mesure d’attester de ce qu’il a fait le 14 janvier 1991 entre 18h et 20h05, l’heure à laquelle la mère d’Anaïs l’informe de sa disparition. Il est lui-même incapable de dire à quelle heure il a quitté son bureau chez EDF.
Le 12 novembre 1992, un nouveau courrier anonyme est envoyé au journaliste Patrick Meney. L’auteur revendique l’enlèvement et le meurtre d’Anaïs mais aussi celui d’une enfant à Sainte-Savine, près de Troyes, en 1974. Vérification faite, ce fait divers a bien eu lieu à l’endroit indiqué. La victime sortait de l’épicerie, aux Chartreux, dans la banlieue de Troyes, alors qu’elle faisait des courses pour sa mère, le 13 juillet 1974.
La fillette s’en était sortie et l’affaire avait, à l’époque, fait couler peu d’encre. Les enquêteurs retrouvent la victime, devenue coiffeuse. Ses dires confirment bien les propos tenus dans le courrier. L’auteur des courriers anonymes est bien celui qui a enlevé la fillette près de Troyes en 1974.
Au total, 7 courriers anonymes, que les experts attribuent au même scripteur, seront reçus. Souvent adressés à des journalistes ou présentateurs TV– Patrick Meney, Jacques Pradel, Jean-Pierre Foucault.
Dans chacun d’eux, il y revendique l’enlèvement et le meurtre d’Anaïs Marcelli, le rapt de la petite fille de Sainte-Savine et s’épanche sur ses pratiques sexuelles pour le moins particulière.
L’écrivain est adepte de l’ondinisme, ce que confirme la victime de 1974. La plupart des courriers sont envoyés à l’occasion d’émissions télévisuelles consacrées à l’affaire comme «Témoin n°1», sur TF1, diffusée le 1er mars 1993.
«Au début de la semaine, quand j’ai vu sur le programme de la télé que vous alliez faire une nouvelle émission qui s’appelle “Témoin N°1”, je n’avais pas bein lu le programme et je n’avais pas vu que vous parleriez d’Anaïs, et puis aujourd’hui, samedi, ils ont annoncé que votre émission passait lundi. Je vous écris pour vous dire que c’est moi qui ai tué Anais Marcelli.»
La piste du grand-père
L’enquête, qui se concentre désormais sur le cercle des proches d’Anaïs, s’intéresse de plus près au grand-père, Bernard Riedweg, seul protagoniste de l’affaire à ne pas posséder d’alibi au moment de la disparition de l’enfant.
En outre, des témoignages sur sa personnalité et ses rapports troubles avec sa belle-fille, Martine Mercklen, commencent à susciter l’intérêt. Martine Mercklen confesse avoir été victime d’attouchements de sa part pendant son adolescence.
Plusieurs de ses compagnes, ex ou actuelles, évoquent ses d’impuissance et son recours à l’ondinisme. À l’occasion d’une perquisition à son domicile, des photos de Martine, adolescente et nues sont trouvées dans son bureau.
Bernard Riedweg est placé en garde à vue en décembre 1996. Selon le procès verbal, il ne nie pas les attouchements sur Martine:
«Je dois dire qu’alors que Martine avait 11-12 ans, j’ai fait son information dans les conditions déjà évoquées. Mais il est arrivé, à mon avis, une seule fois que je lui montre mon sexe en érection et qu’elle le touche. Je lui avais montré mon sexe à mon initiative, et pour satisfaire sa curiosité.»
Il confirme également ses problèmes d’impuissance et son intérêt pour l’urine dans le cadre de pratiques sexuelles. Pour autant, ses goûts singuliers en matière de sexualité ne font pas de lui l’auteur de l’enlèvement ni du meurtre de sa petite-fille. Il est relâché et le juge d‘instruction prononce un non-lieu en juillet 1997.
«Près de dix ans ont été nécessaires pour acquérir une certitude: l’implication d’un proche. Des enquêteurs ont tout de suite été convaincus de la culpabilité de cette personne. Même lors de la reconstitution avec le juge Sengelin, il y avait des choses qui ne collaient pas avec son emploi du temps.»
Patrick Marcelli, que l’idée de découvrir un jour la vérité n’a jamais quitté, ne décolère pas. Assisté de son avocat, Me Thierry Moser, il n’a jamais cessé d’utiliser tous les moyens pour que l’affaire ne soit pas prescrite.
La piste du «Hannibal Lecter belge»
Nouveau rebondissement au printemps 2001 lorsque la piste d’un routier belge, emprisonné aux Pays-Bas est évoquée. L’hypothèse est loin d’être farfelue, la RN66 étant un axe très fréquenté par les chauffeurs de poids-lourds qui se rendent au Benelux. Michel Stockx est alors détenu pour le viol et le meurtre de trois enfants. L’un de ses co-détenus assure que celui que la presse a surnommé le «Hannibal Lecter belge» s’est vanté auprès d’avoir enlevé et tué une fillette à Mulhouse.
L’enquête est alors rouverte et les enquêteurs français veulent entendre Michel Stockx. Malheureusement, ce dernier décède accidentellement dans l’incendie de sa cellule en septembre 2001.
Un second non-lieu est prononcé en 2002. Francis Heaulme, Michel Fourniret, Christian Van Geloven, Marc Dutroux, Jean-Pierre Treiber. La piste de tous ces tueurs est explorée. En vain.
Patrick Marcelli refuse de céder. En avril 2014, son avocat annonce avoir déposé une demande de réouverture d’information judiciaire sur le bureau du procureur de la République de Mulhouse de l’époque, Hervé Robin.
«J’ai des éléments nouveaux que je pense consistants, sérieux et pertinents»
avait déclaré Me Moser, des éléments nouveaux portant sur un proche de la fillette, «dans le collimateur» de la justice en début d’enquête mais jamais mis en examen, faute de preuves.
L’égaré
La parution d’un livre, L’Égaré, fin 2012, co-signé par le journaliste de l’Alsace, Jean-Marie Stoerkel et Pierre Freysburger, ainsi que le reportage d’Olivia Delaittre-Vichnievsky et de Karl Zero, en avril 2013, avaient notamment permis aux langues de se délier.
Mais le 11 avril 2014, le procureur Robin, à la veille de son départ à la retraite, avait annoncé refuser de rouvrir l’information, estimant qu’il n’y avait «rien de vraiment nouveau» sans toutefois exclure de procéder à quelque vérification préliminaire. Il avait cependant ajouté: «Ce sera mon successeur qui prendra la décision finale.»
La détermination de Patrick Marcelli et de Me Moser ont fini par payer puisque fin mars 2015, le nouveau procureur de la République de Mulhouse, Dominique Alzéari, a décidé de rouvrir une information judiciaire.
«On a gagné une victoire mais on n’a pas gagné la guerre, se réjouissait l’avocat au micro de Karl Zero en mai 2015.
Il s’agit maintenant d’arriver à l’élucidation du crime, à l’identification, à l’arrestation, à la répression du criminel, parce que moi j’estime que le meurtre d’un enfant ne doit pas rester impuni.»
Des expertises scientifiques devaient être menées afin de déterminer si la piste du proche de la victime est fondée ou non. Patrick Marcelli, lui, n’espère plus qu’une seule chose: «que justice soit rendue», car «ce serait rendre hommage à ma fille».